123RF / Pavel Shlykov
Pressées par les impératifs du décret tertiaire qui impose une baisse des consommations énergétiques de 40 % d’ici 2030, les entreprises se tournent vers la rénovation énergétique de leurs sites. Des travaux certes souvent coûteux mais qui permettent de tendre sur le long terme vers plus de sobriété.

Avec 973,4 millions de mètres carrés, les bâtiments tertiaires en France représentent environ un quart des ouvrages existants. Pourtant, ils sont responsables d’un tiers des consommations d’énergie du secteur et autant des émissions de gaz à effet de serre. Avec comme principal poste de consommation : le chauffage et, depuis quelques années, les nouveaux usages comme les équipements de bureautique et la climatisation. Pour atteindre les objectifs de baisse des consommations énergétiques définis dans le décret tertiaire (- 40 % en 2030, -50 % en 2040 et -60 % en 2050), les entreprises doivent établir un plan d’actions stratégique et ne plus se contenter de petites actions ponctuelles comme cela a pu être le cas jusqu’alors. L’heure est à la réflexion long terme, portant sur la globalité du bâti et de ses usages et passant donc, notamment, par des travaux de rénovation énergétique. Travaux qui semblent d’autant plus s’imposer au regard de l’âge du parc tertiaire. Dans sa note « Scénarios de rénovation énergétique des bâtiments tertiaires » parue fin 2020, le ministère de la Transition écologique expliquait déjà qu’en France, les bâtiments tertiaires avaient été majoritairement construits avant 1980 (56 %). Seuls 18 % des bâtiments ont moins de 20 ans. « Mais n’oublions pas que les bâtiments récents peuvent eux aussi être concernés par un besoin de rénovation énergétique. Je pense par exemple aux immeubles largement vitrés », souligne Gwenaël Jan, associé fondateur de G-On, société de conseil en environnement pour l’immobilier. De nombreuses entreprises sont ainsi concernées. Et face aux échéances qui approchent, Gwenaël Jan constate en effet « une vague d’études très importante ces derniers temps. » Mais par où commencer ? Quels travaux privilégier ? Quid du coût et des aides mobilisables ?...

Calcul.jpeg
Fotolia / Benjamin Lefevre

Des actions multiples

Pour rappel, les assujettis avaient jusqu’au 31 décembre 2022 pour déclarer les consommations énergétiques entre 2010 et 2020 et l’année de référence des surfaces dont ils ont la responsabilité sur la plateforme Operat, pilotée par l’Ademe. Certes il reste quelques retardataires mais de manière générale, l’heure est aujourd’hui à la deuxième phase du processus : l’identification des leviers sur lesquels agir pour remplir les objectifs. « Cela démarre avec la reprise de l’historique et le suivi des consommations afin de savoir sur quoi les efforts de l’entreprise devront se concentrer », commente Gwenaël Jan. La réalisation d’un audit énergétique est également vivement conseillée et pourrait permettre, à elle seule, d’atteindre 10 % d’économie, selon Julien Jimenez, sous-directeur du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine. L’audit aboutit à l’élaboration de préconisations et de plusieurs scenarios de travaux établis en fonction du nombre et de la taille du ou des bâtiments, de la disponibilité des entreprises, du coût des interventions, de la capacité d’investissement de l’assujetti, des aides mobilisables… Le choix des travaux dépend ensuite du temps de retour sur investissement et des lots visés.

On a en effet des demandes de comparaison de scénarios entre déménagement et rénovation, avec, à la clé, un risque de déménagement important. 

Trois grandes catégories d’intervention sont aujourd’hui possibles. La première a trait au réglage des équipements pour en optimiser le fonctionnement : éteindre les lumières la nuit, baisser le chauffage lorsque les locaux sont vides… Elle s’accompagne d’incitation des occupants à adopter un comportement adapté : réduction du stockage de données informatiques, extinction des équipements, etc. Des solutions simples et peu onéreuses qui ont l’avantage de se répercuter rapidement sur la facture. Plus long à rentabiliser, le remplacement des équipements d’éclairage, de chauffage, de climatisation et de ventilation s’avère souvent également nécessaire sachant que deux tiers des consommations d’un bâtiment sont généralement liées au chauffage, à la ventilation et à la climatisation. « Dans un premier temps, on peut agir assez simplement sur la régulation, l’IT ou l’éclairage en faisant notamment du relamping. Cela ne coûte pas très cher et produit déjà des effets de baisse sur les consommations », ajoute Gwenaël Jan. Enfin, il y a aussi les interventions sur le bâti lui-même, et particulièrement l’isolation de l’enveloppe (murs, toitures…). Plus rares, elles sont souvent réalisées dans le cadre d’opérations plus larges de rénovation, planifiées selon le cycle de vie du bâtiment concerné.

Face à une addition salée, la tentation du déménagement

Si les entreprises se montrent pour la plupart de bonne volonté, elles se retrouvent parfois freinées par une addition plutôt salée. Certaines comptent en effet plusieurs sites dans leur parc immobilier, parfois dans un état vétuste. Face à des montants de travaux à plusieurs zéros, les entreprises peuvent être alors tentées de déménager plutôt que de rénover. « On a en effet des demandes de comparaison de scénarios entre déménagement et rénovation, avec, à la clé, un risque de déménagement important », confirme Gwenaël Jan. Selon lui, les entreprises, qu’elles soient locataires ou propriétaires, ont pourtant tout intérêt à faire leur part de travaux : « le décret tertiaire stipule que les locataires et propriétaires sont co-responsables de l’atteinte des objectifs. Il est important qu’une discussion saine se mette en place, avec, par exemple, la création de comités verts. Mais dans les faits, on constate qu’ils ont encore du mal à se mettre d’accord ».

104348409_l_normal_none.jpg
123RF

Pour palier aux difficultés financières que certaines entreprises peuvent rencontrer, le législateur a accompagné ces nouvelles obligations d’aides financières. Les établissements soumis au décret tertiaire peuvent par exemple mobiliser le dispositif des Certificats d’économies d’énergie (CEE) pour financer les travaux. Pour les collectivités et les TPE/PME, la Banque des territoires a également annoncé la mise en place du programme EduRénov pour financer la rénovation énergétique des écoles, des collèges et des lycées, qui représentent 150 millions de mètres carrés sur les 280 millions du patrimoine des collectivités selon la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Une enveloppe de deux milliards d’euros de prêts sera ainsi redistribuée aux collectivités concernées. Un nouveau dispositif sous condition - les travaux doivent aboutir à au moins 40 % d’économie d’énergie – cumulable avec le « fonds vert » et le fonds « chaleur » ou les Certificats d’économie d’énergie. Les petites entreprises, quant à elles, peuvent solliciter le prêt Éco Énergie, sous réserve qu’elles aient plus de trois ans d’existence et soient financièrement saines. Pour en bénéficier, elles doivent « s’engager dans un programme d’investissement qui aura pour finalité d’améliorer leur efficacité énergétique. C’est un prêt participatif pouvant aller jusqu’à 100 000 euros », précise le ministère de l’Économie. D’autres aides plus ou moins généralistes sont également disponibles tels que le tremplin TPE-PME, le Booster entreprises Éco-énergie tertiaire ou encore les subventions régionales.

Qui paye quoi ?

Reste la question du « qui paye quoi ? ». Un cas de figure qui se présente notamment dans le cadre de la relation locataire / propriétaire. « Le décret ne donne pas de réponse et s’en remet aux dispositions contractuelles négociées entre les parties, explique Benoît Dubois-Taine, associé fondateur chez ECH Énergie et Systenza. La logique, et ce que l’on comprend entre les lignes, c’est que le locataire doit payer au moins à concurrence des économies réalisées grâce aux travaux de rénovation énergétique. » Mais dans quelles proportions ? Que se passe-t-il si l’efficacité est moindre que celle attendue ? Si le locataire quitte les lieux avant la fin de l’amortissement des travaux ? « À ce jour, la bonne volonté est de mise. Chacun a conscience qu’il faut agir et vite. Mais les différentes branches professionnelles ont besoin de référentiels communs pour que chaque acteur connaisse la ligne de conduite lui permettant à la fois de protéger ses intérêts et de progresser vers plus d’efficacité énergétique en bonne intelligence avec les autres parties concernées. »

GettyImages-140883337.jpg
Getty Images

Une évolution « à deux vitesses »

Il faudra en tout cas trancher rapidement, car d’ici à 2025, les assujettis devront déclarer les moyens qu’ils mettront en œuvre pour atteindre les objectifs réglementaires et les gains attendus. « Ils sont soumis à une obligation de résultats », rappelle Augustin Bouet. À relativiser néanmoins car si les exigences de réduction des consommations ne sont pas remplies, ils risquent une amende maximale de 1 500 € pour les personnes physiques et 7 500 € pour les personnes morales. Des pénalités « négligeables » selon Gwenaël Jan. Sans compter que des dérogations existent, notamment lorsque les opérations s’avèrent complexes, lorsque les activités du site sont très consommatrices d’énergie. L’associé fondateur de G-On craint ainsi qu’il y ait une évolution « à deux vitesses » avec, d’un côté, des bailleurs ou entreprises avec une ambition RSE forte qui vont « tout faire pour s’y conformer par souci d’image, craignant pour leur réputation et souhaitant atteindre leurs objectifs RSE » et de l’autre, « des entreprises qui ne sont même pas encore au courant ». Espérons que 2024, dernière ligne droite, soit décisive sous peine de faire perdre au décret ­tertiaire ses ambitions…

Pour atteindre les objectifs de réduction de consommation énergétique fixés par le décret tertiaire, deux méthodes existent : l’atteinte de l’objectif en valeur relative (%), qui correspond à une réduction de la consommation d’énergie finale calculée sur une année de référence (12 mois consécutifs) choisie par l’assujetti entre 2010 et 2020, ou en valeur absolue. Ce dernier, incluant tous les usages énergétiques sur une année, est défini par l’État par arrêté, selon la destination du bâtiment, son usage et son profil énergétique. Ce seuil est exprimé en KWh/m²/an « en fonction de la consommation énergétique des bâtiments nouveaux de la même catégorie d’activité et des meilleures techniques disponibles », rappelle le ministère de la Transition écologique. Le choix de la méthode dépendra donc des performances actuelles de l’ouvrage. Ainsi, « un bâtiment très consommateur aura intérêt à se baser sur l’atteinte de l’objectif en valeur relative. Celui qui dispose déjà d’un bon bilan se tournera plutôt vers l’atteinte de l’objectif en valeur absolue », souligne Augustin Bouet, directeur grands comptes d’Hellio, expert en maîtrise de l’énergie et transition écologique.