Les derniers chiffres Immostat ne laissent planer aucun doute : le marché tertiaire francilien a été fortement impacté par la grève et les premiers effets de la crise sanitaire du Covid-19. Sur le premier trimestre 2020, la demande placée de bureaux en Île-de-France s’est élevée à 340 300 m². C’est un chiffre en recul de 37 % par rapport à l’année dernière. C’est aussi le plus mauvais démarrage depuis 2004. « La décélération sur le marché locatif des bureaux en Île-de-France a été plus forte qu’attendue sur le début d’année 2020 », indique Grégoire de La Ferté, executive director bureaux Île-de-France chez CBRE.
D'après le cabinet Cushman & Wakefield, dans le détail des gabarits de surfaces, les plus petites consommations tertiaires limitent les dégâts avec près de 145 000 m² consommés (- 24 % en un an) alors que, passé le seuil des 1 000 m², les reculs sont nettement plus marqués : - 41 % pour les bureaux de taille intermédiaire et - 47 % pour les bureaux de plus de 5 000 m². Paris, avec 166 200 m² placé (- 10 % en un an), résiste le mieux à cette décélération des transactions, emmené par un Quartier Central des Affaires (QCA) qui montre les mêmes résultats que l’année dernière. À l’inverse, le croissant ouest et la première couronne se replient dans des proportions importantes, de l’ordre de - 50 % et - 60 % en un an.
Une demande fortement impactée à l’avenir
Sans surprise et avec certitude, les effets de la pandémie du Covid-19 auront un impact sur le second trimestre 2020. « Depuis le début de la crise du Covid 19, nous observons chez nos clients utilisateurs davantage une pause qu’un arrêt dans la conduite de leurs projets immobiliers, indique Ludovic Delaisse, directeur général et head of agency office & industrial de Cushman & Wakefield. Le manque de visibilité des entreprises dans un environnement économique fortement dégradé et incertain va nécessairement impacter la relance du marché tertiaire au second trimestre. Les entreprises ont aujourd’hui des priorités immédiates opérationnelles ; elles reviendront sur le terrain immobilier dans un second temps, avec un redimensionnement de leurs besoins immobiliers sur fond de généralisation du télétravail. »
« Le manque de visibilité des entreprises dans un environnement économique fortement dégradé et incertain va nécessairement impacter la relance du marché tertiaire au second trimestre »
Ludovic Delaisse, Cushman & Wakefield.
Mais le tableau n’est pas totalement sombre. Chez CBRE, Grégoire de La Ferté nuance : « l’activité sur les prochains mois ne sera, néanmoins, pas nulle puisque des prises à bail continuent d’être signées, y compris durant la période de confinement, notamment
dans le cas de projets structurants de moyen/long terme motivés par des besoins d’optimisation/modernisation des bureaux ». Quoi qu’il en soit, les chiffres du premier trimestre vont peser lourd dans les projections de demande placée en 2020.
Un niveau de l’offre immédiate inchangé
En ce qui concerne l’offre immédiate, malgré le recul de la demande placée, son niveau est resté inchangé d’un trimestre sur l’autre, inscrivant des taux de vacance toujours au plancher à Paris (2,4 % à la fin du 1er trimestre 2020), autour de 5,5 % à La Défense, à 6,5 % en première couronne et proche de 10 % dans le croissant ouest, un secteur dans lequel Neuilly-Levallois présente un profil atypique (3,7 %).
Grégoire de La Ferté de CBRE précise que « la vacance reste peu élevée avec 2,9 millions de m² immédiatement disponibles au 1er trimestre 2020, en ligne avec le niveau enregistré il y a un an et sous la barre des 3 millions de m². La majorité des chantiers étant actuellement à l’arrêt, les retards de livraisons des programmes neufs/restructurés devraient amener à une hausse de la vacance relativement maîtrisée sur ces prochains mois et contenir le risque d’une baisse des loyers faciaux. »
« La majorité des chantiers étant actuellement à l’arrêt, les retards de livraisons des programmes neufs/restructurés devraient amener à une hausse de la vacance relativement maîtrisée sur ces prochains mois et contenir le risque d’une baisse des loyers faciaux »
Grégoire de La Ferté, CBRE
Pour Magali Marton, directrice des études de Cushman & Wakefield, « l’évolution à la baisse de la consommation de bureaux attendue au deuxième trimestre et probablement aussi en partie au troisième, devrait changer sensiblement la donne. Selon nos premières estimations, le taux de vacance francilien pourrait ainsi rapidement atteindre entre 7 % et 8 % avec pour certains secteurs des taux supérieurs à 10 % comme à La Défense et sa périphérie, ou encore, la partie Nord (Boucle et Première Couronne). »
Ce choc de l’offre devrait amener à une révision des conditions locatives d’ici fin 2020. Dans ce contexte, Ludovic Delaisse détaille que « la croissance des loyers qui était encore de mise jusqu’à présent tant sur les surfaces de première que de seconde main (+ 5 % en moyenne en un an) devrait logiquement se tarir pour laisser place à un retour en force des mesures d’accompagnement. Elles permettront aux preneurs de conserver leur trésorerie pour l’injecter dans la reprise de leur activité. Les marchés les plus offreurs seront les premiers concernés par cette stratégie qui pourrait céder la place à un ajustement des loyers. Au cas par cas, les propriétaires devront arbitrer entre sécurisation rapide de l’occupation de leurs immeubles et optimisation du revenu locatif. D’une façon générale, la dégradation du contexte économique génère chez les entreprises une volonté accrue de négocier les conditions financières. »
Des montants d’investissement records sauvés par une fin d'année 2019 dynamique
Malgré le confinement imposé à l’échelle nationale et internationale, un point positif : le volume d’investissement, qui a atteint un nouveau record au premier trimestre 2020 avec plus de cinq milliards d’euros. « Ce résultat affiche ainsi une nette progression par rapport au premier trimestre 2019. En revanche, le marché a évolué puisque le nombre de transactions est en retrait sensible, contrebalancé par des montants unitaires supérieurs, avec plusieurs grandes opérations supérieures à 200 millions d’euros. Ce sont notamment les bureaux et quelques portefeuilles logistiques d’envergure qui ont tiré le marché », indique Nicolas Verdillon, executive director Investment Properties chez CBRE.
Toutefois, l’expert de CBRE reste très prudent. Ces bons résultats sont, en effet, la « concrétisation d’affaires initiées au second semestre 2019. Il est évident que les investisseurs feront preuve de prudence au cours des prochaines semaines, dans l’attente de la levée du confinement ainsi que d’un meilleur accès à la dette et d’une vision plus claire sur l’évolution du marché. »
« D’une façon générale, la dégradation du contexte économique génère chez les entreprises une volonté accrue de négocier les conditions financières »
Ludovic Delaisse, Cushman & Wakefield