Les déjeuners des salariés ne sont plus ce qu’ils étaient. Loin des menus restreints servis à la cantine d’entreprise entre 12h et 13h30 (par exemple le fameux steak frites ou l’option plus « light » riz-poisson-sauce), l’offre fooding est désormais multiple, variée, sur-mesure et adaptée. Depuis le mode de distribution jusqu’au contenu de l’assiette, la pause déjeuner est un véritable enjeu pour les entreprises. En une poignée d’années, elle est devenue un axe stratégique à part entière. Et pour cause : elle contribue au bien-être des salariés. « L’alimentaire est entré dans la logique des attentes des consommateurs en entreprise en même temps que la qualité de vie au travail, atteste Nicolas Nouchi, responsable des études de marché groupe chez CHD Expert. Pour 80 % d’entre eux, le bien-être est intimement lié à l’alimentation. » Face à ce constat, les organisations changent la donne et ne se contentent plus du simplement rentable. La restauration d’entreprise suit à présent les modes de consommation personnels des collaborateurs.
L’âge d’or du « bien manger »
Si le secteur de l’alimentation prend de l’importance, cela s’explique en partie par un véritable engouement au niveau sociétal pour la cuisine. Réputés pour leur gastronomie et leur attachement au partage des repas, les Français sont de plus en plus nombreux à se passionner pour le domaine, soit en se mettant aux fourneaux, soit en attachant davantage d’importance à la dégustation. Le « fait maison » n’a jamais eu autant le vent en poupe. D’ailleurs, depuis juillet 2014, dans l’objectif de renforcer l’information du consommateur, la mention « fait maison » est obligatoire pour tous les plats cuisinés entièrement sur place à partir de produits bruts dans les établissements de restauration commerciale ou de vente à emporter de plats préparés. Cette mention vise à distinguer les plats de fabrication artisanale des plats ou ingrédients industriels, prêts à l'emploi, achetés en grande surface ou auprès d'un grossiste, réchauffés ou assemblés, indique le ministère de l’Économie.
L’entreprise n’échappe pas à ce phénomène et se doit de s’adapter. Et les acteurs de la restauration s’alignent. Avec sa cantine 2.0, Frichti promet « une cuisine maison, mitonnée avec amour chaque matin ». Popchef, « des plats cuisinés et bichonnés ». Idem du côté de Dejbox : « derrière nos barquettes operculées se cachent de vraies personnes qui cuisinent, découpent, font mijoter, taillent, font rissoler… »
Au-delà de la tendance, un argument non négligeable pousse les directions à investir dans la restauration : l’efficacité des salariés. En effet, une mauvaise hygiène alimentaire serait à l’origine d’une perte de 20 % de la productivité, selon le Bureau International du Travail, qui pointait déjà cet enjeu en 2005. Investir dans l’assiette n’est donc pas vain, loin de là. Les repas convoités sont désormais préparés à base de produits frais, authentiques ou locaux (parfois les trois !) et promettent une alimentation saine et variée, un bon apport nutritionnel pour assumer une journée de travail, un juste équilibre dans les quantités et, cerise sur le gâteau, des recettes savoureuses et gourmandes. Sans oublier de profiter. « Les gens recherchent du plaisir, du goût. Une pause déjeuner sans goût ce n'est pas vraiment une pause », affirme Vincent Colonna Cesari, brand manager chez Frichti.
L’avènement du bio
Se faire plaisir passe notamment par le fait de manger bio. Cette appellation, qui désigne une denrée issue de l’agriculture biologique (et qui certifie qu’aucun produit chimique n’est utilisé pour sa production), séduit l’ensemble des consommateurs. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : d’après l’Agence bio, entre 2015 et 2019, le marché alimentaire bio en France est passé de 6,4 à 11,9 milliards d’euros, avec une progression d’1,4 milliard d’euros entre 2018 et 2019. Car à lui seul, le bio sous-entend qualité du produit, fraîcheur, impact positif sur la santé des individus, respect de l’environnement et du bien-être animal.
C’est un argument de poids pour attirer les clients, un atout pour l’image, voire désormais, un passage obligé. Quitte à faire payer plus cher, ce qui ne semble pas être un problème : 95 % des Français privilégieraient en effet la qualité pour leurs achats, juste devant le prix, selon l’étude « Les Français et la qualité́ » réalisée par Opinionway pour Veeva en 2018.
Pour autant, le bio n’est pas (encore) une généralité dans les assiettes des salariés. Certes, les ingrédients utilisés par les professionnels de la restauration sont « bruts », « du marché », mais la certification bio est rarement affichée ou en planification d’ici à la fin de l’année. Mais cela ne saurait tarder. La progression est belle est bien enclenchée : en 2018, la restauration hors foyer a acheté pour 550 millions d’euros de produits bio hors taxe et la restauration collective à caractère social enregistrait une croissance record de 28 % par rapport à 2017. Cela fait directement écho à la loi Agriculture et alimentation, issue des États généraux de l'alimentation (Egalim) et promulguée en novembre 2018, qui s’attelle à « favoriser une alimentation saine, sûre et durable pour tous ». Les dispositions sont nombreuses pour la restauration collective, la plus emblématique étant celle d'introduire « 50 % de produits durables ou sous signes d'origine et de qualité, dont 20 % de produits bio, dans la restauration collective publique à partir du 1er janvier 2022 ».
S’adapter aux régimes alimentaires de chacun
En plus du bio, c’est aussi la capacité à s’adapter aux multiples régimes alimentaires qui est regardée. Sans gluten, végétarien, végétalien, sans lactose, locavore, flexitarien, crudivore, détox… En nette opposition avec l’alimentation industrielle massifiée et standardisée, ces comportements « particuliers » privilégient le « sans », le « sain », le « naturel ».
Et s’il y a bien une option fooding qui s’est largement répandue ces dernières années, c’est la végétarienne. Partout, elle est mise en avant, à la fois pour ses qualités nutritives (c’est « healthy », riche en fibre etc) mais aussi pour son respect de l’environnement quand elle est préparée à partir de produits de saison et de proximité. « Au départ, les menus végétariens, c’était pour les végétariens, et cuisinés par les non végétariens, indique Sarah Jafarshad-Rajaei, directrice générale de Bleu vert concepts. Le résultat n’était pas toujours réussi : manque de saveurs, de créativité, de variété… Aujourd’hui, avec le flexitarisme, et la part plus importante du végétal dans nos alimentations, c’est devenu un mode de vie pour beaucoup de Français. Cela a permis aux différents concepts de restauration d’avoir plus de demandes, et donc de travailler sur une offre plus adaptée, avec plus de choix, mais surtout des plats gourmands et savoureux. »
Loin d’être un frein, ces restrictions sont devenues en réalité un véritable business pour les acteurs de l’alimentation qui tentent de conquérir toujours plus de clients en adaptant finement les menus aux attentes, aux tendances, aux modes de la société. Les démarches de Carrefour vers davantage de « vert » l’attestent : « nous développons actuellement la gamme de plats et produits végétariens, témoigne Christelle Gerault, responsable restauration chez Carrefour. Notre but : remettre le végétal au cœur de l’assiette. » Du côté de Foodles, Clément Bonhomme, directeur général et co-fondateur de la start-up, affiche un horizon semblable. « Nous souhaitons que 40 % de notre carte soit végétarienne d’ici 2021. Nous allons dans le sens de l’histoire, nous nous inspirons des tendances profondes de la société, tout en conservant une offre variée (cuisine japonaise, libanaise etc). Nos décisions ne plaisent pas encore forcément à toutes les entreprises, mais notre métier d’aller au-delà des tendances. » La cheffe et consultante en nutrition Sarah Lea Safarian ne peut qu’approuver. Depuis deux ans, elle intervient notamment auprès de restaurants primés, d’établissements de luxe et bien-être (hôtels, spa) et d’ateliers de formation pour les aider à élaborer des recettes végétales. « Il faut renouer avec des ingrédients naturels, non industrialisés, que l’on transforme nous-mêmes et que l’on prépare avec les techniques qui leur permettent d’être au mieux pour nous, conseille-t-elle. Il est prouvé scientifiquement que le végétal, c’est bon pour la santé ! Pour nous qui sommes confrontés à tellement de stress en permanence, tant physiquement que mentalement, il est primordial de se faire du bien. »
La course à la diversité alimentaire
Finalement, entre les menus végétariens, healthy, thématiques, et les classiques plats français… la diversité s’invite au menu ! « La demande de diversité est très importante pour les clients. Le déjeuner est un moment satisfaction clé dans la journée et le sentiment de pouvoir manger quelque chose de nouveau tous les jours contribue à ce plaisir », argumente Vincent Colonna Cesari de Frichti. Même son de cloche chez Popchef : « plus personne ne veut manger la même chose tous les jours. Il faut apporter du choix avec des marques et des produits différents pour que le consommateur ait l’impression de varier ses repas chaque jour », souligne Benjamin Leclercq, chef des ventes. Sinon, ils s’ennuient, se lassent, et finissent par bouder les offres proposées. Face à ce constat, prestataires et entreprises se renouvellent. « Nous proposons chaque semaine un menu avec une trentaine de plats différents et nous le faisons évoluer de semaine en semaine, détaille Vincent Colonna Cesari. Mais attention, le grand choix ne doit pas se faire au prix de la fraîcheur. C’est pourquoi nous avons développé une technologie qui nous permet d’analyser de manière hebdomadaire les choix des clients, de comprendre les historiques de commandes et les tendances faibles afin de prévoir à l’avance ce qu’ils auront envie de manger. C’est cette technologie qui nous permet d’assurer à la fois diversité et fraîcheur. » Chez Carrefour, le même principe est déployé auprès des collaborateurs : tous les mois, un panel qualité est interrogé. « On prend en compte leurs remarques, leurs suggestions, leurs critiques. Cela nous aide à progresser », mentionne Magali Audibert, manager coordination sites et innovation. Tout ceci dans l’objectif d’offrir aux salariés de quoi bien manger en respectant leur santé, l’économie locale et l’environnement… sans sacrifier leur bon coup de fourchette !
Carrefour, le bon élève
Entre bio, circuit court, produits locaux, poissons issus de la pêche durable, le siège de Carrefour situé à Massy (91) coche ainsi un grand nombre de cases. La transition alimentaire, l’enseigne l’a opérée depuis des années, à l’initiative notamment de son PDG Alexandre Bompard. Le programme Act for food mis en place en 2017 prône la transformation en profondeur du système alimentaire, de la production à la consommation avec ces objectifs : « changer le système pour que l'alimentation soit à la fois meilleure pour notre santé, meilleure pour nos agriculteurs et meilleure pour notre planète. Et c'est bien sûr faire en sorte que tout cela soit accessible au plus grand nombre ». Christelle Gerault, responsable restauration chez Carrefour, soutient que « la restauration s’inscrit dans un des piliers du plan de transformation de Carrefour : la transition alimentaire. » Depuis l’ouverture du site en 2014, avec l’aide de son prestataire Elior, la restauration n’a cessé d’évoluer au gré des tendances avec la mise en avant des produits de l’enseigne.
Mais plus encore que l’écoresponsabilité, le siège du géant de la grande distribution se révèle particulièrement à la pointe de ce que peut espérer déguster un salarié sur son lieu de travail. On y trouve notamment un self avec une douzaine de plats quotidiennement à disposition des salariés. Au menu : grillades (porc francilien, viande française), bar à légumes (bio, de saison et locaux), poisson, comptoir italien avec pizzas et pâtes, offre végétarienne, plat flexitarien, buddha bowl, salade… Côté sucré, les collaborateurs ne sont pas en reste : ils ont à disposition un stand pâtisseries, dont certaines sont allégées en sucre, d’autres fabriquées à partir de pain non consommé la veille ou encore des smoothies préparés à base de fruits abîmés, tout cela dans une démarche anti-gaspillage. Sans oublier un bar à entrées et un bar à fruits. Mais ce n’est pas tout. Il y a aussi dans les locaux un stand à burger, un comptoir à roulettes nomade et évolutif en fonction des saisons, un Paul, un Twenty, un triporteur nomade, une brasserie, qui sert les produits Carrefour comme au restaurant… Et la liste est encore longue !