
Après avoir connu un véritable essor il y a quelques années, où en sont les conciergeries d’entreprise ? « La crise a mis plusieurs acteurs en grande difficulté », observe Dominique Delattre, directrice de l’environnement de travail chez Saint-Gobain. C’est aussi ce que révèle une étude menée par Xerfi intitulée « Les stratégies des acteurs sur les marchés de la conciergerie à l’horizon 2023 - nouveaux défis et leviers de riposte face à l’arrivée de nouveaux entrants ». Le recours massif au télétravail et au chômage partiel a pénalisé l’activité des conciergeries d’entreprises. « Nous avons perdu une partie de la présence sur site du fait des confinements, et donc, forcément le volume d’activités qui était lié », confirme Laurent Allemand, directeur général de Circles France, le service de conciergerie de Sodexo. Conséquence des révisions tarifaires et du recul des signatures de nouveaux contrats, l’activité des conciergeries du panel interrogé par Xerfi a plongé de 14,5 % en 2020. « Certains résistent mieux que d’autres, je pense notamment à ceux issus du FM, qui ont les reins plus solides financièrement », note toutefois Dominique Delattre. La situation est en revanche plus compliquée pour d’autres acteurs… Pour Stéphanie Cardot, fondatrice de To Do Today, « les acteurs de conciergerie pure ont beaucoup souffert et vont certainement encore souffrir car nous sommes dans des logiques d’optimisation des mètres carrés et des coûts ». En effet, du côté des donneurs d’ordres, l’heure est à la réflexion et à l’optimisation. C’est le cas chez Saint-Gobain, qui a emménagé dans sa nouvelle tour à la Défense il y a deux ans, en pleine crise Covid. Depuis l’ouverture, le taux d’occupation n’a pas dépassé les 50 %. « Conséquence, sur la salle de sport, nous avons réduit, confirme Dominique Delattre. Nous étions ouverts de 7h30 à 20h, en continu. Depuis la rentrée de septembre 2021, nous sommes ouverts le matin avant 10h, entre midi et deux et après 16h30. En parallèle, nous avons développé une nouvelle offre avec un pass journalier, là où l’on avait un abonnement mensuel ou annuel auparavant, pour essayer de capter le plus de collaborateurs possibles. Et ce, sans les obliger à un effort financier qui ne correspond pas à leurs besoins, et sans tuer les services dans l’entreprise non plus. Je réfléchis également au partage de services, qui peut être une piste intéressante. C’est-à-dire ouvrir notre salle de sport aux entreprises alentours afin de mutualiser les coûts et maintenir le service dans la tour ».
Une nécessaire bascule digitale
Du côté des prestataires, il a également fallu s’adapter à cette nouvelle donne. « Ils ont tous cherché la solution pour passer la frontière de l’entreprise et atteindre leurs clients en dehors pour compenser la baisse de chiffre d’affaires », commente Dominique Delattre. Une solution forcément… digitale. « Grâce à notre plateforme en ligne, My.Circles, nous avons pu basculer une partie de nos services en services à domicile. Je pense au pressing, au panier bio, à la livraison de repas… Avec cela, nous avons été capables de maintenir le lien directement à domicile. Pour autant, évidemment, le volume n’a pas été le même, mais cela nous a permis de rebondir rapidement », témoigne Laurent Allemand.

© Circles France
Même constat du côté de To Do Today, pour qui la plateforme digitale est devenue « le service qui a permis de garder le lien entre un propriétaire et ses occupants, ou entre une entreprise et ses salariés ». L’acteur a lancé deux offres digitales durant les confinements : une dédiée à « l’intergénérationnel » proposant des cours de langues, de cuisine en famille… et une autre plus axée autour de la santé et du bien-être avec des conseils en matière d’ergonomie du poste de travail, etc. « On avait commencé à travailler sur cette logique digitale avant le Covid. La crise est venue renforcer cette approche. L’objectif est que le service puisse se décliner quelle que soit la taille de l’immeuble, et quel que soit le taux d’occupation, avec une grande agilité et flexibilité mais surtout, sans faire de sacrifice sur le contenu », ajoute Stéphanie Cardot. De nouvelles perspectives qui laissent espérer une remontée du marché. Selon Xerfi, le secteur devrait connaître une croissance de 7,5 % en moyenne d’ici 2023.
(Re)créer le lien social, nouvel impératif
L’avenir des conciergeries se jouerait-il alors au bout du smartphone ? En partie, mais pas que… Les acteurs sentent la nécessité d’évoluer dans leur activité, sur la forme, mais aussi sur le fond, en allant notamment vers des offres multiservices et d’hospitality management. « Le modèle multiservices est aujourd’hui devenu la norme sur le marché de l’immobilier, confirme Stéphanie Cardot. C’est ce qui est le plus demandé car avec une même équipe, on peut avoir la capacité d’en faire plus, avec des agents plus polyvalents ». L’entreprise travaille d’ailleurs sur un projet d’envergure : la création d’une « ruche » dans la tour Emblem à La Défense, regroupant un espace multiservices avec zone de coworking et meeting, un espace collaboratif et expérientiel et un espace « cocon » avec studio de bien-être, coiffure, esthétique, etc. Un marché très dynamique selon Laurent Allemand, surtout auprès des acteurs de l’immobilier de bureaux. « Ils ont besoin de valoriser leurs biens par cette dimension servicielle. C’est ce qu’on appelait l’hospitality. Aujourd’hui, on parle d’hôtellification, mais l’idée est la même : offrir la meilleure expérience au visiteur ou à l’occupant du lieu. Et pour cela, on va jouer sur la polyvalence du concierge d’immeuble et sur son esprit de services. C’est un modèle très demandé, on vient encore de remporter de nouveaux contrats à La Défense notamment, mais pas que. Les acteurs de l’immobilier s’engagent dans cette démarche pour faire face à la concurrence des groupes hôteliers qui développent, eux aussi, des espaces pour accueillir les salariés et entreprises », observe le directeur général de Circles. La filiale de Sodexo développe notamment des applications d’immeuble permettant de mettre en place des événements locaux, de faire passer des informations, etc.

© To Do Today
To Do Today travaille sur un concept de "ruche" pour la nouvelle tour Emblem. Le principe ? Un espace multiservices avec zone de coworking et meeting, un espace collaboratif et expérentiel et un espace "cocon" avec studio de bien-être, coiffure, esthétique, etc.

@ To Do Today
Côté clients finaux, le besoin s’est également décalé avec la montée du travail hybride. Les entreprises ont, encore plus qu’hier, des attentes pour animer les communautés, de créer du lien social. « Il y a un vrai besoin autour de la marque employeur, de la qualité de vie au travail. Nous avons développé une offre spécifique, qui fonctionne très bien, pour répondre à cet impératif de garder le lien entre les équipes », commente Laurent Allemand. Nommée « Be Connected », cette offre digitale de services de conciergerie intervient, sous la houlette du community manager, dans l’organisation d’événements sur site et à distance grâce à un calendrier d’animations sur-mesure : ateliers culinaires, moments de détente et bien-être, actions solidaires et discussions, sur des thèmes variés.
Percée des attentes sociétales et environnementales
Au-delà du besoin de lien social, les salariés expriment de plus en plus de nouvelles attentes, plus en phase avec le contexte actuel et leurs aspirations personnelles. Si, en tant que consommateurs, les Français ont de plus en plus les yeux rivés sur les produits et services « responsables », cela vaut également pour l’entreprise. « Il y a eu une grosse percée des attentes sociétales et respectueuses de l’environnement », confirme de son côté Dominique Delattre. « Chez nous, c’est très fort. On constate en réel engouement sur les choses « saines ». C’est vrai sur l’alimentation, mais aussi sur l’utilisation des produits de la vie quotidienne en général. Les collaborateurs nous demandent par exemple des animations pour apprendre à fabriquer son propre savon, lessive, etc. Il y a un regain d’intérêt sur le « home made », le zéro déchet… Les salariés sont attachés au sentiment de bien-être et d’être utile à la société en participant à l’effort collectif pour protéger l’environnement », poursuit-elle.
Une tendance que Laurent Allemand constate également, avec une hausse des demandes sur la mobilité par exemple. « 20 % des français ont changé leur façon de se rendre au bureau et ont par exemple opté pour un vélo. Aussi, depuis quelques mois, on a de nombreuses sollicitations sur les ateliers pour entretenir son vélo ». Une prise de conscience écologique… qui a notamment inspiré Tamara Brisk, fondatrice de Mökki, un service qui entend favoriser l’économie circulaire au sein des lieux de travail (voir encadré). « Nous devons anticiper les besoins des travailleurs de la nouvelle génération, voir ce qui compose leur quotidien et les implanter dans les immeubles », indique la fondatrice.

@ To Do Today
Stéphanie Cardot, de To Do Today note également un réel intérêt pour les sujets autour du bien-être et du « care ». « C’était déjà fort avant le Covid, mais cela devient essentiel, notamment avec l’enjeu très fort de la santé mentale et de la prévention des risques ».
En route pour l’hybride ?
Si les conciergeries ont dû pour certaines basculer leurs services en digital à marche quelque peu forcée, ce modèle est-il pour autant amené à se pérenniser ? « Les services doivent désormais être livrés à domicile puisque le télétravail est une prolongation du travail de l’entreprise vers le domicile du collaborateur », répond Dominique Delattre. La conciergerie fera-t-elle alors, elle aussi, sa mue vers un mode hybride mêlant à la fois services sur site et à distance ? « Ce que j’attendrais de ma conciergerie d’entreprise demain, c’est qu’elle soit à la fois présente en entreprise et dans mon centre-ville et qu’elle soit capable de faire le lien entre les deux et de s’adapter à ma présence et mon besoin. Je peux par exemple déposer mes chaussures à La Défense et vouloir les récupérer une semaine plus tard dans mon centre-ville, voire me le faire livrer à mon domicile », témoigne la DET de Saint-Gobain. Selon elle, la conciergerie devra également endosser le rôle de logisticien, capable d’assurer les différents besoins. Mais Stéphanie Cardot met en garde : « le service à domicile coûte toujours plus cher que celui sur site, en raison du dernier kilomètre ». Qui paiera l’addition dans ce cas ? « Je crains que ce ne soit pas l’entreprise qui absorbe ce coût. Avec le télétravail, l’objectif n’est certainement pas d’augmenter le coût du poste de travail, mais bien de le diminuer ! Ce qui veut dire que ce sont les salariés qui paieront pour un service adapté. Au même titre qu’ils paient pour des livraisons de colis chez eux plutôt que dans un point relais éloigné dans la vie de tous les jours. Ce sera leur choix de payer plus cher ou non, mais l’important est qu’ils aient le choix », ajoute Dominique Delattre. Mais avant de développer ce modèle, il faudra se poser la question du maillage territorial… Toutes les conciergeries n’étant pas à-mêmes de gérer les demandes des collaborateurs à domicile. « Elles vont devoir réadapter leurs offres, en termes de services mais aussi d’un point de vue géographique… Et qui sait, peut-être qu’il va y avoir un boum des sociétés qui gèrent les derniers kilomètres ! », ajoute-t-elle. Si le secteur de la conciergerie a visiblement réussi à prendre le virage du digital pour passer la crise du Covid, son modèle économique devrait encore évoluer dans les mois à venir pour réussir désormais à surfer sur la vague du travail hybride…

« Tout est parti de mon expérience personnelle, confie Tamara Brisk, qui a fondé en 2019 Mökki, service en faveur de l’économie circulaire au sein des lieux de travail. Je voulais me débarrasser de ce qui était dans mes placards mais cela était extrêmement chronophage… L’expérience utilisateur est compliquée sur les plateformes type Vinted, Backmarket. Une fois que j’ai vendu mon objet, il faut que je trouve un point relais pour le déposer, de quoi l’emballer, imprimer l’étiquette, etc. En fait, je voulais qu’on le fasse pour moi. C’est comme ça qu’est née l’idée de Mökki ! » La start-up met à disposition des salariés des « Mökkispaces » dans les immeubles de bureaux afin de démocratiser la consommation responsable en favorisant l’économie circulaire. « Ça s’inscrit dans les tendances de consommation et les habitudes des Français. Et l’immeuble devient un bien de consommation », commente la dirigeante. Concrètement, les salariés arrivent avec leurs habits, objets, ou autres dont ils ne se servent plus, les déposent dans les points de collecte et d’évaluation, les fameux « Mökkispaces », et les équipes de Mökki se charge de les trier et redistribuer vers des associations, des plateformes de recyclage ou de revente. « C’est un travail plutôt logistique », souligne Tamara Brisk. Pour l’heure, la start-up bénéficie de deux implantations à la Défense, dans la Tour Initiale et la Tour Alto et revendique près d’une tonne d’objets recyclés. Une troisième ouverture devrait bientôt voir le jour dans l’immeuble Joya, à Val-de-Fontenay. À terme, Mökki ambitionne également de pousser les portes des centres commerciaux et ensembles mixtes afin d’atteindre les 10 implantations en 2022.
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