Depuis plus de quatre ans, le monde du FM est engagé dans une profonde réflexion autour de son métier, de ses marchés mais aussi plus fondamentalement de son offre de valeur. L’enjeu pour le secteur n’est pas simplement de faire évoluer les pratiques mais bien, in fine, de bâtir un nouveau modèle d’affaires permettant aux professionnels du FM de renouer avec des gains de productivité non plus selon une logique industrielle mais bel et bien servicielle. « On ne peut pas réduire à la dimension d’un bien la prestation du FM dont la valeur est d’être dans la relation et non dans l’exécution d’une technicité particulière », résume ainsi Xavier Baron, sociologue et cofondateur du CRDIA. C’est donc une toute nouvelle conception des services qu’il s’agit de construire, valorisant la pertinence de l’intervention, la relation de service et l’usage plutôt que la seule dimension factuelle de la prestation. Car la valeur réelle du facility management ne réside pas tant dans l’exécution d’une série de gestes techniques que dans son effet sur les bénéficiaires. D’où l’émergence dans le secteur d’une volonté d’orienter le FM de plus en plus dans une approche « BtoBtoC » (ou BtoBforC). C’est donc dans ce contexte d’une filière en butte à la difficulté de faire reconnaître sa valeur principalement immatérielle qu’émerge le concept de l’hospitality management avec, en arrière-plan, une idée centrale : remettre les usages au coeur du pilotage. À court terme, la crise sanitaire et économique que nous traversons pourrait toutefois bouleverser les usages au sein de l’entreprise, avec, notamment la généralisation et la banalisation du télétravail pendant le confinement. Mais pour les acteurs du marché, cela pourrait finalement accélérer la tendance de l’hospitality management. Un nombre croissant de salariés a en effet pris goût à cette forme nouvelle d’organisation du travail et ne perçoit plus comme une évidence la présence obligatoire dans les bureaux. Pour les convaincre de revenir, les entreprises doivent « réenchanter » le travail. « Il faut donner de la réassurance aux clients après la crise, apporter des services au quotidien qui procurent du plaisir, qui dépassent les masques et les gestes barrières (même si ceux-ci sont fondamentaux) », avance Laurent Rault, directeur du développement chez Sodexo Entreprises. Cela passe notamment par le développement de nouveaux services ou, a minima, l’amélioration des services proposés à des salariés de plus en plus considérés comme les résidents de lieux de vie.
FM et HM, même combat ?
Si tous les acteurs semblent être séduits par la notion d’hospitality management, encore fautil se mettent d’accord sur sa définition. Une première difficulté se pose : qu’est-ce qui différencie réellement le facility management de l’hospitality management ? Pour Corinne Colson-Lafon, administratrice au Sypemi et directrice générale fondatrice de Steam’O, les FMers sont désormais « des opérateurs d’espaces voire de services aux postes de travail. Nous nous positionnons sur un FM intégré que l’on va appeler hospitality management ». Pour d’autres, la frontière reste mince… « J’ai du mal à distinguer facility management et hospitality management, note par exemple de son côté, Dominique Bisaga, directrice générale de Samsic Facility France. « L’hospitality management doit être partie intégrante du FM qui prend en charge un spectre de services plus large notamment au niveau du bâtiment, mais tout cela reste très imbriqué ». Chez Sodexo, Laurent Rault pense quant à lui que l’hospitality management se distingue du FM par l’intégration « d’engagements de résultats liés à la satisfaction des utilisateurs, sur la prise en compte, dans l’idéal, de leur expérience sur toute leur journée de travail, de A (départ de la maison) à Z (retour à la maison). » Pour certains acteurs, cette notion d’hospitalité, serait avant tout une question de posture à adopter vis-à-vis du bénéficiaire final. « L’hospitality est avant tout un savoirêtre associé au savoir-faire, avec un objectif : proposer une expérience unique tout en prenant soin de nos environnements et de ceux qui les occupent », estime Virginie Depardieu, chef des ventes et fidélisation FM France chez Elior Services. Même son de cloche chez Corinne Colson-Lafon, pour qui l’hospitality management repose sur l’expérience du collaborateur à l’instant T. Elle appelle cependant à distinguer selon les activités concernées dans le contrat de FM : « tout le monde parle de FM alors qu’il y a de nombreuses interprétations de cette offre et de ses traductions opérationnelles, rappelle- t-elle. Dans la réalité, une segmentation des offres dans ce métier pourrait être mise en avant. Il est fondamental aussi de rappeler que le FM doit comporter une dimension de pilotage global forte et n’est pas une simple juxtaposition/massification de productions. Le risque est le même pour l’hospitality management derrière lequel on retrouve des offres très distinctes, les unes portant par exemple sur un accueil augmenté, d’autres allant jusqu’au FM intégré global. »
Pas une option, une nécessité
Mult i forme, l’hospital ity management doit donc s’adapter à tous les types de besoins en naviguant au sein du contrat de FM. « Nous avons tous dépassé l’idée que l’hospitality management est une prestation supplémentaire incarnée par un hospitality management officer, convient Xavier Baron, sociologue et coordinateur du CRDIA. Ceci dit, les offres, et les réponses à certaines offres sur le marché n’intègrent pas toujours Un client au budget limité peut par exemple tout à fait mettre en place des services d’hospitality. À terme, la question est surtout de savoir comment produire un service adapté à la demande et aux fonctionnalités du client et des usagers. » Chez Sodexo Entreprises, les offres de services d’hospitality management peuvent être proposées en dehors du contrat de FM. Elles peuvent y être incluses si le client le demande, mais il importe alors que les missions soient bien spécifiées. « Un pilotage hospitality management devrait suivre un contrat Bto- CforB, détaille Laurent Rault. Les clients demandent parfois que notre pilote se nomme cette idée. On en est encore à proposer des packages et des options, parfois intégrés dans le prix ou ajoutés dans le prix d’un contrat de FM. Or, derrière la notion d’hospitality, c’est bien tout un système de management dont il est question. » Pour Dominique Bisaga, chez Samsic, on ne saurait le réduire à un niveau de gamme dans l’offre globale des FMers : « L’hospitality management n’est pas une option, c’est une nécessité. Je le conçois comme un service hôtelier, pas forcément haut de gamme, qui prend en compte l’utilisateur dans l’usage qu’il fait de son environnement de travail et les fonctionnalités associées. hospitality manager alors qu’il n’en a pas forcément la fonction, ni les tâches au quotidien. Il s’agit alors de redéfinir ses missions, qui vont au-delà d’un pilotage de contrat très orienté BtoB. Nous y intégrons une très forte dimension hôtelière. Cela témoigne chez nos clients d’une volonté d’introduire l’expérience collaborateur dans les contrats de FM, et une stratégie de communication interne. » Pour Virginie Depardieu, chez Elior Services, il est nécessaire que la profession et les donneurs d’ordres puissent définir les contours à donner aux rôles de l’hospitality management afin d’avoir des attentes communes et empêcher les dérives de cette fonction que nous pouvons déjà observer. « Il serait risqué de développer une offre sans mettre en place un référentiel commun », estime-t-elle.
Quel pilote derrière quelles offres ?
En effet, le distinguo entre pilote FM et pilote hospitality est essentiel. « Le pilote FM est le chef d’orchestre de toutes les prestations de services et techniques et rapporte généralement aux clients décideurs, mais jusqu’à maintenant peu aux utilisateurs. Pour l’hospitality management, on insiste sur l’utilisateur, on parle de posture, d’attitude, et on peut être amené à créer de nouvelles fonctions, floor manager par exemple », abonde Corinne Colson-Lafon. « Le pilote FM répond à des attentes en matière de contrat. Le pilote HM s’intéresse quant à lui à la notion de consommateur, d’utilisateur », note de son côté Laurent Rault. Véritable courroie de transmission entre le contrat, les personnes en charge de le produire et les occupants, l’hospitality management reste sous le management du pilote FM et « veille » au bien-être des collaborateurs.
« C’est particulièrement important pour certaines périodes de la vie de l’entreprise cliente : restructuration, emménagement, travaux ou changement d’organisation du travail tel que flex office », note Éric Lefiot, président du Sypemi et directeur général d’Atalian. Dans la mesure où il dispose de suffisamment de temps, le pilote FM peut et doit s’occuper de ces questions. Cependant en pratique, plus un site est grand et plus s’impose la nécessité de créer de nouvelles fonctions comme celle d’hospitality manager. « Le dimensionnement du FM doit être adapté en fonction des volumes et des niveaux de services attendus et définis », ajoute Dominique Bisaga. Attention toutefois à ne pas occulter pour autant le socle technique incompressible intégrant la maintenance et l’exploitation des bâtiments. « Certains clients en FM global demandent de l’hospitality management au lieu d’un pilote FM traditionnel, (qui est souvent plus cher), au risque de perdre la dimension technique, il faut en avoir conscience, rappelle Corinne Colson-Lafon. Face à ces demandes, nous avons parfois la chance de pouvoir préciser les natures des missions attendues et parler valeur de service plutôt que coût. » De manière inversée, chez Atalian, Éric Lefiot voit dans l’hospitality management un « excellent tremplin » pour évoluer vers le pilotage FM. « Le pilote intègre dans ce cas encore mieux cette excellence servicielle attendue par les occupants, explique-t-il, mais attention toutefois à ne pas mélanger les genres. Le pilotage FM fait appel à des compétences élargies, notamment en matière de gestion budgétaire, de maîtrise des risques, de management et de responsabilité. »
Une vision globale de l’entreprise
L’intégration de la notion et d’offres autour de l’hospitality management a-t-elle des conséquences sur la nature du contrat ? À quoi s’engagent les parties ? Sur quelle durée et selon quelles modalités ? « Le contrat d’hospitality management est à exécution successive, comme un contrat de travail, tranche Xavier Baron. À ce titre, il doit moins définir les prestations à réaliser que les conditions par lesquelles clients et prestataires se mettront d’accord sur l’engagement d’une dépense répondant à une prestation de service. » Un constat partagé par Laurent Rault de Sodexo qui estime que « le contrat devrait définir les relations partenariales avec le prestataire, pas seulement la prestation. La contractualisation, c’est retenir un prestataire et se laisser la possibilité de faire évoluer les prestations sur la vie du contrat. Il s’agit d’y introduire la notion d’agilité pour s’adapter aux modes de travail qui évoluent, aux changements d’organisation et aux enjeux stratégiques de nos clients et ainsi redéfinir régulièrement les services opérés pour garantir la satisfaction des utilisateurs ».
Sans pour autant renoncer aux modes d’évaluation traditionnels de la qualité des prestations. Les avantages de l’hospitality management sont indéniables : la meilleure qualité de service permise par le pilotage des opérateurs d’espace se double d’une perception accrue du climat social au sein de l’entreprise. « L’hospitality manager a la vision globale de l’entreprise, c’est sa compétence discriminante, souligne Xavier Baron. Parce qu’il s’occupe de space planning, de la qualité de l’environnement de travail et bientôt de questions managériales, il est en mesure de percevoir les problèmes et de les régler. Aujourd’hui, pour connaître le climat social de son entreprise, un dirigeant un peu malin va discuter de manière informelle avec le personnel d’entretien. Ce sont les petites mains qui voient les problèmes, parce qu’elles sont chargées de les nettoyer. » En rationalisant ce que l’empirisme ne permet pas toujours d’atteindre, ce nouveau système de management fait du responsable des hospitality le garant de l’expérience et de la satisfaction des occupants. Autant de valeurs ajoutées qui souffrent pour l’heure de la difficulté du FM à faire reconnaitre son rôle dans la performance immatérielle des entreprises. « Aujourd’hui nous n’avons pas de pensée sur les conditions de la performance du travail serviciel. En revanche, nous avons toujours la pensée sur les conditions de la performance du travail industriel qu’on applique, faute de mieux, au service en rédigeant des contrats et en prévoyant des pénalités. L’enjeu des prochaines années sera de trouver un nouveau paradigme », conclut Xavier Baron.