Freinées brutalement dans leur élan par la crise sanitaire, les nouvelles offres de la restauration d’entreprise reprennent du service et s’adaptent au monde du travail post-Covid. La restauration servie à table, marginale jusqu’à présent, pourrait bien s’imposer dans le monde d’après…

Au bureau, le service à table gagne du terrain

Après 18 mois de pandémie, la restauration d’entreprise relève doucement la tête. Déjà en pleine réinvention avant la crise, elle poursuit sa mue. Nouvelles offres, digitalisation… La « cantine » n’en finit plus d’évoluer. Il n’y a qu’à regarder les nouveaux programmes immobiliers pour s’en rendre compte : diversité d’espaces de restauration comme d’offres, intégration de food courts, convivialité, service hôtelier… Les codes de la restauration commerciale s’invitent de plus en plus, permettant aux salariés de retrouver leurs habitudes de consommation aussi bien en dehors qu’à l’intérieur de l’entreprise.Rien ne semble trop beau pour offrir des « expériences inédites » aux occupants et leur donner envie de (re)venir au bureau. « La restauration est le service le plus attendu des collaborateurs », souligne Stéphanie La Sala, directrice relations clients et gestion immobilière chez Covivio.

Et parmi les cartes à jouer, celle du service à table semble séduire restaurateurs comme clients. « Cette nouvelle dimension de service hôtelier, couplée à une expérience conviviale, doit être exploitée quand cela est possible pour au moins 10 à 15 % de l’effectif. On sait que le service à table créé davantage de convivialité et favorise les échanges de qualité. Après la période compliquée qu’elles viennent de traverser, les grandes entreprises sont à la recherche des leviers qui favorisent les croisements et les rencontres. L’hybridation des espaces et le mélange des formules de restauration sont des pistes à étudier », commente Gilles Castel, président de Cinov Restauconcepteurs.

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© Exalt
Dans le restaurant d'entreprise d'Altarea Cogedim, les salariés peuvent réserver le créneau horaire, regarder le menu et payer depuis l'application conçue par Exalt.

Rendre le service accessible à tous

Si le service à table n’est pas nouveau, il restait jusqu’à présent l’apanage des directions qui, dans les sièges, disposent souvent de salle à manger privées offrant confort et confidentialité. Afin d’offrir ce service au plus grand nombre, certains ont décidé de prendre le contrepied.

Parmi les précurseurs, le site d’ArianeGroup, aux Mureaux (78). L’entreprise a décidé d’expérimenter il y a quelques années un autre modèle pour offrir à ses salariés une alternative au self traditionnel qui distribue environ 1 500 repas/jour.

Moyennant un peu moins de 2 € supplémentaires sur le prix habituel du repas pris au self, 150 à 200 repas sont servis dans le Carré des Saveurs, une salle à manger de restaurant qui n’est pas réservée aux cadres ou à la direction mais accessible à tous.

Dans une ambiance plus feutrée, plus cosy, qui nécessite de réserver sa table, la formule continue de séduire ceux qui disposent d’un peu plus de temps pour déjeuner et souhaitent partager un repas plus convivial ou organiser un déjeuner d’équipe dans une atmosphère de vrai restaurant. À leur arrivée, les convives sont accueillis et effectuent leurs choix de plats chauds.

Les entrées et les hors d’œuvres restent quant à eux accessibles en libre-service via un buffet de type hôtelier plus chic que le stand Salad’Bar du self. Le plat est ensuite servi à table.

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© Vladimir Partalo
Dans la tour BC21 à la Défense, l'offre se veut diversifiée avec Le Patio, un restaurant à l'ambiance méditerranéenne, Le Tonic Lunch avec une offre à emporter ou sur place ou encore la Bibliothèque des gourmets, avec une offre de bistronomie et service à table.

Altarea, Orange… les grandes entreprises emboîtent le pas

Parmi les pionniers, comment ne pas citer également BETC, qui s’est installé en 2017 aux Magasins Généraux à Pantin. L’occasion pour l’agence de communication d’inventer elle-même son propre concept de restauration d’entreprise, avec service à la place.

Déçue par les propositions des principaux acteurs de la restauration collective qu’elle avait sollicités, elle avait alors choisi de créer un restaurant à son image, créatif et décalé. La Cantine - c’est son nom - de BETC repose sur le principe d’une cantine scolaire à l’ancienne avec des plats posés sur table, à partager ou non.

Seule différence avec les cantines d’antan, la qualité des recettes souvent réalisées par des chefs «en résidence» et une gestion des choix convives digitalisée grâce à une application développée en interne.

Et c’est d’ailleurs en s’inspirant de ce modèle qu’Altarea a co-construit avec ses collaborateurs et Exalt (groupe Compass) la restauration de son nouveau siège à Paris, le 87 Richelieu. Sophie Vascher, directrice des ressources internes du groupe est formelle : « le service à table a été une source de réconfort et de sécurité pour nos collaborateurs durant la pandémie. Nous nous sommes battus pour maintenir notre restaurant ouvert, avec tout un arsenal de mesures barrières, alors que tout était fermé et cela a permis de maintenir une cohésion d’équipe indispensable ».

Le Resto peut accueillir 271 places assises, tandis que Le Market, une formule type food court/tables d’hôtes, n’en accueille qu’un peu moins d’une centaine. « Aujourd’hui, alors que nous avons repris une activité normale, le taux de rotation de nos restaurants est de 1,2 », indique la directrice qui reconnaît que la digitalisation est un facilitateur important pour bien gérer la prestation.

L’application Exalt s’interface dans l’outil global de gestion de l’immeuble qui facilite le quotidien des collaborateurs avec GPS, réservation de salles, gestion du confort, déclaration d’incidents, restauration, etc. Elle permet de réserver le créneau horaire, de regarder le menu et de payer.

Pour Elodie Ginsburger, directrice marketing d’Exalt, « nous avons fait en sorte de supprimer tous les irritants habituels de la restauration. Grâce à notre outil, il n’y a plus d’attente et nos équipes peuvent se concentrer sur le service et la relation client ».

Ce que confirme Aurore Gendraux, directrice du site : « nous proposons un choix de trois entrées, trois plats et trois desserts. Quand la table a commandé, le maître d’hôtel valide les choix. En moyenne, une table déjeune en 30 à 45 minutes. Côté salle, nos équipes ont plus de temps pour personnaliser l’accueil et rendre le déjeuner le plus agréable possible ».

Cette nouvelle dimension de service hôtelier, couplée à une expérience conviviale, doit-être exploitée quand cela est possible pour au moins 10 à 15 % de l'effectif. On sait que le service à table crée davantage de convivialité et favorise les échanges de qualité.

Plus récemment, Bridge, le nouveau siège social d’Orange Monde à Issy-Les Moulineaux, inauguré au printemps, compte cinq espaces de restauration dont un qui permet de se faire servir un déjeuner. Baptisé La Table et opéré par Ansamble, le lieu accueille 140 à 150 couverts/jour en deux services. Pour bénéficier de ce repas servi à la place et ouvert à tous les salariés du groupe, il suffit d’accepter de rajouter quelques euros au prix habituel du repas.

Quant à la salle à manger de direction du 7ème étage, elle a été reconvertie en restaurant «social et solidaire» baptisé Le Biscornu où l’on sert des repas sous forme de bocaux dont les recettes ont été élaborées par des Chefs MOF (Meilleurs Ouvriers de France) mais réalisés et servis par des personnels en situation de handicap, notamment autistes, une cause largement soutenue par la Fondation Orange.

La formule se situe aux alentours de 20 € mais permet de participer à un projet engagé. 

Déployer des parcours selon les contraintes des occupants

Au-delà des entreprises clientes, les foncières s’intéressent également de près à cette nouvelle tendance. Elles mettent l’accent sur le socle serviciel pour convaincre des locataires de s’installer chez eux et remplir les étages de programmes souvent gigantesques. Et parmi leurs arguments, le service à table semble faire mouche. CB21, Silex, Trinity…

Les derniers immeubles rénovés ou livrés en attestent. Sur Silex², à Lyon Part-Dieu, c’est une brasserie d’une cinquantaine de couverts qui va prochainement ouvrir ses portes au 21ème étage. « Il s’agit d’un Bistrot Orcia, exploité par cette fameuse enseigne de la Croix Rousse, où seront proposés des plats frais et de saison revisités », explique Stéphanie La Sala, directrice relations clients et gestion immobilière chez Covivio.

Sur le futur immeuble So Pop dont l’ouverture est prévue à Saint-Ouen en 2022, 50 places sont également réservées à la restauration à table. Et après la rénovation de la tour CB21 à La Défense, le restaurant La Bibliothèque des Gourmets, opéré par MRS, a ouvert ses portes début septembre dans un esprit brasserie chic. L’espace est partiellement réversible pour être privatisé et permettre l’organisation d’événements. « En termes de design, nous portons le même soin aux espaces de restauration qu’à celui du hall d’accueil ou des espaces communs de nos immeubles », ajoute Stéphanie La Sala.

Reste que dans ce paysage plutôt séduisant, tourné vers le bien-être du salarié, le service à table qui nécessite davantage de ressources humaines pourrait être impacté par la pénurie de personnel qui touche de plein fouet la restauration et alors qu’en pleine pandémie, Elior et Sodexo ont annoncé la suppression de près de 4 000 emplois.

« Pour l’instant nous ne percevons pas de danger particulier », conclut Elodie Ginsburger d’Exalt, « au contraire, la restauration collective, avec ses horaires et ses process organisés séduit des hommes et des femmes qui travaillaient jusque-là dans la restauration commerciale. Nos concepts avant-gardistes séduisent et la formation que nous dispensons, à travers notre CFA Planète Chef en partenariat avec L’Atelier des Chefs, nous permet d’avoir accès à un vivier de ressources de grande qualité ».

* Étude Sociovision/Actineo « Où et comment travaillerons-nous dans le monde post-Covid ? » parue en mai 2021. Échantillon cible : 2 628 répondants travaillent actuellement dans une des métropoles du périmètre et travaillent au moins occasionnellement dans un bureau.

Maison de la RATP : 100 % digital mais 100 % humain

Ouvert en pleine pandémie, le restaurant de la Maison de la RATP à Paris a fait beaucoup parler de lui. Autogéré par le CE de l’entreprise des Transports parisiens, L’Inattendu porte bien son nom ! Ici, plus de self mais des tables géolocalisées où le client, accueilli par un maître d’hôtel, est identifié grâce à un QR Code. Une fois scanné, il accède au menu, passe commande et est automatiquement débité.

En moins de 5 minutes, un serveur, capable d’appeler le convive par son nom, arrive avec un chariot connecté sur lequel se trouve son plateau. En back office, la cuisine assemble les denrées préparées par la cuisine centrale, prépare les grillades, remet en température etc.

Pour approvisionner les salles à manger les plus éloignées, des cobots transportent les plateaux jusqu’aux serveurs. Dimensionné pour servir 1 500 repas/jours, le restaurant n’a pour l’heure pas encore retrouvé sa fréquentation habituelle mais pourrait vite dépasser ce chiffre lorsque les travaux de rénovation des bureaux seront terminés.

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© RATP
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