
Le digital s’immisce désormais partout dans nos vies et l’environnement de travail ne fait pas figure d’exception. Accélérée par le développement du télétravail et des modes de travail hybrides, la transformation digitale de nos bureaux est bel et bien en route. Gestion des espaces, gestion du confort, mise à disposition de services, animation des communautés, collaborations… Désormais, tout ou presque peut se piloter depuis un ordinateur ou un smartphone. Si bien que les entreprises imaginent leur environnement de travail sous un angle nouveau, davantage tourné vers le phygital. Un terme que l’on avait plutôt l’habitude de retrouver dans le milieu du retail... « Face à la fragmentation du temps et du lieu de travail, les entreprises cherchent à installer une continuité pour maintenir le sentiment d’appartenance. L’outil digital, qui propose une interface unique face à un certain nombre de besoins, qui pourront s’exprimer de près, de loin, en temps réel, en temps différé, peut y contribuer. Réciproquement, les prestataires de services et les DET doivent porter les services auprès des utilisateurs et pour cela savoir où ils sont, de quoi ils ont besoin, comment les joindre. Dans les deux sens le digital assume une mise en relation qui traduit concrètement une présence. Le digital en support des services d’environnement de travail est devenu une des façons pour l’entreprise d’être présente auprès de ses collaborateurs », commente Joël Larousse, responsable du département expérience utilisateurs de la direction environnement de travail à la SNCF, où il mène un projet de transformation digitale d’envergure depuis maintenant plusieurs mois. Une tendance confirmée par Sandrine Radé, directrice des partenariats stratégiques et innovation chez Movework, une plateforme de pilotage et d’exploitation des activités de services. « L’objectif est de tendre vers un bureau sans couture, avec la possibilité d’accéder à tous les services peu importe où l’on va situer et ce, juste à temps, dans le juste besoin. »
« On doit aujourd’hui plus qu’avant penser “Atawadac” : anytime, anywhere, any device, any content. »
Le Covid, assurément un accélérateur
Un phénomène forcément accéléré par la crise sanitaire qui a mis des milliers de salariés en télétravail à marche forcée. « En matière de digital workplace, à l’évidence, nous avons tous appris en deux ans le b a ba pratique qu’il aurait fallu quinze ans à installer dans d’autres circonstances. Mais nous n’avons pas encore de retour sur l’impact que le travail digital distant a sur les salariés et le collectif de travail dans le long terme. Nous ignorons en fait ce que le travail digital distant et massif a comme effet sur le travail. Cette interrogation reste centrale », souligne Joël Larousse. Le Covid a également eu des conséquences sur l’organisation du travail, le collectif et les interactions entre salariés, devenus de plus en plus nomades. « Il y a un sujet de travail asynchrone. Hier on travaillait dans un même lieu pour avancer sur un même projet. Aujourd’hui, nous devons autant, voire plus qu’avant, délivrer des projets en commun mais nous ne travaillons pas sur le même lieu de travail que nos collègues, ni en même temps. Je peux aller au siège social le matin, chez un client l’après-midi et le lendemain être dans un tiers-lieu ou à la maison… Le Covid nous a énormément appris sur ce qu’était le travail asynchrone. Les entreprises doivent à présent accompagner cette transformation qui est très rapide », constate de son côté Séverine Rocchia, directrice générale de WX Solutions, une filiale de Sodexo.
« Ni rivalité, ni opposition »
La mise en œuvre d’un environnement de travail phygital pose à la fois des questions techniques, organisationnelles et managériales. Projet transverse par excellence, il doit embarquer plusieurs parties prenantes. « Avant, les donneurs d’ordres concernés étaient principalement les directeurs immobiliers. Aujourd’hui on commence à voir des équipes pluridisciplinaires avec les DRH, les DSI, les DET, mais aussi la direction immobilière », observe Séverine Rocchia. Sur le plan technique, la direction des services informatiques (DSI) est en effet incontournable. Elle participe, en amont, au choix de la solution puis intervient, en aval, pour son intégration dans le système d’information. « Le rôle du DSI est de plus en plus prépondérant dans les projets phygitaux », affirme Éric Lefiot, président du Sypemi, le syndicat professionnel des acteurs du facility management, du multitechnique et du multiservices.

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Mais le manque de communication entre les DSI et le reste de l’entreprise apparaît souvent comme un frein dans les projets de transformation digitale. Pour Joël Larousse, « c’est une question de temps des organisations ». Il pointe notamment le fait que la robustesse d’un DSI, dans sa relation avec le métier, passe par la mise en oeuvre de schémas directeurs pluriannuels qui pérennisent son action, alors que celle d’un DET consiste à disposer d’une organisation capable de faire face quotidiennement au variable, à l’imprévu, le plus souvent en direct. « Les deux métiers ne sont donc pas du tout au départ dans les mêmes orientations de performance. On ne peut parler ni de rivalité, ni d’opposition. Ils contribuent tout simplement de manière différente à l’entreprise », nuance ce dernier. « Il faut que les DSI acceptent de venir servir les données utiles aux environnements de travail, et d’y voir un investissement pour l‘entreprise, parce qu’elle a désormais besoin de l’outil digital sur ce secteur. De leur côté, les DET doivent accepter de s’astreindre à décrire leur offre de service, à la rigueur méthodologique, à la stabilité des processus métiers et des parcours utilisateurs qui permettent aux DSI de s’emparer de leurs sujets et de les servir correctement. On est à l’orée du questionnement et des échanges, il n’y a pas vraiment de bonnes solutions standards aujourd’hui », ajoute-t-il.
« L’objectif est de tendre vers un bureau sans couture, avec la possibilité d’accéder à tous les services peu importe où l’on va situer et ce, juste à temps, dans le juste besoin », Sandrine Radé, Movework
S’aligner sur le parcours utilisateur
Pour mener à bien un projet de transformation digitale, l’examen et l’analyse du parcours utilisateur est la clé. Et pour cela, il faut réussir à embarquer et à coordonner l’ensemble des parties prenantes en interne, comme en externe. « Mon rôle est d’essayer de faire parler tout le monde de la même chose au même moment ! Avant Covid, nous étions dans une logique de « bout à bout » des services et non dans une logique de « bout en bout », telle qu’elle est requise par un parcours utilisateur digital, indique Joël Larousse. Il y a un travail considérable, tout à fait passionnant, à mener du côté des utilisateurs qui sont les premiers concernés, mais aussi des DET, des prestataires, des services informatiques…. pour se mettre d’accord sur les données nécessaires, comment les capturer, les qualifier, et les traiter. Evidemment, on ne peut pas faire ce travail sans les RH et la finance qui décident du modèle que choisit l’entreprise, et par conséquent de la volonté et de la capacité d’investir. Cela représente beaucoup de monde à mettre d’accord sur le parcours utilisateur du salarié en situation de travail – inconnu il y a un an -, et sa valeur pour l’entreprise. On part de loin ! ».

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Sans compter que chaque partie prenante n’a pas les mêmes besoins et les mêmes enjeux… « On a affaire à différents interlocuteurs, avec chacun des attentes différentes et nous devons à travers une seule plateforme rassembler tous les besoins. Notre prisme doit avoir plusieurs lectures afin d’aligner tout le monde sur un parcours, tout au long de la chaine, jusqu’au prestataire de service qui va nettoyer à l’usage par exemple », ajoute Sandrine Radé. « Une chose est sûre : s’il n’y a pas un projet d’ensemble, avec une capacité à expliciter ce que l’on veut faire vivre aux salariés dans l’entreprise, et quel est le design du service qui en résulte … nous ferons ce que l’on a déjà fait auparavant, dégradé par la distance, donc en moins bien », prévient Joël Larousse.
« Le digital en support des services d’environnement de travail est devenu une des façons pour l’entreprise d’être présente auprès de ses collaborateurs », Joël Larousse, SNCF
Avant Covid, nous étions dans une logique de « bout à bout » des services et non dans une logique de « bout en bout », telle qu’elle est requise par un parcours utilisateur digital
Faire face à l’explosion de la donnée
Qui dit parcours utilisateur digitalisé, dit récolte et exploitation de données… Mais quelles données analyser ? « En cinq ans, on a eu une explosion de la donnée. L’enjeu est désormais de faire le tri. Chaque direction doit savoir quelles données vont être intéressantes pour elle. Je suis convaincue que la data n’a d’intérêt que si elle est au service de l’humain. Elle doit être un facilitateur et non un frein », commente Séverine Rocchia de WX Solutions. Pour Sandrine Radé, le tri doit se faire sur la pertinence de la data. « La donnée est clé, mais il faut qu’elle soit qualitative au-delà d’être quantitative. La donnée propreté n’a de sens par exemple que si on l’intègre dans un parcours d’optimisation de l’agent d’entretien ».
« Nous avons besoin de la donnée travailler mais il y en a aujourd'hui un nombre trop important, avec des données parfois inutiles et coûteuses », Eric Lefiot, Sypemi

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Pour y voir plus clair, douze associations professionnelles du secteur de l’immobilier se sont rassemblés afin de travailler à un référentiel commun d’interopérabilité. Ensemble, elles ont créé l’Alliance Immobilière pour la Convergence Numérique (AICN). On retrouve notamment l’Aproma, l’ADI, l’Arseg, le SBA ou encore le Sypemi. « Nous sommes partis d’un constat : nous avons besoin de la donnée pour travailler mais il y en a aujourd’hui un nombre trop important, avec des données parfois inutiles et coûteuses. L’idée est alors d’échanger entre acteurs de l’immobilier afin de déterminer ensemble les données dont on nous avons tous réellement besoin, celles sur lesquelles on va travailler et celles que l’on peut abandonner car les données inutiles sont les plus coûteuses », explique Éric Lefiot, président du Sypemi.
"En cinq ans, on a eu une explosion de la donnée. L’enjeu est désormais de faire le tri. Je suis convaincue que la data n’a d’intérêt que si elle est au service de l’humain. Elle doit être un facilitateur et non un frein", Séverine Rocchia, WX Solutions
RGPD, cybersécurité… des freins pour l’avenir ?
Quant à l’exploitation de la donnée, les prestataires sont aujourd’hui face à un paradoxe. D’un côté, un besoin de données croissant et de l’autre, une donnée de plus en plus contrôlée. « Au moment où l’on arrive enfin à avoir de la donnée, il y a un panneau d’interdiction qui nous dit : RGPD ! souligne Éric Lefiot. La problématique prend notamment sa source auprès des maitres d’ouvrage, soumis à de forts enjeux de sécurisation de leurs données. Résultat, les clients sont frileux à l’idée d’échanger sur la data. Pour nous, cela représente un vrai frein. »
Par ailleurs, l’enjeu non-négligeable de la cybersécurité peut également effrayer les entreprises dès lors que l’on parle de data. Sur ce terrain, elles ne semblent pas toutes égales en matière de prévention et d’équipements. « Toutes les entreprises que l’on rencontre ont une notion de RGPD, mais elles n’ont pas toutes forcément une notion de cybersécurité. Cela dépend souvent de la taille de l’entreprise, note Sandrine Radé. Une PME va peut-être simplement mettre en place un registre des traitements et considérer que cela suffit. Quand les grandes entreprises se prémunissent avec des outils de type boite noire, boite grise, consistant en une forme d’hacking afin d’identifier d’éventuelles failles dans la sécurité des données. » Côté prestataires, la maitrise de l’enjeu de cybersécurité apparait en tout cas comme un critère indispensable vis-à-vis des entreprises clientes. « C’est même sur ce critère que se fera le tri sur le marché face à la multiplicité d’acteurs », conclut Séverine Rocchia.
REPLAY
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