Ballotés entre désirs de flexibilité et un impératifs de collaboration, les lieux de travail ont dû, cette année encore, faire preuve de résilience. Le rapport annuel sur les lieux de travail édité par Measuremen, cabinet d’étude des environnements de travail, a été mené sur plus de 650 000 espaces de travail en Europe – un tiers de plus que l’année précédente – pour comprendre les évolutions de leur utilisation dans un contexte de fluctuation de leur occupation. Cette dernière n’a eu de cesse de chuter après la pandémie, passant de 45,3 % d’occupation maximale en 2017 à 30,6% en 2022. Pourtant, 2023, sans atteindre les taux d’avant Covid, marque un regain d’intérêt pour le présentiel. Le cabinet de conseil y a enregistré un taux d’occupation maximale de 35,1 %, et la reprise semble s’être poursuivie au premier trimestre 2024. Mais la stabilisation reste un horizon loin d’être atteint.
Disparités temporelles, sectorielles et nationales
Sans surprise, les mardis et jeudis sont les jours les plus chargés, avec des taux d'occupation entre 38 % et 36,3 %, 10 points de plus que le vendredi. Depuis la pandémie, ce phénomène de présence resserrée autour du milieu de semaine ne fait que se renforcer, avec des taux en moyenne moins importants. « Alors que l'accent était mis sur la résolution de la sous-occupation les mercredis et vendredis, l'attention se porte maintenant sur la gestion des moments de pointe les mardis et jeudis. De plus, forcer les employés à être présents les jours fixes s'avère souvent inefficace. La conversation se déplace maintenant vers la qualité du travail, plutôt que la présence physique au bureau », commente Nick Lettink, directeur et gestionnaire de programme chez YNNO.
Des disparités existent également entre les différents secteurs. Les fournisseurs de technologies affichent le meilleur taux de présence (38,2 %), tandis que celui du secteur de la santé est à 28,8 % arrive en dernière position. Enfin, la France, la Suisse et la Belgique semblent avoir des taux d'occupation plus élevés que le Royaume-Uni. Des chiffres qui traduisent un certain déséquilibre dans l’utilisation des espaces et pose donc question de leur utilisation réelle.
Dynamique symétrique des temps de collaboration
L’étude menée par Measuremen révèle à ce sujet que les employés réalisent à 57 % leur travail individuel sur site contre seulement 10 % de travail collaboratif. Près d'un tiers d’entre eux se rend au bureau uniquement pour donner "signe de vie". Les résultats permettent également de mettre en lumière que les petites salles et les cabines sont plus utilisées que les grandes salles de réunion. Le travail de la plupart des salariés est pourtant planifié autour des réunions, qui sont le plus souvent programmées autour du déjeuner. Le début de matinée et la fin de l’après-midi sont donc plus propices à s’engager dans le travail individuel, après avoir pris le temps de débriefer à la machine à café.
Ce n’est d’ailleurs pas la présence physique coûte que coûte au bureau qui compte, mais bien les interactions avant, pendant et après la réunion. Ces dernières sont « cruciales pour le succès des décisions et la création de soutien pour aux sujets discutés », précise l’étude. Cette synchronisation des temps de collaboration crée d’ailleurs une curieuse dynamique symétrique dans laquelle les salariés se déplacent d'un espace à l'autre, d'une activité à l'autre, suivant le même schéma.
Bureau as a service
L'enjeu n'est plus de forcer les employés à être présents à des jours fixes, mais d'offrir des espaces qui répondent à leurs besoins et encouragent les échanges. De plus en plus d’entreprises ont et auront recours à des solutions technologiques comme des capteurs IoT et des logiciels de réservation des bureaux pour tirer parti en temps réelle de l’occupation et ainsi maximiser l’efficacité de l’espace. C’est alors sur la base de ces données que les entreprises prennent la décision de réduire leur surface de manière pérenne ou de manière temporaire, en décidant par exemple de fermer certains espaces ou étages les jours de faible affluence. La gestion des bureaux devient alors un service à part entière.
Le cabinet rappelle cependant que les observations en personne restent indispensables pour compléter les données. D’un côté, les capteurs excellent dans la détection de la présence, des schémas d'utilisation et du suivi des absences aux places réservées, palliant la différence entre la déclaration de l’utilisation des espaces par les salariés et leur utilisation réelle. « Les études indiquent qu’elle peut atteindre 40 %, soit parce qu’ils ne sont pas conscients de leur comportement soit parce qu’ils désirent se conformer, dans leurs réponses, aux normes sociales », précise le rapport. De l’autre, un agent pourra vite repérer « des signes de vie » indiquant qu’un bureau marqué inoccupé par les capteurs, l’est pourtant par un ou des salariés temporairement partis en réunion pour une heure.
Pour les auteurs du rapport, les entreprises sont prises entre le rêve d'un bureau comme un club-house où les employés se rencontrent, collaborent, partagent des connaissances et innovent, et la réalité de nombreux employés cherchant un espace pour réaliser leur travail individuel. « Maintenant qu'il est clair que le retour au bureau n'est pas aussi massif que prévu, nous ne visons pas tant à réduire le nombre de m2, mais plutôt à l'optimiser en l’adaptant », conclut Amber Klaassen, consultante chez Heyday.