Alexis Paoli est un photographe bien connu dans le monde de l’immobilier tertiaire, autant par son travail de qualité que par sa moustache toujours parfaitement taillée. Après un début de carrière en col blanc, il a tout quitté pour vivre de sa passion : la photographie. Pour Workplace Magazine, il revient sur son parcours et livre son regard en tant qu’observateur de lieux de travail.

Dans l’objectif d’Alexis Paoli

 

Pouvez-vous décrire votre parcours ?

J’ai fait des études de gestion à Paris Dauphine et j’ai démarré ma vie professionnelle en tant que webmaster au début des années 2000. Peu de temps après, la bulle internet a explosé et je suis finalement arrivé dans l’immobilier d’entreprise en tant que broker chez CBRE car ils recrutaient des profils comme le mien à ce moment-là. Mais je me suis vite rendu compte que j’avais peut-être fait une erreur d’orientation... L’agressivité commerciale n’est pas mon truc même si cela a été un apprentissage enrichissant. Ce qui m’intéresse réellement, ce sont les métiers créatifs.

 

Quel a été le déclic pour vous lancer dans la photographie ?

J’ai commencé à réfléchir à cela alors que je débutais mon travail chez CBRE. Et j’ai eu la révélation en allant pour la toute première fois au Japon ! C’était un rêve de gosse. En arrivant à Tokyo, j’ai eu ce besoin impératif de faire des photos. J’y suis retourné plusieurs fois et je me suis rendu compte que la photo m'intéressait beaucoup et que le fait de vendre des photos à des clients pourrait marcher. À ce moment-là, en 2007-2008, la plupart des brokers faisaient les photos eux-mêmes, les propriétaires et les aménageurs n’en commandaient pas. J’ai senti cette opportunité et je me suis mis à mon compte. Pendant un an et demi j’ai fait de l’auto-formation, à raison de 6 à 8 heures de photo par jour. J’ai ensuite recontacté deux amis dans la profession pour faire mes premières armes et CBRE, qui avait racheté Easybureau pour faire de l’aménagement. Ils ne voulaient pas encore faire de photos pour commercialiser les immeubles mais étaient intéressés pour la référence client. C’était mon premier boulot, dans une tour à La Défense. J’y ai passé énormément de temps. Cela a marqué le début de ma carrière dans la photo d’architecture tertiaire.

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Shooting du nouveau siège social d'Orange, Bridge, à Issy-les-Moulineaux, pour Interior. © Alexis Paoli

 

Votre spécialisation est-elle due au fait que vous ayez travaillé dans ce milieu ?

Oui c’est un mélange de hasard, d’opportunités et de choix personnels. J’ai commencé à faire de l’aménagement de bureau. Mes deux clients historiques étaient CBRE et Tetris. Travaillant dans l’aménagement, les autres aménageurs se sont mis à me contacter... et ainsi de suite. Aujourd’hui, je travaille avec les prestataires, les fournisseurs des projets d’aménagements, les propriétaires mais aussi avec les architectes. Je me suis rendu compte que ce n’était pas juste un boulot de commande mais que cela nourrissait mes envies, mes aspirations, mon épanouissement professionnel. Il faut répondre à un client tout en laissant s’exprimer une créativité visuelle et en interprétant les projets pour définir leurs fonctions. Je trouve qu’il est intéressant qu’un regard artistique soit porté sur le monde du tertiaire. J’ai à cœur de documenter les transformations du monde tertiaire au fil des années.

 

Vous observez des espaces de travail depuis plus de 10 ans maintenant, quel regard portez-vous sur l’évolution de l’aménagement de bureau ?

Il y a quelques années, l’aménagement de bureau, c’était des bureaux et des salles de réunion. J’ai vu les plateaux de bureaux évoluer vers quelque chose de beaucoup plus structuré et de plus travaillé afin d’offrir différents usages (des lieux de convivialité, l’arrivée du flex office, l’occupation temporaire, les zones de casier...). Désormais, il faut être capable d’offrir des lieux où le salarié va se sentir à l’aise, de manière moins formelle, mais va tout de même pouvoir travailler. On a vu l’apparition de cafétéria, de salons, etc.

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Shooting de la marketing suite du 168 CDG pour BMA Group. © Alexis Paoli

Visuellement, ce qui me frappe également, c'est l’arrivée de l’univers de la maison dans le bureau. Aujourd’hui cette frontière est complètement abolie : on peut retrouver de belles lampes ou de gros fauteuils confortables dans des salles de réunion pour créer quelque chose d’à la fois fonctionnel et de plaisant. Sans oublier ces choses festives que l’on retrouve dans des bureaux : le baby-foot est devenu l’incontournable dans les bureaux alors que je n’en ai pas vu un seul dans mes cinq premières années en tant que photographe !

 

Quelles sont les caractéristiques d’un aménagement photogénique ?

Quand j’arrive dans un lieu, je peux vous dire très vite si cela va être facile de faire de bonnes photos. Ce n’est pas si évident, mais il y a quelques éléments qui ressortent. Le premier, c’est la lumière. La qualité de la lumière est quelque chose de primordial. La profondeur des plateaux joue également beaucoup. Le fait de bien séparer les différentes zones à photographier va aussi avoir un impact. Puis vient ensuite l’aspect matériel avec la qualité du design, du mobilier, de l’architecture, des matériaux utilisés.

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Shooting pour les nouveaux bureaux de Moore dans l'immeuble Five. © Alexis Paoli

 

Que mettez-vous en œuvre pour rendre un lieu photogénique ?

C’est à ce moment-là qu’il faut être le meilleur. Dans un endroit esthétiquement beau, si vous laissez traîner des câbles ou un extincteur, l’attention sera détournée et l’ensemble de la photo sera tiré vers le bas. C’est le propre des photos professionnelles, on ne peut pas se reposer sur la beauté du lieu. Il y a des solutions et des techniques à mettre en œuvre pour dégager les côtés positifs de chaque projet. L’expérience, le soin apporté au cadrage vont permettre de faire ressortir la fonction, l’intérêt ou l’attractivité du lieu. Il ne faut pas non plus oublier quelques petits aspects techniques qui permettent de surexposer les lieux. Cela implique beaucoup de rigueur et de technique.

 

Quels projets vous ont marqué au cours de votre carrière ?

C’est une question difficile car j’ai perdu le compte, j’ai photographié plus de 500 sièges sociaux ! Mais dans les projets récents que j’ai pu photographier, j’ai eu un vrai coup de cœur pour le nouveau siège d’Orange, Bridge, à Issy-les-Moulineaux. J’ai eu l’occasion d’y faire des photos l’année dernière pour la société Interior. L’Atrium central est vraiment exceptionnel, aussi bien visuellement qu’en termes de lieu d’échange. Dans un autre projet très récent mais aussi très différent, il y a le nouveau showroom de Moore Design, Le Five. C’était un shooting vraiment passionnant à réaliser. On a mis un grand soin sur la préparation du lieu, les accessoires ou la stylisation pour arriver à des visuels de très haute qualité.

Et puis j'ai pu suivre il y a quelques années le chantier du Crillon pour JLL, c’était un projet incroyable. Les chantiers permettent plus généralement d’accéder à des lieux mythiques dans des conditions uniques... J’ai pu par exemple me rendre sur le toit de l’opéra Garnier, photographier le Palais de l’Élysée, ou découvrir l’âme de vieux immeubles parisiens dans le cadre de projets de restructuration avec dernièrement les anciens grands magasins Dufayel dans le 18e arrondissement de Paris pour l’agence YM Architecture.

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Le chantier du Crillon, shooting pour JLL. © Alexis Paoli

 

À l’avenir, quels changements devrait-on observer dans l’utilisation des espaces de travail ?

Je pense que la crise nous a bien montré que le télétravail à 100 % ne marchait pas. Une entreprise, c’est aussi énormément d’échanges physiques. Il me semble que les immeubles de bureaux garderont un rôle important en tant que point d’ancrage, de marqueurs de l’identité de l’entreprise et de lieu permettant des rencontres et des échanges en présentiel. Le développement des espaces de coworking ne fait que débuter et on peut imaginer dans le futur des lieux nombreux, au sein d’espaces dédiés ou au sein d’espaces multi-usages (pourquoi pas des espaces de coworking partagés dans des immeubles résidentiels, ou dans des cafés ou tout autre lieu) offrant des solutions pour travailler. Je pense qu’on commence le voir petit à petit : ces dernières années, j’ai souvent photographié des espaces qui vont être le matin une cafétéria, l’après-midi une salle de conseil avec des tables sur roulette, puis le soir le lieu accueille un évènement. On arrive à un usage beaucoup plus mixte des lieux avec la multiplicité des usages dans les immeubles.

 

Au-delà du tertiaire, nourrissez-vous d’autres ambitions à terme ?

J’ai vraiment à cœur de continuer à documenter le monde du tertiaire mais mes aspirations étant aussi plus généralement artistiques, je souhaite montrer les changements dans la ville. L’urbain change énormément depuis 20 ans. Je travaille beaucoup sur les mutations en Île-de-France et je réalise notamment une série sur les grands écoquartiers. Pendant des années, nous avons transformé les villes avec des programmes qui consistent à raser entièrement des quartiers en déshérence pour y faire pousser quelque chose de nouveau. Visuellement c’est quelque chose de violent, on peut passer quelque part et, trois ans plus tard, ne plus reconnaître le lieu. Je m'intéresse beaucoup à cette transformation.

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© Julien Pasternak

 

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