L’intégration des travailleurs handicapés dans l’environnement de travail oblige les entreprises à prendre en compte divers paramètres qui ne se limitent pas à l’accessibilité des locaux : équipements, communication, sensibilisation… Même si de plus en plus d’entreprises s’intéressent au sujet, les conditions de travail des salariés handicapés restent imparfaites. Comment et pourquoi rendre nos bureaux plus inclusifs ?

En France, 12 millions de personnes souffrent d’un handicap, représentant 6,5 % des personnes en âge de travailler. Si certains handicaps sont visibles, 80 % ne se voient pas (cognitifs, sensoriels, maladies invalidantes chroniques, maladies psychiques…). De plus, un nombre important de salariés n’osent toujours pas faire part de leur handicap au travail. Face à ce constat, comment les entreprises s’emparent-elles du sujet ? Les bureaux sont-ils suffisamment inclusifs ?

Les entreprises qui sont considérées comme sensibles aux besoins des personnes handicapées seraient vues comme plus attractives par 89% des Français

Pour y voir plus clair, Génie des Lieux, cabinet d’architecture spécialisé dans les espaces de travail, a mené en avril 2022 une enquête sur les aménagements inclusifs. Elle révèle que les trois quarts des entreprises interrogées affirment être actuellement dans une démarche d’inclusion. Pourtant, derrière ce chiffre encourageant se cachent des pratiques inégales, puisqu’elles ne sont en fait que 47 % à être opérationnelles et actives.

Autre fait important, très peu d’entreprises ont des locaux totalement accessibles aux personnes à mobilité réduite. Uniquement 23 % sont entièrement équipées, quand 29 % ne le sont que partiellement et 22 % seulement un peu. Les grands groupes semblent plus avancés en la matière puisque 39 % de leurs locaux sont complètement accessibles, contre 21 % au sein des PME et 10 % pour les TPE. Des chiffres confirmés par une étude de Malakoff Humanis qui affirme que les grands groupes restent plus inclusifs que les TPE/PME avec 100 % des entreprises de plus de 250 personnes déclarant employer des salariés handicapés contre 72 % pour celles de 10 à 49 personnes.

Toutefois, l’ensemble des entreprises auraient tout intérêt à s’emparer du sujet. À la clé, un enjeu d’engagement et d’attractivité. Les entreprises considérées comme sensibles aux besoins des personnes handicapées seraient vues comme plus attractives par 89 % des Français et 97 % seraient fiers d’une entreprise qui prendrait en compte les personnes à mobilité réduite, comme le confirme l’enquête menée par Génie des Lieux. Plus généralement, 85 % des Français ont déjà réfléchi personnellement à cette problématique d’accessibilité.

61% des entreprises opérationnelles sur les équipements informatiques

Parmi les usages les plus développés par les entreprises interrogées, on retrouve surtout des solutions liées au télétravail. En effet, 61% d’entre elles affirment se sentir opérationnelles sur les équipements informatiques, de visioconférence et bureautique, 57 % concernant les politiques RH et 52 % sur l’organisation du travail et la flexibilité des horaires. En revanche, seulement la moitié s’estime opérationnelle sur l’aménagement des espaces de travail et 32 % sur les solutions individualisées.

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Parmi les freins évoqués par les entreprises à l’inclusion des personnes handicapées, le manque de connaissance arrive en troisième position (21 %), après le type de métiers exercés et les coûts (35 %). Pour pallier ces difficultés, 23 % des entreprises aimeraient plus de communication et d’information et pour 21 % d’entre elles, un meilleur accompagnement par les structures. Lors de l’enquête menée par Malakoff, 43 % d’entre elles estimaient qu’elles devaient s’appuyer sur des organismes spécialisés comme l’Agefiph (Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle) et l’APF France Handicap.

Changer son regard

La communication et la sensibilisation apparaissent ainsi comme des enjeux majeurs alors que seuls 44 % des entreprises communiquent sur le handicap en général. Pire encore, seulement 7 % d’entre elles sont en train de mettre en place des dispositifs d’information. En somme, la moitié des entreprises ne communique donc jamais sur cette thématique, révèle l’étude menée par Génie des Lieux.

Murielle Franck, office manager chez Mattel, fait office de bonne élève. L’inclusion, la diversité et le handicap sont autant de valeurs qu’elle s’efforce de défendre au quotidien. Elle a notamment codirigé un groupe de travail au niveau de la région EMEA (Europe, Moyen-Orient, Afrique) sur le sujet du handicap en entreprise, qu’il soit physique, moteur, auditif, visuel, psychologique mais aussi mental. Elle a par ailleurs fait appel à l’APF pour organiser une journée de sensibilisation autour du handicap. « Les collaborateurs étaient habitués à croiser ponctuellement des travailleurs en situation de handicap employés par des Ésat (Établissement et service d’aide par le travail) à l’accueil ou dans les jardins. Quand nous avons commencé à faire appel à des travailleurs en situation de handicap à demeure, il nous a semblé opportun de lever les barrières. C’est pourquoi nous avons organisé une journée entière de sensibilisation au handicap », raconte-t-elle. « La première partie de la journée, obligatoire pour tous les collaborateurs, s’est décomposée en ateliers ludiques durant lesquels les salariés se sont retrouvés dans les situations que peuvent vivre les personnes handicapées dans l’entreprise. Cela a permis de dédramatiser le sujet auprès des collaborateurs. En tant que donneur d’ordre, c’est à nous de mettre à disposition l’aménagement des espaces de travail à nos collaborateurs et prestataires sur site », souligne-t-elle.

En tant que donneur d’ordre, c’est à nous de mettre à disposition l’aménagement des espaces de travail à nos collaborateurs et prestataires sur site », souligne-t-elle

La prise de parole face aux collaborateurs semble d’autant plus nécessaire que du côté des travailleurs handicapés, le sujet semble toujours difficile à aborder de peur de provoquer des réactions négatives de la part de certains collègues. « Pour que la parole se libère de leur côté, nous avons intégré à notre équipe des employee resource groups. Composés de collaborateurs volontaires, ils œuvrent pour faire connaître et comprendre les différences afin d’améliorer les conditions de travail de certaines minorités telles que : les femmes, les personnes LGBTQIA+, les personnes en situation de handicap… », poursuit Murielle Franck.

Le rôle de ces groupes référents est central. Un employé qui ne se déclare pas auprès de sa hiérarchie est un employé qui compense et s’expose donc a minima à une fatigue chronique. Il est par conséquent essentiel que la parole puisse être libérée. « Lors des entretiens annuels ou trimestriels, l’employeur a la possibilité de demander à l’ensemble de ses collaborateurs de nommer leurs besoins. Cela représente un moment privilégié pour les travailleurs handicapés qui veulent aborder le sujet », complète Christelle Montreuil, conseillère en design inclusif.

De l’approche individuelle à l’approche universelle

Loin d’être bénéfique uniquement aux salariés en situation de handicap, les aménagements inclusifs pourraient par ailleurs bénéficier à l’ensemble des salariés. Christelle Montreuil invite les entreprises à changer de prisme, en ne pensant plus l’accessibilité de manière individuelle, mais plutôt universelle. « Les Anglais ne parlent pas de design inclusif mais d’universal design, qui pourrait être bien mieux traduit par accessibilité universelle en français. Beaucoup d’aménagements de notre quotidien ont été pensés pour les personnes en situation de handicap, mais sont finalement très pratiques pour tous, à l’image des portes automatiques bien utiles lorsque l’on est chargé. » L’objectif est de construire un espace dans lequel chacun puisse travailler et se sentir au mieux malgré les contraintes auxquelles il fait face. Il ne s’agit pas seulement de rendre l’espace accessible pour les personnes à mobilité réduite mais de travailler la perception des usages sonores et visuels pour les personnes malentendantes ou malvoyantes, mais aussi pour les personnes neuroatypiques (troubles du spectre de l’autisme, troubles dys - troubles cognitifs qui entraînent des difficultés d’apprentissage, trouble de l’attention, etc.) qui ont un fort besoin d’isolement pour travailler de manière apaisée. « Ces espaces ne seront pas uniquement utilisés par les personnes autistes, tout le monde a besoin de calme pour se concentrer », signale ­Stéphanie Guinet.

Pour en savoir plus

Parcourir le guide «Télétravailler en situation de handicap» publié par l'Agence Nouvelle des Solidarités Actives (Ansa) qui donne des pistes d'aménagement des postes de télétravail pour chaque type de handicap, disponible sur https://www.solidarites-actives.com

Il n’est donc pas question de créer des espaces dédiés uniquement aux personnes handicapées. « Il faut faire attention aux aménagements trop anecdotiques qui pourraient venir stigmatiser les personnes en situation de handicap », met en garde Aurore Dandoy, chercheuse en management et fondatrice de la Kintsugi factory. Pour éviter ces situations, la co-conception est la clef. « Quand je veux aménager un couloir qui doit à la fois être assez large pour permettre aux personnes à mobilité réduite de circuler, mais assez réduit pour que les personnes malvoyantes aient des repères, je me tourne vers des experts du quotidien, des travailleurs en situation de handicap, qui testent les aménagements et m’adressent leurs besoins et leurs préférences », illustre Christelle Montreuil. Penser accessibilité universelle aujourd’hui, c’est aussi s’assurer une adaptation plus efficace face aux défis futurs. « Le handicap n’est pas linéaire tout au long de la vie, il peut apparaître ou s’intensifier au cours de la vie professionnelle. Il faut que l’entreprise soit préparée en mettant en place des aménagements universels et adaptatifs », conseille la docteure Aurore Dandoy. « On sait que le handicap, qu’il soit permanent, temporaire ou situationnel, a touché ou touchera 100 % de la population au cours de leur vie », ajoute Christelle Montreuil.

« Il faut faire attention aux aménagements trop anecdotiques qui pourraient venir stigmatiser les personnes en situation de handicap »

Le télétravail, la solution ?

Si les bureaux peuvent encore évoluer vers plus d’inclusion, les salariés handicapés sont-ils mieux lotis chez eux ? Après des mois d’expérimentation du télétravail à grande échelle, 63 % des travailleurs handicapés interrogés par l’Ansa estiment en tout cas que le télétravail a plus d’effets positifs que négatifs. Au-delà des avantages bénéficiant à l’ensemble des actifs sans distinction (meilleure gestion du temps, plus d’autonomie et d’efficacité), les travailleurs handicapés trouvent aussi au télétravail des avantages qui leur sont particuliers. Citons par exemple : une meilleure conciliation des soins et de la vie professionnelle, un maintien dans l’emploi de certaines catégories de travailleurs handicapés, notamment ceux souffrant des troubles du spectre de l’autisme ou de maladies chroniques invalidantes, qui limitent grâce au télétravail les risques d’arrêts à répétition. Les entreprises semblent d’ailleurs elles aussi plus investies dans l’aménagement des postes de travail au domicile des salariés handicapés que de leurs propres locaux, révèle l’étude de Génie des lieux menée en avril 2022. Ainsi, 73 % des entreprises ont pris en compte les besoins spécifiques en télétravail des personnes en situation de handicap, contre 47 % en entreprise. « Lors du premier confinement, les entreprises n’étaient pas prêtes du tout. Elles ont tenté d’équiper la majorité des salariés en laissant de côté les cas spécifiques. Mais grâce à cette crise, on a gagné 2 à 3 ans sur l’inclusion digitale Le plus gros du travail aujourd’hui reste de sensibiliser et former les collaborateurs et les entreprises, si possible avant l’apparition du handicap », explique Philippe Trotin, responsable de l’accessibilité chez Microsoft. Pourtant, le télétravail n’est pas la panacée, 56 % des télétravailleurs en situation de handicap font part de difficultés s’agissant de l’aménagement de leur poste de télétravail. Pour 43 % d’entre eux, ces difficultés portent sur la communication avec leurs collègues, notamment lors de visioconférence. Face aux défis du travail à distance, Philippe Trotin souligne l’importance des solutions logicielles dans l’aménagement des postes de télétravail. « Il n’y a pas de surcoût, les salariés travaillent et télétravaillent avec le même ordinateur portable. Ils doivent seulement pouvoir connecter des dispositifs externes comme un micro ou haut-parleur qui vont leur simplifier la vie. » Par ailleurs, si le télétravail peut permettre une meilleure gestion du temps professionnel, il peut aussi mener à un accroissement des risques psychosociaux. Seuls 53 % des travailleurs handicapés interrogés par l’Ansa se déclarent favorables au télétravail, 30 points de moins que pour l’ensemble des télétravailleurs. En cause ? L’accentuation du sentiment d’isolement qui apparaît comme l’une des raisons de cette méfiance à l’égard du travail à domicile.

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