Workplace Magazine n°281
De nouveaux concepts d'espaces de travail s'imposent aujourd'hui dans le secteur tertiaire. Si les terminologies varient, les objectifs, eux, sont souvent similaires: répondre à un besoin grandissant de collaboration, de création et d'innovation dans les entreprises. Tour d'horizon de ces espaces d'un nouveau genre.

© Fréderic Baron Morin

 

Salles de créativité, war room, espace projet, lab d'innovation, fablab, digital center, learning hub ... Depuis quelques années, le lexique de l'aménagement tertiaire ne cesse de s'enrichir. Derrière ces nombreuses appellations, parfois un brin pompeuses, se cache un même enjeu pour les entreprises : privilégier le collectif et accélérer les pro­cessus de prise de décision. « Ces nouveaux concepts sont apparus depuis plus d'une dizaine d'années aux États-Unis. Ils découlent d'une véritable réflexion sur l'évolution des espaces de travail afin d'encourager l'innovation. Car dans un contexte de compétiti­vité et de concurrence toujours plus accrues, le besoin d'inno­ver devient crucial pour l'en­semble des secteurs d'activité. Aujourd'hui, tout le monde est concerné», explique Alexan­dra Villegas, associée du cabi­net Studios Architecture. Outre­-Atlantique, les entreprises se sont ainsi peu à peu appro­priées de nouveaux espaces, en rupture du bureau traditionnel. En France, le phénomène s'est également rapidement propagé. Orange, Renault, Linkedin, Seb, Pôle Emploi, Onepoint, Allianz Partners ... Nombreux sont ceux à avoir intégré ces nouveaux concepts dans leurs locaux. « Si le souhait d'être simplement dans la tendance s'est peut-être un peu vérifié au départ, les entreprises ont à présent pris conscience de l'intérêt et de l'impact de ces espaces sur les organisations et leurs transformations. Elles ont compris qu'elles devaient appré­hender différemment le dévelop­pement de leurs projets et l'in­novation », ajoute Pierre-Olivier Pigeot, directeur conseil et asso­cié chez Saguez & Partners.

 

Un menu d'espaces au goût du jour

Pour accompagner cette trans­formation, le bureau a connu de nombreuses évolutions. Il offre à présent un menu d'espaces permettant de répondre aux différents besoins des collaborateurs tout au long de la journée: col­laborer, se réunir, réfléchir, se concentrer, etc. « L'organisa­tion des espaces se pense selon les usages. D'où une plus grande diversité dans les aménage­ments », confirme Pierre-Oli­vier Pigeot. Cela va de la salle de réunion classique à la war room, en passant par la salle de créativité ou encore l'espace projet. Tous ont des fonctions et des usages dif­férents. Avec, toujours, un point commun: privilégier le collectif à l'espace de travail individuel. « Aujourd'hui les projets et les nouveaux modes de travail sont guidés par un maitre mot: la collaboration. Qu'elle soit locale ou bien à distance. Auparavant, les salariés effectuaient des tâches moins variées qu'ils pou­vaient mener seuls ou en petite équipe. Aujourd'hui, les projets sont pluridisciplinaires, inter­équipes et nécessitent de travail­ler ensemble », commente Tho­mas Vergouwen, responsable du digital sur le projet du nouveau siège social Bridge d'Orange. Ainsi, les salles de créativité, de brainstorming ou encore les espaces projets modulables se substituent aux salles de réu­nions plus classiques. « Ces espaces permettent plus d'in­teractivité, le collaborateur est impliqué et contribue au sujet », observe-t-il. Pour susciter un certain dynamisme et favori­ser la créativité, le mobilier, lui aussi, a évolué. Poufs, tabourets et autres assises dynamiques ont remplacé le siège de bureau tra­ditionnel, les murs se retrouvent couverts de tableaux écritoires ou de post-its. « Il est important de pouvoir bouger et écrire sur les murs », précise Alexandra Villegas. Aussi, pour plus de flexibilité, le mobilier s'équipe de roulettes tableaux, tables, cloisons, assises ... Tout y passe ! 

Studios Architecture a conçu le lab d'innovation d'EY, à La Défense, afin d'y héberger les équipes d'innovation et de R&D. L'espace compte un café connecté, une war room, des salles de réunion, un showroom et des postes de travail. © Stefano Candito

 

Des lieux de recherche et de production 

Et le changement ne se limite pas aux murs de l'entreprise. Certaines vont également mettre en place des lieux dédiés à la transformation et l'innovation hors du bureau. Cela peut prendre la forme d'un fablab, cet espace aux airs d'atelier de bricolage où l'on retrouve toutes sortes d'outils pour la conception, le prototypage et la réalisation d'objets. À mi-chemin entre le garage de Steve Jobs et l'atelier d'artiste, le fablab est le lieu de larecherche par excellence mais aussi de production. Chez One-point, qui a inauguré le sien en 2016, l'idée d'en aménager un est née suite à la volonté de réinter­naliser une certaine partie des processus de création pour aller « plus vite, plus loin ». C'était aussi l'occasion d'acquérir de nouvelles compétences et d'ex­plorer de nouveaux territoires. Si certaines entreprises font le choix du fablab au sens propre du terme, d'autres le font évoluer en l'agrémentant d'autres zones créatives ou collaboratives. Dans le « 3ème lieu » d'Orange, par exemple, on retrouve ainsi un espace « doit yourself » avec des ateliers ludiques pour apprendre à fabriquer un objet connecté ou une impression 3D ou encore un espace « do it together » pour les projets collectifs et sponta­nés. À la maison du digital de la SNCF, le 574, le fablab côtoie un espace de coworking et d'idéa­tion. Chez Seb, il est complété par une salle de créativité et un espace de travail avec rétro­projecteur, tableau interactif et paperboards.

 

 

Immersion en milieu « disruptif» 

La révolution numérique étant passée par là, on voit également apparaître des labs pensés eux aussi pour favoriser l'in­novation mais cette fois, digi­tale et non plus uniquement physique. Appelés communé­ment labs d'innovation, ils per­mettent de travailler en immer­sion dans un environnement qui se veut disruptif, le temps d'une journée ou d'un projet. Ici, pas de machines ou d'outils. On retrouve plutôt des mini-gra­dins, des poufs et assises faci­lement déplaçables. Et bien sûr, la présence forte de technologies digitales et collaboratives pour aider les utilisateurs à avan­cer dans leurs projets. Écrans tactiles géants, tablettes, mais aussi murs écritoires et tableaux blancs. Tout est fait pour que les utilisateurs s'empreignent au mieux du lieu. Le tout est de réussir à créer une rupture avec leur environnement habituel. « Nous avons depuis quelques temps une forte demande pour ce type d'espace dans le but d'accélé­rer les processus de décision et le développement de solutions chez nos clients », constate Pierre-Olivier Pigeot. Dernier exemple en date, Orange. « La direction immobilière a souhaité créer un lieu de réflexion sur le futur de l'immobilier, les évolutions des environnements de travail et pou­voir y former les collaborateurs à la pédagogie d'un projet immo­bilier », explique-t-il. Et le lab Orange est né ! Il accueille des équipes qui vont être confron­tées à des problématiques de transformation de lieux et de projets immobiliers. L'espace est extrêmement flexible, entièrement mouvant et reconfigurable à souhait en fonction des différentes étapes des projets. « Comme souvent, l'organisa­tion du lieu doit s'adapter à des méthodes comme celle du design thinking: idéation, divergence, convergence, synthèse, présenta­tion ... Le tout est de bien définir le parcours voulu avec le client, et ensuite d'imaginer les cinq ou six espaces qui vont physiquement matérialiser les étapes souhai­tées », complète Pierre-Olivier Pigeot l'architecte. Pour plus de simplicité, l'agence Saguez & Partners a conçu un mobi­lier pouvant s'adapter à plu­sieurs configurations, selon les usages. « Le Lab d'Orange est équipé d'un grand espace faisant à la fois office de salle plénière et de workshops en plus petites groupes. Nous avons dessiné un marquage au sol, comme dans un gymnase, pour créer des repères qui indiquent où et comment posi­tionner le mobilier enfonction de l'usage souhaité », poursuit-t-il. 

 

Le lab Orange, situé dans le 18ème arrondissement de Paris, est un lieu de réflexion sur le futur de l'immobilier. L'espace se veut flexible, mouvant et reconfigurable selon les besoins. © Mikael Lafontan

 

Rien n'est figé

En effet, il faut que l'espace, le mobilier et l'équipement digital puissent répondre à des besoins parfois très différents d'un pro­jet à un autre, ou même d'une étape à une autre. « Le rythme d'évolution s'accélère, nous ne proposons plus d'espaces qui resteront figés dans le temps », affirme Alexandra Villegas. À commencer par la technologie. « Le problème avec la technolo­gie intégrée, c'est qu'on ne peut plus la faire évoluer sans avoir a tout modifier après coup. Dans les entreprises high tech, mieux vaut oublier les jolis habillages en menuiserie pour dissimuler les câbles et rendre la technologie accessible pour la faire évoluer facilement », prévient Alexandra Villegas. Une réflexion par­tagée par les équipes mobili­sées sur le nouveau siège social d'Orange. « Nous concevons nos futures salles de réunion en pen­sant d'ores et déjà à leurs trans­formations possibles dans le futur, afin de coller à de nou­veaux besoins que l'on n'a peut­être même pas encore identifié! Donc rien ne doit être figé dans l'aménagement et l'architecture des lieux », commente Thomas Vergouwen. Chez Wellio, les équipes s'inspirent même de la muséographie. « Les espaces peuvent vite devenir obsolètes si nous les pensons trop tendance. Nous avons alors fait la compa­raison avec les musées: une coque qui ne bouge pas, mais à l'inté­rieur, des espaces qui vivent et évoluent au rythme des exposi­tions », explique Céline Leonardi. Afin que la démarche soit tout à fait complète, il convient éga­lement de penser à l'animation. « De nouveaux métiers émergent, avec des com­pétences adaptées pour gérer ces espaces en mode agile et faciliter les processus d'innovation », sou­ligne Alexandra Villegas. « Un lieu décadrant avec un mobilier sur roulette ne suffit pas à engen­drer la créativité ou l'innovation. Il faut accompagner ce proces­sus. Dans ces nouvelles typologies d'espaces, il est autant question de lieu que de méthode », affirme Pierre-Olivier Pigeot. 

 

L'espace Wellio à Marseille propose une zone de bureaux privatisables, accolée à une partie brainstorming en amphithéâtre avec gradins et cubes modulables.