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Plus de flexibilité, moins de transports, un gain de temps et d’efficacité… Pour des collaborateurs mobiles et connectés, le télétravail est un avantage. La France compte 1,8 million de travailleurs à distance, soit 7 % des salariés. La majorité d’entre eux sont des cadres (61 %), d’après l’étude de Dares intitulée « Quels sont les salariés concernés par le télétravail ? » parue en novembre dernier. En 2017, ils étaient 3 % à le pratiquer au moins un jour par semaine. S’il est encore peu répandu, le télétravail gagne néanmoins du terrain. L’assouplissement de ses conditions, acté par les ordonnances Macron en 2017, a développé cette pratique. Dans ce contexte, la question de l’ergonomie en dehors des bureaux de l’entreprise se pose. Le dernier baromètre Actineo témoigne de cette préoccupation. « Nous avons cherché à connaître la satisfaction des collaborateurs concernant les conditions techniques du télétravail, indique Odile Duchenne, directrice générale d’Actineo. Les résultats de notre enquête montrent que 29 % des interrogés le pratiquent, soit une progression par rapport à 2017 où ils étaient 25 % à télétravailler. Parmi eux, 80 % sont globalement satisfaits («plutôt satisfait» et «très satisfait») de la qualité de leur siège à leur domicile mais seuls 38 % sont «très satisfaits». Idem pour la table sur laquelle ils travaillent : 80 % sont plutôt satisfaits mais seuls 39 % affirment être « très satisfaits ». » À ces chiffres s’ajoutent ceux des espaces de coworking. Selon l’enquête Actineo, les principales revendications se portent sur la température (seulement 22 % de « très satisfaits »), l’ergonomie des sièges (25 %) ou le niveau de bruit (26 %).
Des risques physiques et psychologiques
Dans un cas comme dans l’autre, la qualité des installations n’est pas au niveau. « Chez eux, les collaborateurs travaillent le plus souvent sur la table de la salle à manger ou de la cuisine, assis sur une chaise à quatre pieds sans roulette ni dossier, déclare la directrice générale d’Actineo. Je ne suis pas convaincue par l’ergonomie dans les espaces de coworking. Ces lieux mettent beaucoup l’accent sur le «comme à la maison». Mais il faut que ce soit mieux qu’à la maison ! Pour des salariés qui passent plusieurs heures, voire une journée entière dans ces espaces, il n’est pas possible d’être assis confortablement sur des chaises vintage récupérées aux puces ou sur des cubes en bois. » De même, l’assise d’un canapé destiné à la maison n’aura pas l’inclinaison du dossier, ni la hauteur et la fermeté de l’assise adaptées à un travail sur ordinateur.
« Chez eux, les collaborateurs travaillent le plus souvent sur la table de la salle à manger ou de la cuisine, assis sur une chaise à quatre pieds sans roulette ni dossier »
Odile Duchenne, directrice générale d'Actineo
Au-delà des atteintes physiques, le fait de travailler n’importe où, n’importe quand, présente des risques psychosociaux. L’étude de la Dares menée avec l’Insee sur « Le télétravail permet‑il d’améliorer les conditions de travail des cadres ? » s’est notamment intéressée à l’état de santé des télétravailleurs, décrit comme « plus altéré » que celui des autres. Ils ont en effet deux fois plus de chance de présenter un risque dépressif sans que l’on puisse toutefois savoir si le télétravail agit comme un facteur aggravant ou une réponse à cet état. Pour Leonard Benoit- Gonin, docteur en ergonomie et responsable d’activité santé au travail pour le groupe JLO, « le télétravail peut engendrer de l’isolement, de la perte de lien social. Le collectif construit jusqu’alors dans l’entreprise est à repenser avec le travail à distance. Les rapports sociaux et managériaux changent, le travail change. D’où l’importance d’envisager le télétravail dans son intégralité et de prendre le maximum de précaution en amont. » Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui. « Le télétravail est souvent une solution mise en place sans la réflexion nécessaire. Elle est prise par défaut, à la suite d’une demande ponctuelle ou pour pallier le manque de bureaux dans le cas des organisations en flex office », regrette Leonard Benoit-Gonin.
Agir pour éviter le pire
Pour tenter de remédier à ces lacunes, une solution : informer massivement. Jean-Luc Reinero, ergonome et président du Cinov Ergonomie, détaille quelques règles élémentaires. « Toutes les recommandations ergonomiques pour l’installation d’un bureau à domicile doivent répondre aux mêmes normes de santé et de sécurité que dans les locaux d’une entreprise, indique-t-il. Ce qui implique un endroit dédié ou une pièce séparée, afin de limiter les conflits possibles entre vie professionnelle et vie privée. Il faut notamment que l’écran de l’ordinateur soit au niveau des yeux (attention à l’utilisation du portable, très contraignant pour les postures), orientable en hauteur et latéralement, positionné perpendiculairement aux fenêtres pour limiter les reflets et un éclairage artificiel adapté. Le siège doit avoir le confort d’un siège de bureautique. Il faut aussi nettoyer et désinfecter régulièrement son matériel bureautique, utiliser le kit mains libres pour limiter les ondes électromagnétiques sur l’oreille. » Sans oublier de souffler : « il est important de faire des pauses de 15 minutes toutes les deux heures. Elles doivent avoir lieu hors du poste de travail pour quitter la position assise. » Un tas de petits gestes qui, mis bout à bout, peuvent considérablement agir sur la santé du collaborateur.
« Ce serait un retour en arrière si nous ne tenions plus compte des progrès apportés par les industriels de mobilier et de sièges de bureau, en matière de confort, de sécurité et d’ergonomie », lâche Odile Duchenne. Surtout quand on sait que le scénario peut vite devenir cauchemardesque. Une étude du cabinet Fellowes parue en octobre 2019 dresse un portrait-robot alarmiste des employés de bureaux de demain. Dos voûté, varices, ventre bedonnant, yeux secs et rouges, poignets enf lés, eczéma… Si des changements radicaux ne sont pas apportés aux environnements de travail, c’est le sort qu’il leur est réservé. « Les employés vont souffrir à l’avenir de problèmes de santé aussi graves qu’au temps de la révolution industrielle », prédit l’étude. Des problèmes ergonomiques qui concernent évidemment le télétravail. Et sur lesquels les entreprises peuvent agir, dès maintenant.
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