Particulièrement sensibles aux sirènes de la pause déjeuner, les salariés français, de plus en plus habitués aux bons petits plats maison ne se satisfont désormais plus du traditionnel steak frites à midi. Pour les attirer dans leurs bureaux, les restaurateurs leur concoctent désormais des recettes respectueuses de leur estomac et de la planète, au prix d’une refonte du modèle économique du secteur qui peine encore à imposer le juste prix de ses prestations. Regards croisés de quatre restaurateurs et d’un property manager sur les défis passés et futurs de la restauration d’entreprise.
« Nous devons désormais savoir leur proposer des recettes internationales élaborées avec des produits locaux », Marc Perdriel Durand, directeur marketing adjoint chez Elior
Aujourd’hui la restauration représente un véritable enjeu d’attractivité et de rétention des talents. On assiste à une inversion des demandes, ce sont désormais les entreprises qui réagissent aux attentes de leurs salariés. Ces dernières sont de plus en plus protéiformes et élastiques entre les différentes typologies de convives mais il est possible de les réunir autour de quatre piliers : la conscience, le mieux-être, la territorialité et une expérience augmentée. Les deux premiers témoignent d’une prise de conscience massive de l’impact de l’acte de consommation sur l’environnement mais aussi sur le bien-être, une idée particulièrement ancrée chez les plus jeunes générations. Faute de voyager en avion et d’alourdir leur bilan carbone, ces dernières reportent leurs attentes de découverte dans leur assiette. Nous devons désormais savoir leur proposer des recettes internationales élaborées avec des produits locaux. Les deux derniers piliers sont l’expression d’un besoin de flexibilité répondant au critère anytime, anywhere, any device (ATAWAD). Nous sommes passés du modèle du "bureau comme à la maison" à un modèle du "bureau comme à l’hôtel", et sur ce volet nous sommes en concurrence avec les enseignes commerciales présentes à l’extérieur du bâtiment. Même si la pause méridienne reste notre activité principale, le défi est désormais de répondre à la moyenne de huit actes de consommation par jour d’un jeune salarié, tout en respectant des normes RSE. Pour cela, au lieu de partir d’un pourcentage strict de produits locaux dans chacune de nos recettes, nous avons fait le choix de monter des projets clients ancrés dans leur territoire et ainsi valoriser la relation avec des producteurs de proximité. Des évolutions notamment permises par des demandes en termes RSE de plus en plus pointues au point parfois même de dépasser le cadre légal.
« Nos clients ont des cycles de transformation de plus en plus courts, 3 ans en moyenne aujourd’hui contre 5 à 10 ans avant la crise sanitaire », Sabine Sakthikumar, directrice générale du segment restauration urbaine chez Sodexo
Depuis la fin de la crise sanitaire, de nouvelles attentes se dessinent concernant les espaces de restauration, au-devant desquelles celle d’une nouvelle diversité, qui n’a pas tant trait au choix des menus qu’à la capacité à répondre aux différents usages. Les salariés souhaitent désormais avoir le choix entre une commande en ligne avant la pause de midi, un déjeuner plus haut de gamme pour un rendez-vous client ou encore une restauration sur le pouce pour les plus pressés – et cela, tout au long de la journée, du petit-déjeuner au goûter voire au déjeuner du lendemain. Vient ensuite la volonté de consommer de manière responsable et durable, une demande particulièrement portée par les jeunes générations récemment arrivées en entreprise. Leur appétence pour des recettes plus végétales et la street food ont bousculé les codes de l’alimentation mais aussi du service, amenant les entreprises à transformer leur offre. Un coût supplémentaire dans une période d’inflation emmenée par l’envolée des prix des matières premières et des salaires du secteur. Si la plupart des entreprises acceptent une répercussion de l’augmentation des prix alimentaires sur celui des prestations, elles attendent en retour une vraie évolution de l’offre. D’autant que nos clients ont des cycles de transformation de plus en plus courts, 3 ans en moyenne aujourd’hui contre 5 à 10 ans avant la crise sanitaire. Notre premier défi est donc de nous adapter de plus en plus rapidement et de ne pas être frileux quant à la prise d’engagements forts. Si auparavant les entreprises achetaient une marque, elles recherchent aujourd’hui une réelle expertise et un accompagnement dans la construction d’une offre sur mesure et d’un service qui leur ressemble. Le second défi est celui de l’augmentation des prix de l’énergie, en plus de l’inflation alimentaire, le coût énergétique étant quant à lui moins bien accepté par les entreprises puisqu’il n’apporte pas de valeur à l’offre en tant que telle tout en pesant sur le prix global d’un repas. Cela nous impose une réflexion sur de nouveaux modèles beaucoup moins énergivores.
« Depuis le covid, l’enjeu est de toucher des populations de plus en plus habituées à rester à la maison », Stephan Streicher, directeur France BaxterStorey
Le modèle économique qui a régi la restauration pendant des décennies se basait sur une optimisation des coûts, et par ricochet, de la qualité des repas. Aujourd’hui, ce modèle est en train de disparaître au profit d’une réelle recherche de qualité et d’attractivité des offres de restauration quitte à ce que les prix augmentent. Le secteur est alors passé d’un modèle de mass market entraînant une standardisation de l’offre à une offre personnalisée à la fois en termes de contenu de l’assiette mais aussi d’aménagement des lieux de restauration. Des recettes végétales trouveront leur place dans une entreprise qui propose déjà des cours de yoga ou des salles de relaxation à ses salariés, là où une entreprise au rythme de production effréné aura besoin de repas plus rapides à produire et plus copieux. Depuis le Covid, l’enjeu est de toucher des populations de plus en plus habituées à rester à la maison. Mais les entreprises du secteur sont aujourd’hui prises en étau entre une demande fluctuante et des contraintes budgétaires accrues. Pour y faire face, elles ont mis en place des stratégies visant à réduire les coûts opérationnels tout en optimisant l'utilisation des ressources. Cela passe par des mesures telles que la rationalisation des menus, la gestion efficace des stocks, l'optimisation des processus de production et la négociation de contrats avec les fournisseurs pour obtenir des prix plus avantageux. Certaines ont aussi adopté des approches de tarification plus flexibles pour s'adapter aux besoins changeants de leurs clients, notamment en proposant des formules de repas à la carte ou des formules en livraison. En parallèle, les entreprises du secteur sont attendues sur des sujets de durabilité et de responsabilité sociale, et investissent donc dans des pratiques agricoles durables en favorisant notamment l'approvisionnement local, et mettent en place des politiques contre le gaspillage alimentaire. Des initiatives qui entraînent initialement des coûts supplémentaires mais qui sont souvent perçues comme un investissement rentable à long terme, améliorant la réputation de l'entreprise et répondant aux attentes croissantes des clients et des parties prenantes en matière de durabilité.
« L’offre de restauration a un rôle de création et de fédération du collectif », Julien Goupit, directeur général adjoint d’innovation et de l’excellence opérationnelle chez Compass Group France
Cela fait trois ans que nous faisons face à une demande beaucoup plus segmentée de la part de nos clients, ce qui nous oblige à une distribution elle aussi plus segmentée. Il faut pouvoir à la fois répondre aux demandes d’entreprises sans cuisine interne comme à celles de plus grandes entreprises qui ont vu une déstructuration de leur stratégie immobilière et des modes de travail de leurs salariés, en demande d’une vraie efficacité sur site sans rogner sur la sécurité alimentaire. Pour les unes comme pour les autres, l’offre de restauration a un rôle de création et de fédération du collectif. C’est pour répondre à cet enjeu croissant qu’une part d’entre elles est à la recherche d’une offre plus marquée et haut de gamme avec une expérience culinaire particulière. Un défi qui ne peut être mené sans considérer la demande grandissante de décarbonation de l’assiette de la part des convives. Malheureusement cette envie n’est pas toujours suivie de vrais engagements. Il existe une réelle décorrélation entre les attentes et la capacité de payer l’addition pour nos clients. Cette tension se cristallise très clairement dans la crise agricole que nous avons récemment vécue. Nous devons naviguer entre inflation et valorisation au juste prix des filières agricoles françaises. Je considère que les entreprises du secteur ont un rôle d’intérêt public sur ces sujets, en ce que nous sommes le trait d’union entre les clients, les convives et les collaborateurs. Cet engagement donne du sens et une valeur à nos métiers, un atout certain pour attirer de nouveaux talents. Pour défendre une cuisine de qualité réalisée sur place avec de bons produits, nous avons besoin que nos clients continuent de nous accompagner en prenant en charge un peu plus l’inflation des produits et du prix de la main-d’œuvre.
Le point de vue d’un property manager : Jérôme Buchet, président & fondateur associé d’Osmose Property Management
Commercialement la restauration est le service le plus important d’un immeuble tertiaire. Avec l’évolution de l’utilisation des bureaux depuis la crise sanitaire, les entreprises sont à la recherche d’une optimisation des services sur site, avec l’exigence qu’ils soient directement opérationnels et efficaces. Des critères qui ont pour objectif d’attirer les salariés au bureau et d’y maximiser la productivité des équipes. Les restaurants d’entreprise sont aujourd’hui en concurrence avec les pizzerias, brasseries et autres restaurants de street food à l’extérieur des bâtiments et intègrent donc ces nouveaux repas à leur offre pour convaincre le collaborateur de rester dans les locaux durant sa pause déjeuner. De plus en plus de menus végétariens et véganes sont aussi proposés pour s’assurer que chacun puisse s’y retrouver. Une concurrence qui dépasse l’assiette et se joue également du côté du service en salle, les entreprises ne recherchant pas forcément plus de personnel mais un personnel mieux formé. Mais la qualité et la diversité des menus ainsi qu’un service plus qualifié ont un prix, alors que les restaurateurs doivent continuer de délivrer une prestation perçue comme plus abordable que celle d’un restaurant ou d’un take away classique. C’est pourquoi les prestataires réfléchissent aujourd’hui à l’optimisation de leur production et des frais fixes et proposent des offres impliquant une préparation sur place minimale, des plats en libre-service et des services de livraison.