Entre mesures sanitaires, tensions sociales et économiques, le contexte de 2020 rebat les cartes pour bon nombre de marchés. Le facility management n’y échappe pas. Alors que le secteur opérait sa mue vers une approche de plus en plus servicielle, il est soudain rattrapé par la réalité économique. Les acteurs du FM en ressortiront-ils affaiblis ou, au contraire, confortés dans leur volonté de mutation ? Eléments de réponse.

Si elles sont restées très actives durant le confinement, assurant notamment la maintenance et la surveillance des bâtiments, les entreprises du facility management vont devoir, dans les prochains mois, composer avec des clients fragilisés par la situation sanitaire et économique. « Pour l’heure, il est encore difficile de se prononcer. Nous sommes dans l’expectative et profitons encore de la zone de protection de nationalisation des emplois. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a tout de même un impact dans les métiers du FM, avec des variations différentes selon les activités, dont certaines sont d’ailleurs très ralenties », souligne Éric Lefiot, président du Sypemi et directeur général d’Atalian. Négociation de contrats à la baisse et diminution des prises de nouvelles surfaces devraient être à l'ordre du jour, prédit Xerfi Percepta dans son étude Les défis du facility management face à la crise. « Nous rencontrons des situations complexes avec certains clients, fort heureusement peu nombreux, avec qui les relations contractuelles se sont durcies. Mais d'autres secteurs d'activités ( tourisme, transport...) souffrent davantage de la crise », ajoute Éric Lefiot. De son côté, Virginie Depardieu, chef des ventes et fidélisation FM France chez Elior Services, se dit inquiète pour « les plus petites structures qui s’en sortent beaucoup moins bien. Il y a un réel risque de casse sociale. Nous surveillons tous ces indicateurs et nous efforçons de stabiliser la situation », expliquet- elle. Selon les prévisions du cabinet Xerfi, le chiffre d’affaires des FMers devrait s’inscrire en repli de 4 % en 2020 avant de rebondir de 3 % en 2021. Une évolution inédite dans la période récente pour un marché structurellement en phase d’expansion. La crise marquera-t-elle alors une remise en cause du modèle ? Une accélération de la révolution des usages ? Pour l’heure, aucune piste ne peut être écartée mais certains y voient d’ores et déjà de nouvelles opportunités pour le secteur. 

Une mise en visibilité

Premier constat partagé par tous : le facility management a gagné en visibilité sous l’effet de la crise. « Quand tout le monde était en télétravail, nos collaborateurs et nous-mêmes étions sur le terrain. Les clients se sont rendus compte de l’importance de nos services », commente Corinne Colson-Lafon, directrice générale fondatrice de Steam’O. « Pendant la crise, les FMers ont cherché à adapter leur offre et leur organisation au contexte de crise, en procédant à des redéploiements d’effectifs des secteurs à l’arrêt (comme par exemple l’aérien) vers ceux dont les besoins ont augmenté pendant le confinement (santé ou agroalimentaire notamment). Cela a été entre autres le cas pour Sodexo ou Elior », note Vincent Desruelles, directeur d’études chez Xerfi. Ils se sont également adaptés très rapidement aux besoins en matière sanitaire en instaurant de nouvelles règles pour la restauration collective, des solutions de dépistage thermique de la fièvre, des fréquences de nettoyage augmentées, un protocole renforcé… Sans oublier l’accompagnement des donneurs d’ordres dans la mise en place de règles et bonnes pratiques pour le retour au bureau. Certains métiers ont particulièrement bénéficié de cette mise en lumière comme la propreté et la sécurité. « C’est un moment de mise en visibilité des métiers du FM. Mais cette dernière ne sera que temporaire, note Xavier Baron, sociologue et fondateur du CRDIA. Rappelons-nous de 2008… Il y a eu un tunnel de plusieurs années au cours duquel il a été demandé aux prestataires de faire des efforts pour rétablir les résultats économiques des clients. De nouveau, le risque est de voir des entreprises se saisir de l’occasion pour descendre une marche dans le niveau de qualité attendu avec, à la clé, une dégradation des conditions de travail et une nouvelle tension sur les tarifs ».

Des opportunités sur le court terme…

Ces prochains mois, les FMers vont en effet devoir composer avec des entreprises clientes durablement fragilisées, comme dans l’automobile ou l’aéronautique. Mais la chasse aux coûts pourrait bien être source d'opportunités pour ces derniers. « Leur capacité à réduire les charges, promesse phare des professionnels, constituera plus que jamais un argument de séduction. Sous réserve de clarifier leur promesse de valeur, les FMers pourraient profiter du mouvement de fond en matière d’externalisation des fonctions non stratégiques de l’entreprise. Leur capacité à répondre à des enjeux ESG (environnementaux, sociétaux et de gouvernance) en matière de contrôle des consommations d’énergie et de prise en compte de la qualité de vie au travail sera enfin déterminante », analyse Vincent Desruelles. Les capacités de pilotage des FMers ont été challengées pendant le confinement. Et ceux qui ont réussi à passer ce cap avec succès, à travers une gestion optimale de l’intervention des oeuvrants et des prestataires, ont sans doute marqué des points. Les mutations de l'environnement de travail (réduction des m² occupés, télétravail…) ouvrent par ailleurs la voie à de nouveaux services, en particulier à destination des occupants. « En plus de tirer parti de la révolution des usages, les professionnels vont devoir adapter leurs stratégies de croissance et miser sur les segments les plus porteurs comme le pilotage de la consommation d'énergie », ajoute Vincent Desruelles

Répartition des dépenses de FM par secteur d'activités, en milliards d'euros *

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Comme sur le long terme ?

L’étude de Xerfi-Percepta estime qu’à terme, les FMers pourront compter sur des revenus récurrents issus de contrats pluriannuels. Les acteurs sont par ailleurs bien placés pour répondre à la forte demande de réduction de coûts de leurs donneurs d’ordres, via l’externalisation. Mais les mutations accélérées du monde du travail et des organisations des entreprises imposent de faire évoluer l’offre. Des opportunités de rachat pourraient en effet émerger. Les mutations de la demande favoriseront les acteurs de taille importante, en mesure de proposer davantage de f lexibilité contractuelle et qui ont pris le virage du « workplace management ». Les investissements à consentir dans le cadre de la performance énergétique joueront aussi en faveur des grands groupes. Dans leur enquête « Le marché du facility management à horizon 2025 », les Echos Etudes soulignent que l’évolution du facility management va exiger « à la fois une vision globale de l’entreprise, transversale entre hard FM et soft FM, et simultanément une expertise de plus en plus pointue des métiers du FM, notamment dans le hard FM ». L’objectif étant de proposer des offres de plus en plus personnalisées à l’entreprise donneur d’ordres et sources de valeur ajoutée pour l’utilisateur final. « Cette évolution va entraîner de vastes opérations de rapprochement capitalistique, notamment entre hard FM et soft FM, à la fois pour acquérir l’expertise manquante et la vision transversale. À ceci pourrait s’ajouter des opérations capitalistiques avec des éditeurs logiciels, notamment ceux les plus avancés dans le développement de solutions IWMS », observent les auteurs de l’étude qui notent également une poursuite de la remontée dans la chaîne de valeur amorcée avant 2019, « soit par développement interne d’une cellule de pilotage, soit par acquisition ».

Quelles préoccupations demain ?

Dans une logique BtoBtoC, les stratégies de croissance des acteurs du facility management ont consisté ces dernières années à élargir l’offre en direction des occupants afin d’améliorer la qualité de vie au travail mais aussi dans le cadre de l’excellence environnementale et le contrôle des consommations énergétiques. Cependant, « le développement des services aux occupants (à l’exception des mesures sanitaires) pourrait être mis sur pause, la crise obligeant à procéder à des arbitrages en matière d’investissement », note Vincent Desruelles, de Xerfi Percepta. Demain, être capable de réactivité, face aux besoins en constante mutation des entreprises, deviendra un facteur différentiant chez les acteurs du FM. Le prestataire devra en effet de plus en plus raisonner en termes de « cadre de vie » tant la séparation entre bureau et maison devient ténue. « Aujourd’hui, proposer un espace de travail performant implique de dessiner préalablement la cartographie d’une semaine de différents profils de collaborateurs : les lieux où ils travaillent, les déplacements qu’ils effectuent, les outils qu’ils utilisent selon les contextes, les rythmes de travail, etc. Et proposer des solutions flexibles, quasiment personnalisées. Ainsi, la prestation de FM concernant l’espace de travail ne doit plus considérer uniquement le lieu en tant que tel, mais l’ensemble du process d’une journée de différents profils et concevoir des prestations à la fois au niveau des espaces, mais aussi au niveau des outils virtuels », peut-on lire dans l’étude des Echos. Si ces tendances se vérifiaient déjà dans l’avant-Covid, la crise n’aura fait que confirmer et accélérer les réflexions et recherches de solutions en faveur d’un FM toujours plus tourné vers l’utilisateur et au plus près des besoins réels des clients.