© Fréderic Baron Morin
Salles de créativité, war room, espace projet, lab d'innovation, fablab, digital center, learning hub ... Depuis quelques années, le lexique de l'aménagement tertiaire ne cesse de s'enrichir. Derrière ces nombreuses appellations, parfois un brin pompeuses, se cache un même enjeu pour les entreprises : privilégier le collectif et accélérer les processus de prise de décision. « Ces nouveaux concepts sont apparus depuis plus d'une dizaine d'années aux États-Unis. Ils découlent d'une véritable réflexion sur l'évolution des espaces de travail afin d'encourager l'innovation. Car dans un contexte de compétitivité et de concurrence toujours plus accrues, le besoin d'innover devient crucial pour l'ensemble des secteurs d'activité. Aujourd'hui, tout le monde est concerné», explique Alexandra Villegas, associée du cabinet Studios Architecture. Outre-Atlantique, les entreprises se sont ainsi peu à peu appropriées de nouveaux espaces, en rupture du bureau traditionnel. En France, le phénomène s'est également rapidement propagé. Orange, Renault, Linkedin, Seb, Pôle Emploi, Onepoint, Allianz Partners ... Nombreux sont ceux à avoir intégré ces nouveaux concepts dans leurs locaux. « Si le souhait d'être simplement dans la tendance s'est peut-être un peu vérifié au départ, les entreprises ont à présent pris conscience de l'intérêt et de l'impact de ces espaces sur les organisations et leurs transformations. Elles ont compris qu'elles devaient appréhender différemment le développement de leurs projets et l'innovation », ajoute Pierre-Olivier Pigeot, directeur conseil et associé chez Saguez & Partners.
Un menu d'espaces au goût du jour
Pour accompagner cette transformation, le bureau a connu de nombreuses évolutions. Il offre à présent un menu d'espaces permettant de répondre aux différents besoins des collaborateurs tout au long de la journée: collaborer, se réunir, réfléchir, se concentrer, etc. « L'organisation des espaces se pense selon les usages. D'où une plus grande diversité dans les aménagements », confirme Pierre-Olivier Pigeot. Cela va de la salle de réunion classique à la war room, en passant par la salle de créativité ou encore l'espace projet. Tous ont des fonctions et des usages différents. Avec, toujours, un point commun: privilégier le collectif à l'espace de travail individuel. « Aujourd'hui les projets et les nouveaux modes de travail sont guidés par un maitre mot: la collaboration. Qu'elle soit locale ou bien à distance. Auparavant, les salariés effectuaient des tâches moins variées qu'ils pouvaient mener seuls ou en petite équipe. Aujourd'hui, les projets sont pluridisciplinaires, interéquipes et nécessitent de travailler ensemble », commente Thomas Vergouwen, responsable du digital sur le projet du nouveau siège social Bridge d'Orange. Ainsi, les salles de créativité, de brainstorming ou encore les espaces projets modulables se substituent aux salles de réunions plus classiques. « Ces espaces permettent plus d'interactivité, le collaborateur est impliqué et contribue au sujet », observe-t-il. Pour susciter un certain dynamisme et favoriser la créativité, le mobilier, lui aussi, a évolué. Poufs, tabourets et autres assises dynamiques ont remplacé le siège de bureau traditionnel, les murs se retrouvent couverts de tableaux écritoires ou de post-its. « Il est important de pouvoir bouger et écrire sur les murs », précise Alexandra Villegas. Aussi, pour plus de flexibilité, le mobilier s'équipe de roulettes tableaux, tables, cloisons, assises ... Tout y passe !
Studios Architecture a conçu le lab d'innovation d'EY, à La Défense, afin d'y héberger les équipes d'innovation et de R&D. L'espace compte un café connecté, une war room, des salles de réunion, un showroom et des postes de travail. © Stefano Candito
Des lieux de recherche et de production
Et le changement ne se limite pas aux murs de l'entreprise. Certaines vont également mettre en place des lieux dédiés à la transformation et l'innovation hors du bureau. Cela peut prendre la forme d'un fablab, cet espace aux airs d'atelier de bricolage où l'on retrouve toutes sortes d'outils pour la conception, le prototypage et la réalisation d'objets. À mi-chemin entre le garage de Steve Jobs et l'atelier d'artiste, le fablab est le lieu de larecherche par excellence mais aussi de production. Chez One-point, qui a inauguré le sien en 2016, l'idée d'en aménager un est née suite à la volonté de réinternaliser une certaine partie des processus de création pour aller « plus vite, plus loin ». C'était aussi l'occasion d'acquérir de nouvelles compétences et d'explorer de nouveaux territoires. Si certaines entreprises font le choix du fablab au sens propre du terme, d'autres le font évoluer en l'agrémentant d'autres zones créatives ou collaboratives. Dans le « 3ème lieu » d'Orange, par exemple, on retrouve ainsi un espace « doit yourself » avec des ateliers ludiques pour apprendre à fabriquer un objet connecté ou une impression 3D ou encore un espace « do it together » pour les projets collectifs et spontanés. À la maison du digital de la SNCF, le 574, le fablab côtoie un espace de coworking et d'idéation. Chez Seb, il est complété par une salle de créativité et un espace de travail avec rétroprojecteur, tableau interactif et paperboards.
Immersion en milieu « disruptif»
La révolution numérique étant passée par là, on voit également apparaître des labs pensés eux aussi pour favoriser l'innovation mais cette fois, digitale et non plus uniquement physique. Appelés communément labs d'innovation, ils permettent de travailler en immersion dans un environnement qui se veut disruptif, le temps d'une journée ou d'un projet. Ici, pas de machines ou d'outils. On retrouve plutôt des mini-gradins, des poufs et assises facilement déplaçables. Et bien sûr, la présence forte de technologies digitales et collaboratives pour aider les utilisateurs à avancer dans leurs projets. Écrans tactiles géants, tablettes, mais aussi murs écritoires et tableaux blancs. Tout est fait pour que les utilisateurs s'empreignent au mieux du lieu. Le tout est de réussir à créer une rupture avec leur environnement habituel. « Nous avons depuis quelques temps une forte demande pour ce type d'espace dans le but d'accélérer les processus de décision et le développement de solutions chez nos clients », constate Pierre-Olivier Pigeot. Dernier exemple en date, Orange. « La direction immobilière a souhaité créer un lieu de réflexion sur le futur de l'immobilier, les évolutions des environnements de travail et pouvoir y former les collaborateurs à la pédagogie d'un projet immobilier », explique-t-il. Et le lab Orange est né ! Il accueille des équipes qui vont être confrontées à des problématiques de transformation de lieux et de projets immobiliers. L'espace est extrêmement flexible, entièrement mouvant et reconfigurable à souhait en fonction des différentes étapes des projets. « Comme souvent, l'organisation du lieu doit s'adapter à des méthodes comme celle du design thinking: idéation, divergence, convergence, synthèse, présentation ... Le tout est de bien définir le parcours voulu avec le client, et ensuite d'imaginer les cinq ou six espaces qui vont physiquement matérialiser les étapes souhaitées », complète Pierre-Olivier Pigeot l'architecte. Pour plus de simplicité, l'agence Saguez & Partners a conçu un mobilier pouvant s'adapter à plusieurs configurations, selon les usages. « Le Lab d'Orange est équipé d'un grand espace faisant à la fois office de salle plénière et de workshops en plus petites groupes. Nous avons dessiné un marquage au sol, comme dans un gymnase, pour créer des repères qui indiquent où et comment positionner le mobilier enfonction de l'usage souhaité », poursuit-t-il.
Le lab Orange, situé dans le 18ème arrondissement de Paris, est un lieu de réflexion sur le futur de l'immobilier. L'espace se veut flexible, mouvant et reconfigurable selon les besoins. © Mikael Lafontan
Rien n'est figé
En effet, il faut que l'espace, le mobilier et l'équipement digital puissent répondre à des besoins parfois très différents d'un projet à un autre, ou même d'une étape à une autre. « Le rythme d'évolution s'accélère, nous ne proposons plus d'espaces qui resteront figés dans le temps », affirme Alexandra Villegas. À commencer par la technologie. « Le problème avec la technologie intégrée, c'est qu'on ne peut plus la faire évoluer sans avoir a tout modifier après coup. Dans les entreprises high tech, mieux vaut oublier les jolis habillages en menuiserie pour dissimuler les câbles et rendre la technologie accessible pour la faire évoluer facilement », prévient Alexandra Villegas. Une réflexion partagée par les équipes mobilisées sur le nouveau siège social d'Orange. « Nous concevons nos futures salles de réunion en pensant d'ores et déjà à leurs transformations possibles dans le futur, afin de coller à de nouveaux besoins que l'on n'a peutêtre même pas encore identifié! Donc rien ne doit être figé dans l'aménagement et l'architecture des lieux », commente Thomas Vergouwen. Chez Wellio, les équipes s'inspirent même de la muséographie. « Les espaces peuvent vite devenir obsolètes si nous les pensons trop tendance. Nous avons alors fait la comparaison avec les musées: une coque qui ne bouge pas, mais à l'intérieur, des espaces qui vivent et évoluent au rythme des expositions », explique Céline Leonardi. Afin que la démarche soit tout à fait complète, il convient également de penser à l'animation. « De nouveaux métiers émergent, avec des compétences adaptées pour gérer ces espaces en mode agile et faciliter les processus d'innovation », souligne Alexandra Villegas. « Un lieu décadrant avec un mobilier sur roulette ne suffit pas à engendrer la créativité ou l'innovation. Il faut accompagner ce processus. Dans ces nouvelles typologies d'espaces, il est autant question de lieu que de méthode », affirme Pierre-Olivier Pigeot.
L'espace Wellio à Marseille propose une zone de bureaux privatisables, accolée à une partie brainstorming en amphithéâtre avec gradins et cubes modulables.