C'est officiel. Après le 11 mai, le télétravail devra être maintenu lorsque cela est possible pour encore "au moins trois semaines", selon le Premier Ministre. Mais comment gérer la distance entre les équipes sur une si longue durée ? Éléments de réponse avec Baptiste Broughton de LBMG Worklabs.

Nous sommes entrés dans la 7e semaine de confinement, synonyme d’arrêt d’activité ou de travail à distance pour une part importante de la population active. Situation inédite dans l’histoire de nos sociétés modernes : des millions de personnes et d’entreprises voient leurs modes de travail et d’organisation radicalement bouleversés. Si certains étaient mieux préparés que d’autres, personne n’a jamais vécu à cette échelle un travail à distance prolongé et continu. Ainsi, 70 % des personnes découvrent cette situation selon une étude menée par Deskeo. Une situation qui va se prolonger pour bon nombre de salariés au delà du 11 mai, selon l'annonce du Premier Ministre. Tenir informés sur l’évolution des activités, donner autant que faire se peut de la visibilité aux collaborateurs sur la suite, être attentif au ressenti et à l’état psychologique, aider les managers dans la réorganisation des activités et l’animation du collectif : ces enjeux nous semblent désormais prioritaires.

 

Communiquer, communiquer, communiquer

Les entreprises ont dû prendre de nombreuses décisions en urgence ces dernières semaines. Des décisions qui impactent fortement les collaborateurs et dépassent très largement ce qui est généralement admis. Arrêt brutal ou ralentissement fort des activités avec mise en place de dispositifs de chômage technique ou partiel, télétravail imposé, congés obligatoires pour certains. Ces décisions, certes massivement comprises par les collaborateurs au regard de la situation, les questionnent néanmoins à titre individuel. Des questionnements très pratiques (quid de la perte de revenus, mon entreprise aura-t-elle les reins assez solides pour encaisser cette épidémie ? comment télétravail avec enfants à domicile ?..) ou plus profonds (mon métier fait-il sens ? mes produits / services intéresseront-ils toujours après la reprise ?).

Il est donc essentiel de communiquer massivement et en toute transparence sur l’évolution de la situation pour l’entreprise tant financière, qu’organisationnelle (infos sur votre réseau social, point d’équipe, message vidéo ou audio des dirigeants, session de questions/réponses, etc…). Il nous semble par ailleurs pertinent pour les entreprises de bien dialoguer avec leur CSE. On en parle peu depuis le début de la crise mais ils représentent une vraie caisse de résonance pour les salariés. Ils peuvent être parfois plus facilement questionnés que les dirigeants ou les équipes RH. Leur donner un maximum d’information et les impliquer dans cette situation nous semble une évidence et une bonne occasion de (re)nouer le dialogue.

Il faut également penser à renouveler les rituels mis en place en urgence comme les « cafés virtuels » du matin par exemple. Certains introvertis peuvent ne pas apprécier l’obligation de participer, d’avoir la vidéo ou de devoir participer à un challenge sportif. Certains extravertis peuvent à l’inverse trouver que ces temps sont trop mous, pas assez fun. Il est important de faire bouger les formats, d’être inventifs et de ne pas laisser pas filer ces brefs moments partagés.

 

Accompagner les managers dans la durée

Souvent critiqués, les managers jouent un rôle crucial dans cette phase de confinement. Relais de communication, garants d’une réorganisation efficace des activités, on leur demande également de s’impliquer pour maintenir la cohésion d’équipe et bien sûr être attentif à l’état psychologique de l’ensemble de ses collaborateurs. Tout cela en subissant eux-mêmes les impacts du confinement. Il est donc légitime de se demander s'ils sont suffisamment préparés et aidés par l’entreprise pour affronter cette vague.

La flexibilité est le maître mot ici : il n’y a pas de recette miracle unique qui va fonctionner avec chaque personne. Chaque manager va devoir trouver un équilibre - instable, changeant de semaine en semaine - avec chaque collaborateur. Il est crucial ici de garder une approche empathique et de confiance. Et d’avoir une vision claire sur la façon dont doivent fonctionner l’entreprise et le salarié : business as usual (à distance), mode « dégradé » conçu par le management, mode « improvisé » requérant l’initiative du salarié ?

 

" Avec un confinement qui dure, les conseils sur l’organisation et

le management à distance restent plus que jamais d’actualité"

 

Arrivé à la fin de la période officielle du confinement, mais avec une pratique du télétravail qui va se prolonger, il est important de préparer les équipes à cette éventualité. Comment va se passer l’éventuel retour au bureau ? Organisation d’une « rotation » de la présence au bureau des équipes ? Télétravail massif avec quelques jours de présence au bureau ? Utilisation d’espaces de coworking pour limiter l’isolement ? Les managers doivent être briefés sur la stratégie et les consignes de l’entreprise sur ces sujets, pour en être la courroie de transmission aux équipes. C’est également le moment d’identifier - si ce n’est déjà fait dans les équipes - les profils « à risque » si le confinement se prolonge. Les managers seront en première ligne pour faire remonter les problématiques et proposer des solutions concrètes (priorité pour les jours de présence au bureau, utilisation d’espaces tiers, soutien psychologique particulier…). Avec un confinement qui dure, les conseils sur l’organisation et le management à distance restent plus que jamais d’actualité :

  • Sur le point de l'animation de collectif. Identifier des personnes motivées, volontaires pour proposer / rendre plus vivant les points collectifs ou créer des temps informels.
  • En profiter pour tester des modes de fonctionnement plus collégiaux et moins hiérarchiques (cercles, scrum ou autre....) 
  • Limiter  le micro-management sur les profils les plus autonomes et remettre plus d'énergie sur les profils qui en ont le plus besoin (nouveaux arrivants par exemple) 
  • Définir des horaires de joignabilité avec les équipes et veiller à leur déconnexion hors des horaires de travail.
  • Définir un interlocuteur ou un process pour traiter les RPS liés au confinement (angoisse sur l’avenir, panique liée au confinement, burn-out lié à la garde d’enfants…)

 

De manière générale, il est important de veiller à ce que des dérives ne se produisent pas en réaction à cet éloignement forcé des équipes : « flicage », méfiance, surconnexion des collaborateurs et sollicitations à toute heure… son autant d'effets négatifs qui vont s'accentuer avec le prolongement du confinement. Une sursollicitation des équipes par des managers "hors de contrôle" aura des effets sur l'engagement, la productivité et les risques psycho-sociaux. Il faut veiller à ce qu'un accompagnement soit en place pour repérer les éventuelles pratiques néfastes. Même en télétravail les collaborateurs doivent légalement avoir une période d'inactivité de plus de 11 heures consécutives. Les entreprises doivent donc bien rester dans le cadre légal !

 

Ajuster son niveau d’exigence

Si on est globalement plus efficace en télétravail par rapport à une journée passée au bureau, il est difficile aujourd'hui de prévoir les impacts du télétravail prolongé. Pour certaines entreprises, le télétravail est improvisé sans pratique préalable. On rappelle au passage que dans la grande majorité des cas, le télétravail est réalisé un jour ou deux par semaine. Et s’il est prolongé dans la phase après-crise, il ne le sera que dans des conditions choisies et pourra être fait en espaces de coworking ou à minima ailleurs qu'au domicile.

Les premiers chiffres montrent que 8 télétravailleurs sur 10 en cette période de confinement disent en faire autant ou plus. Les semaines passant, on peut anticiper un risque d'épuisement et de perte de sens des collaborateurs, lié à l'absence de contact avec le collectif de travail et à la situation globale d'incertitude. À cela s’ajoute la perturbation liée à la vie personnelle et familiale, sans aucune barrière… Autant être clairs sur ce sujet dès le départ, l'anticiper et le mesurer.

 

Mesurer l’impact et ajuster au fur et à mesure

Avec le prolongement du télétravail, il va être important de comprendre l’impact dans la durée sur le moral des troupes, la cohésion, le niveau de productivité… Constate-t-on une dégradation progressive semaine après semaine ? Pourquoi ? Quels sont les indicateurs que l’on utilise ? De manière générale, on distingue plusieurs types d'impacts. Le premier concerne l’organisation. On l'a déjà abordé - c'est la capacité collective de définir les bonnes règles d'organisation aux niveaux collectifs et individuels, pour être suffisamment structurés pour fonctionner en full-remote. L'objectif est de bien définir ces règles au départ, et ensuite de les ajuster au fur et à mesure que cette organisation « vit ». Ensuite, les impacts psycho-sociaux. On rentre plus ici dans les effets psychologiques liés au confinement prolongé et la perte de lien social. Impacts que l'on découvre tous à notre manière ces derniers temps. Il faut s’assurer ici que ces aspects sont mesurés et que les dispositifs d'aide et d'accompagnement sont en place (soutien / aide psychologique, formation / sensibilisation des managers, etc.) Viennent aussi les ceux qui concerne le sens, l’existentiel. C'est ici le risque après plusieurs semaines loin du collectif et dans une phase d'incertitude, de ne plus savoir pourquoi on travaille, vers quel but on avance. Enfin, la productivité : l'efficacité globale est un peu la résultante des trois points précédents. Si l’entreprise réussit à bien les traiter et à limiter l'impact, la productivité globale pourrait être maintenue, voire améliorée.

 

" Avec le prolongement du télétravail, il va être important de comprendre l’impact dans la durée sur le moral des troupes, la cohésion, le niveau de productivité… "

 

Chez Neo-nomade, nous avons mis en place un suivi régulier des impacts via un questionnaire simple, rempli de manière hebdomadaire par les personnes de l’équipe de manière anonyme. Les résultats sont revus toutes les semaines par une petite équipe RH / Direction pour comprendre les besoins. Cela nous a permis de relever des problèmes matériels ainsi que des inquiétudes liées à la situation. Nous avons par exemple décidé suites aux remontées terrain : de raccourcir les points café du matin, d’instaurer un point de communication hebdo plus clair sur la crise et la situation financière et de proposer des solutions d’accompagnement psychologique pour les premiers besoins qui se faisaient ressentir. C'est aussi l'occasion avec ce questionnaire, de suivre les idées, propositions, inspirations pour l’avenir : les phases de chaos étant aussi propices à l'inspiration et à l'innovation !

 

Penser l'après

Arrivés proches de la période de déconfinnement progressive, il est grand temps de se projeter sur l’après. Il faut être conscient cependant des attitudes diverses des collaborateurs. Certains ont besoin de se projeter sur l’après crise. C’est l’occasion de les laisser s’exprimer sur ce qu’ils aimeraient faire différemment à l’avenir. Les façons d’anticiper les périodes de crise, de faire face aux aléas, etc. et donc de recueillir des pistes d’innovation pour l’avenir. C’est aussi une période propice à l’improvisation et donc à la mise en place de pratiques totalement inédites : garder des traces de ce que ces changements produisent (ce qu’ils permettent de faire, ce que ça vous apprend sur vous, sur votre équipe).

Pour d’autres, il est encore trop tôt pour se projeter à long terme. Nous sommes encore dans une situation très incertaine et le niveau de stress que cela engendre ne permet pas d’envisager l’avenir de manière sereine. Il faut alors écouter ce qui alimente le stress pour ces personnes, essayer de trouver avec eux des moyens de réduire l’impact, en insistant sur le sens de ces actions (assurer la continuité de service pour les usagers, contribuer à un effort collectif, maintenir la coopération entre les personnes de l’équipe…).

Cette crise va nécessairement amener progressivement des questions profondes et "existentielles" : d'abord sur les pratiques et l'organisation du travail, puis sur les activités et le positionnement de l'entreprise et de ses produits sur un marché qui va être bouleversé. Ce sera aussi la question de la pérennité de l'entreprise demain qu'il faudra aborder calmement. Et plus globalement du sens au travail, de la manière dont l’entreprise participera demain à des enjeux d’intérêt général. Si ces incertitudes peuvent être facteur de stress, les entreprises devront dans les prochaines semaines structurer cette réflexion de manière collective et ouverte. C'est pour nous l'enjeu principal de ces prochaines semaines.

 

L'auteur

Baptiste Broughton est co-fondateur de Neo-nomade et directeur associé de LBMG. Spécialisé dans les nouveaux modes et espaces de travail, LBMG Worklabs a conçu Neo-nomade, une plateforme de réservation d’espaces de coworking en France qui compte plus de 800 espaces partenaires aujourd'hui.

">