
Avec le recul, on pourra dire que l’acte de naissance de la digital workplace remonte véritablement à la deuxième quinzaine de mars 2020. Devant organiser la généralisation du télétravail, les entreprises se sont dotées, dans l’urgence, d’outils digitaux pour maintenir leur activité et collaborer à distance. Au début de ce premier confinement, elles ont utilisé un ensemble disparate de solutions, issues parfois de l’univers grand public, comme Zoom pour la visioconférence, WhatsApp ou Slack pour la messagerie instantanée, Google Drive ou Dropbox pour le partage de fichiers. Après quelques semaines de flottement, la DSI a repris la main afin de proposer des outils professionnels répondant aux exigences de sécurisation et de performances. Cette période exceptionnelle a conforté l’importance de mettre en place une véritable digital workplace. Ce concept consiste notamment à rassembler, au sein d’un même environnement de travail numérique, l’ensemble des briques fonctionnelles pour collaborer à distance : la visioconférence, bien sûr, mais aussi la téléphonie, le chat, le partage et la coédition de documents, l’agenda partagé, la gestion de projet, ou encore les sessions de brainstormings. Organisée autour de la notion d’équipe, la digital workplace prolonge l’expérience que le collaborateur connaît dans le monde physique et centralise l’accès à toutes les informations. Les membres d’une même équipe projet s’interpellent par chat, poursuivent leur conversation en appel audio, se réunissent en visioconférence, annotent un document partagé, coordonnent leurs agendas.
Un marché fragmenté aux multiples acteurs
Ce marché de la digital workplace se montre particulièrement dynamique. Le cabinet d’études Markess by exægis estimait, juste avant la crise sanitaire, la croissance du marché français à près de 5 % par an avec un objectif de 2 milliards d’euros à horizon 2023. Depuis, la pandémie a aiguisé les appétits et un nombre croissant d’acteurs se positionnent sur le segment. Ces fournisseurs viennent du monde du réseau social d’entreprises (RSE) (Jalios, Jamespot, eXo Platform, Talkspirit...), de la virtualisation du poste de travail (Citrix, VMware...), des communications unifiées (Mitel, Alcatel Lucent Enterprise...), de la visioconférence (Zoom, Cisco WebEx…), de la messagerie d’équipe (Slack, Teams) et, bien sûr, du travail collaboratif avec Google et Microsoft et leurs suites respectives G Suite et Microsoft 365.
À partir de son positionnement historique, chaque acteur a complété son offre. Spécialiste de la téléphonie d’entreprise, Mitel a lancé, avec MiCollab et MiTeam Meetings, des modules de chat, de vidéo et de partage de documents. Pure player de la « visio », Zoom s’est renforcé sur la partie collaborative en proposant le partage d’écran ou la fonction tableau blanc. Microsoft a fait, lui, le pari d’agréger dans Teams différentes briques de son écosystème comme OneDrive pour le stockage et le transfert de fichiers, OneNote pour la prise de notes, Planner pour la gestion des tâches ou Skype for Business pour la visioconférence. De son côté, Google a conçu sa digital workplace autour de Gmail. Sa messagerie est l’interface centrale à partir de laquelle l’utilisateur traite l’information avec une logique de flux, puis interagit avec d’autres briques de G Suite comme le calendrier, la réunion en ligne ou la coédition de document.
Introduire de nouvelles pratiques collaboratives
Au-delà du choix de la plateforme, Philippe Pinault, PDG de Talkspirit, insiste sur l’importance de la conduite du changement. « La prise en main de ces outils est simple, observe-t-il. En revanche, les salariés viennent au collaboratif avec leurs réflexes d’avant. Il faut donc les acculturer aux nouvelles pratiques de travail. La coédition en ligne d’un document suppose une autre attitude que de réviser un document par des aller-retours par mail. » Pour Arnaud Rayrole, directeur général du cabinet de conseil Lecko, il ne suffit pas de mettre une nouvelle plateforme à disposition des utilisateurs pour qu’ils abandonnent leurs anciennes pratiques. Il en tient pour preuve l’excellente santé de l’e-mail qui, à cinquante ans passés, se porte comme un charme. « Si la mise en place d’une digital workplace réduit mécaniquement les échanges de courriels, la messagerie reste le principal canal de communication, surtout vers l’externe. Passer du mail à une messagerie d’équipe suppose d’organiser des espaces communs pour rendre l’information accessible à tous.» Selon lui, il convient également de rappeler quel outil utiliser pour quel cas d’usage. Quand doit-on converser par mail, chat, appel audio ou visio ? Au-delà de cette gouvernance de l’information, une digital workplace questionne, selon lui, les pratiques managériales. « Les équipes utilisent essentiellement le chat et la visioconférence et se retrouvent saturées d’informations et de réunions. L’enchaînement des visios peut entraîner de la fatigue professionnelle. À la DRH de prévenir les risques psycho-sociaux et garantir le droit à la déconnexion. »
DSI, DRH, DET… un chantier collaboratif ?
La mise en œuvre d’une digital workplace pose donc des questions à la fois techniques, organisationnelles et managériales. Projet transverse à forte visibilité, il bénéficie le plus souvent du sponsor de la direction générale. Son leadership est, en revanche, contesté entre plusieurs directions support. La direction de la communication est généralement associée pour favoriser l’adoption de la plateforme et l’enrichir en contenu. Sur le plan technique, la DSI est quant à elle incontournable. Elle participe, en amont, au choix de la solution puis intervient, en aval, pour son intégration dans le système d’information. Il s’agit notamment de s’interfacer à l’annuaire d’entreprise et aux applications métiers. Mais selon des études menées par WeLoop en 2020, le manque de communication entre les DSI et le reste de l’entreprise freinerait l’adoption de la digital workplace et la transformation digitale. Pour 38 % des répondants, l’élément le plus important pour le succès de sa digital workplace est en effet d’avoir des équipes informatiques proches des équipes métiers.
Ce fût notamment le cas pour la Région Île-de-France. Garant de l’engagement collaborateur, la DRH a vu, avec la crise sanitaire, son rôle renforcé et a tenu ainsi un rôle particulièrement actif dans le choix des outils collaboratifs avec la DSI et les équipes de Microsoft. «Une cartographie des outils existants a été réalisée. Il s’agissait ensuite d’évaluer quels outils étaient nécessaires pour quels métiers puis procéder à une sélection», explique Fabienne Chol, DGA en charge des ressources humaines. Le pôle RH a ensuite organisé des sessions de formation à distance et une série de tutoriels. « Des outils collaboratifs comme Teams, Trello, Klaxoon ou Planer sont très importants mais ils peuvent paraître froids au début, tempère Fabienne Chol. Il faut se les approprier pour qu’ils puissent favoriser le maintien du lien social. » Fort de son expérience, le pôle RH a distillé ses bonnes pratiques à tous les franciliens dans un guide intitulé « Les outils digitaux du travail à distance ».
Préparer le monde d’après
D’ores et déjà, le pôle RH de la région Île-de-France prépare le monde d’après en mode hybride, mêlant présentiel et distanciel. « Paradoxalement, en télétravail, tout le monde est au même endroit derrière son écran, note Fabienne Chol. Il faudra demain assurer cette parfaite égalité entre les agents présents physiquement dans la salle de réunion et les autres qui interviennent à distance. » L’organisation en mode hybride passera notamment par l’aménagement de l’espace de travail. Le nouveau siège de la région Île-de-France à Saint-Ouen est en total open space pour répondre à tous les modes de collaboration avec des salles de réunion de toute taille pouvant accueillir 4, 12 ou 25 participants. De même, Carrefour a optimisé son site de Massy pour les nouvelles pratiques collaboratives avec de grandes salles de réunions transparentes et, à l’autre bout du spectre, des cabines isolées acoustiquement pour faire des Google Meet en solo. Les salles sont équipées en Chromebox de Google et d’équipements de visioconférence du constructeur Poly. Les postes de travail sont dotés, eux, de prises accessibles au niveau du bureau, et d’un chargeur à induction pour les terminaux mobiles. « Le collaborateur n’a pas à se poser de questions de logistique, se réjouit Thierry Grau, responsable environnement de travail chez Carrefour. Il arrive, s’installe et peut travailler. Que ce soit au bureau ou à la maison, le collaborateur doit retrouver l’ensemble de ses outils et la même ergonomie. » Objectif : proposer une expérience collaborateur sans couture dans un monde phygital.
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