Futur siège social d'Orange, The Bridge a été imaginé par Jean Paul Viguier & associés comme un ensemble de deux bâtiments délimitant un espace public piétonnier en rive de Seine: un immeuble de bureaux et une grande halle réhabilitée qui abritera des espaces de coworking, des commerces et des restaurants accessibles au public. © Jean-Paul Viguier & Associés
Alors que les bâtiments tertiaires étaient très cloisonnés et peu ouverts sur l'extérieur, les frontières tendent aujourd'hui à disparaître. « Nous observons de plus en plus de projets mêlant des bureaux, des logements, des hôtels et des commerces », constate Nathanaël Mathieu, co-fondateur et président du cabinet LBMG. Les nouveaux modes de travail ont joué un rôle dans cette évolution des pratiques immobilières. « L'ouverture des bâtiments vers l'extérieur est une tendance qui a mergé concomitamment à l'explosion des tiers-lieux », constate Loïs Moulas, président de l'Observatoire de l'immobilier durable. « Le coworking a ouvert la voie à une nouvelle forme d'immobilier de bureaux, ouvert sur le territoire et mixant les usages », enchérit Nathanaël Mathieu.
Mutualiser les services
Cette mixité des usages entraîne une mutualisation des services offerts par le bâtiment, tels que la conciergerie ou la restauration. Ces derniers ne sont plus réservés uniquement aux usagers du bâtiment, mais deviennent accessibles aux salariés des entreprises voisines et aux habitants du quartier. « Certains espaces, comme des auditoriums, des salles de réunion ou des espaces verts, peuvent aussi être ouverts aux associations locales », ajoute Gwennaële Chabroullet, directrice générale du cabinet ARP Astrance. Si ces projets immobiliers restent assez marginaux, ils pourraient gagner du terrain dans les années à venir. « Cette tendance de fond devrait se confirmer d'ici quelques années, notamment avec la livraison de projets impulsés par des grandes collectivités, qui favorisent la mixité des usages », confirme Gwennaële Chabroullet. À l'instar du N2 Stream Building, lauréat de l'appel à projets « Réinventer Paris » lancé en 2015. Porté par Covivio, ce projet vise à installer un ensemble immobilier de 16184 m2 à Paris, dans le quartier de Clichy-Batignolles, en face du nouveau palais de justice. Il mixera des bureaux, des espaces de coworking et d'événementiel, un hôtel, une halle alimentaire, de l'agriculture urbaine ainsi que des services. Le coup d'envoi des travaux est prévu début 2019, pour une livraison au dernier trimestre de 2021.
Favoriser l'économie locale
En dehors d'ouvrir leurs services et espaces, les bâtiments tertiaires peuvent aussi contribuer au développement de l'économie locale. « Certaines entreprises et promoteurs immobiliers participent au développement de l'emploi local, enfaisantparexemple appel à des commerçants du quartier plutôt qu'à des prestataires externes pour les services de conciergerie ou pour la gestion des espaces verts », détaille Loïs Moulas. À Chambourcy, Kantar collabore depuis sept ans avec les commerçants du quartier pour ses services de conciergerie. De son côté, le Crédit Agricole Aquitaine travaille actuellement avec la chambre d'agriculture locale pour mettre en place un« Drive Fermier» sur son nouveau siège situé à Bordeaux. « Des producteurs régionaux viendront livrer chaque semaine leurs produits sur notre site, dans une zone de stockage mise à leur disposition », précise Gilles Dumond, responsable de l'aménagement et de la conduite du changement au Crédit Agricole Aquitaine. Ce service, qui devrait être lancé courant 2019, sera proposé aux collaborateurs du groupe bancaire mais également aux salariés des entreprises voisines et aux habitants du quartier. « Aujourd'hui, les utilisateurs sont sensibles aux enjeux environnementaux et sociétaux, allant jusqu'à la préférence d'une consommation locale, il est donc important de mener cette réflexion dans les projets immobiliers », estime Gwennaële Chabroullet. Pour répondre à ces attentes, cerains promoteurs immobiliers et entreprises privilégient ainsi les produits frais et locaux dans leurs offres de restauration. « La mise en place de circuits courts d'approvisionnement permet
d'avoir un impact sur l'économie locale. Ce sont des pistes de travail que nous étudions actuellement dans le cadre de plans d'amélioration continue de certains restaurants d'entreprise », indique Joël Larousse, directeur du développement et des opérations de la direction environnement de travail de la SNCF et secrétaire général adjoint de l'Arseg. Les projets incluant de l'agriculture urbaine, comme N2 Stream Building à Paris ou encore Silex 2 à Lyon, peuvent également favoriser les circuits très courts, en approvisionnant directement les restaurants voisins avec les productions issues de ces espaces agricoles.
Un impact sur le territoire
Autre champ d'action des bâtiments tertiaires: l'insertion professionnelle. À Saint-Denis, la SNCF a ainsi passé un accord avec le conseil général, formalisé par la charte « Seine Saint Denis Egalité», pour développer l'emploi local. Dans ce cadre, le groupe facilite notamment l'accès à des stages aux élèves des écoles voisines. « Le fait d'être vigilant au dynamisme de l'emploi local, au-delà de constituer une mise en œuvre concrète de la responsabilité sociétale, offre une réelle opportunité de richesse pour le territoire », souligne Joël Larousse. Un bâtiment tertiaire peut aussi avoir un impact sur la sûreté d'un quartier. « Grâce à la présence de services de gardiennage dans les bâtiments, les entreprises peuvent amener un sentiment de sécurité plus fort dans le quartier », estime le secrétaire général adjoint de l'Arseg. Par ailleurs, les entreprises et promoteurs immobiliers jouent un rôle actif dans la promotion de solutions de mobilité «douces». Ils peuvent parfois travailler avec la collectivité pour mettre en place des bornes de recharge pour les véhicules électriques, créer une piste cyclable ou un nouvel arrêt de bus. Objectif : limiter l'impact carbone et désengorger en partie le réseau routier. Certaines entreprises voisines peuvent également mutualiser des solutions afin d'optimiser les trajets de leurs salariés. À titre d'exemple, lors de son arrivée à La Plaine Saint-Denis en 2013, la SNCF avait organisé des liaisons de navettes entre les stations de RER, de métro et certains bâtiments distants d'une quinzaine de minutes à pied. Elle souhaitait en faire bénéficier ses salariés mais aussi ceux des entreprises voisines, qui avaient marqué un intérêt pour ce type de service.
Porté par Covivio, le projet N2 Stream Building vise à installer un ensemble immobilier dans le quartier de ClichyBatignolles, à Paris. On y retrouvera des bureaux, des espaces de coworking et d'évènementiel, un hôtel, une halle alimentaire, de l'agriculture urbaine ainsi qu'une large palette de services.
Des freins à lever
Problème : ces modes de partage restent encore compliqués à déployer. « Finalement, nous n'avons pas réussi à partager ces navettes avec les autres sociétés du secteur, ce qui a mis fin rapidement à l'expérience qui était économiquement déséquilibrée en raison d'une insuffisance de fréquentation », regrette Joël Larousse. Et de poursuivre : « De la même façon, nous avons essayé de mutualiser nos auditoriums et salles de réunion, mais cela reste difficile à mettre en œuvre, notamment s'agissant de définir une politique commune de réservation et du fait de la réglementation des bâtiments ERP ».
Si les groupes semblent enclins à s'ouvrir davantage sur le territoire, dans les faits certains aspects restent compliqués à mettre en œuvre. « Il est parfois difficile de mutualiser des services entre entreprises voisines, notamment lorsqu'il s'agit de grands groupes, en raison des différences de culture, d'organisation ou de politiques de sécurité. En outre, la maturité des organisations n'est pas toujours au rendez-vous sur des modèles dont la profitabilité se fait à la marge tandis que les contraintes sont immédiatement perceptibles », remarque Joël Larousse. Des barrières également perçues par Covivio, comme l'explique Audrey Camus : « Les problématiques liées à la sûreté et la confidentialité représentent des freins que nous pouvons toutefois lever avec des contrôles d'accès et une réorganisation de l'espace, en cantonnant, par exemple, les activités qui requièrent de la confidentialité dans des zones sécurisées ».
Le digital facilite la perméabilité
Les nouvelles technologies peuvent également faire sauter certains verrous et permettre d'accélérer la transformation des bâtiments. « Les outils digitaux facilitent la perméabilité entre l'intérieur et l'extérieur d'un bâtiment », confirme Audrey Camus. En s'adressant directement à l'utilisateur, ils permettent de créer plus facilement des liens entre les individus et de mutualiser des services au-delà des frontières de l'entreprise. Par exemple, les applications de covoiturage, comme Klaxit, Karos ou encore Idvroom (développée par la SNCF), permettent de connecter très facilement les salariés d'entreprises voisines et les habitants d'un même quartier. Des applications telles que Workwell centralisent l'ensemble des services offerts aux salariés par leur entreprise (cours de yoga, etc.), l'immeuble (réservation de salles de réunion, menu du restaurant d'entreprise, etc.) et l'extérieur (livraison de repas, restaurants du quartier, cours de sport ... ) ... « Les applications de services dans les immeubles deviennent des outils de lien avec les acteurs de l'économie locale améliorant la visibilité sur les offres disponibles autour des bâtiments et leur appropriation par les occupants », souligne Gwennaële Chabroullet. Le digital représente un outil d'autant plus important que les usagers semblent assez séduits par les possibilités d'ouverture offertes par le bâtiment tertiaire. « Dans les demandes des utilisateurs, nous observons de plus en plus d'attrait pour les services et activités complémentaires en lien avec ce que peut apporter l'environnement proche », indique Nathanaël Mathieu. « Les salariés, et en particulier les millenials, aspirent en effet à pouvoir se connecter facilement à l'intérieur et à l'extérieur de leur lieu de travail, et donc que le bâtiment soit assez ouvert sur le quartier », ajoute Gwennaële Chabroullet. Élément constitutif d'un territoire, le bâtiment de bureau tend donc à s'intégrer de plus en plus dans un écosystème global. Dans une ville de demain se voulant inclusive, les bureaux pourrait avoir un rôle central à jouer.