Benoit Drouet / Morning
Si la phase « d’hypercroissance » du coworking semble désormais révolue, le marché devrait connaitre dans les années à venir une croissance plus raisonnée, notamment en régions et chez les grands comptes, selon la dernière étude de Xerfi *. Décryptage avec Vincent Desruelles, directeur d’études.

Comment voyez-vous évoluer l’offre de coworking en France d’ici 2026 ?

La course à la taille dans le coworking s’est notamment nourrie de la volonté d’améliorer les performances. L’augmentation des surfaces exploitées permet en effet de réaliser des économies d’échelle. Toutefois, cette course au gigantisme des sites a pris fin avec la hausse du coût du financement et les difficultés à remplir les très grands espaces. Les déboires de WeWork et la baisse globale de la demande en bureaux ont fait le reste, poussant à un développement plus mesuré. En d’autres termes, la phase d’hypercroissance de l’offre (avec un doublement des surfaces entre 2019 et 2022) appartient bel et bien au passé. La croissance du marché sera désormais raisonnée et elle passera par les régions (plus d’un tiers du marché contre moins d’un quart en 2019), représentant un fort potentiel de croissance. Si le marché parisien des bureaux flexibles est de mieux en mieux pourvu, surtout en espaces de grande taille, les grandes métropoles mais aussi les agglomérations de taille moyenne (Metz, Bayonne ou Clermont-Ferrand par exemple) suscitent de plus en plus d’intérêt. Les régions deviennent en effet les cibles privilégiées des enseignes ayant le plus progressé (Flex-O, Now, Bureaux & Co, Newton Offices…).

La capacité des entreprises de bureaux flexibles à répondre aux nouveaux besoins des grands comptes restera par ailleurs un moteur clé de leur activité, en proposant une flexibilité en matière d’engagement et de nombre de postes. L’objectif est en effet de proposer des lieux de travail attractifs pour favoriser le présentiel, renforcer la marque employeur et satisfaire aux objectifs RSE. Dans ces conditions, le secteur devrait encore ravir des parts de marché à l’offre traditionnelle de bureaux en bail commercial. Des ouvertures emblématiques sont en effet attendues en 2024, à l’image de Spaces qui occupera 10 000 m² de la tour To-Lyon. Et les principaux réseaux prévoient encore la création de flagships de plusieurs milliers de mètres carrés ces deux prochaines années. Notre scénario prévisionnel sur l’évolution de l’offre acte d’ailleurs ce ralentissement, avec une croissance de 9 % en 2024 puis d’environ 6 % par an en 2025 et 2026 (sur la base d’une continuité d’activité de WeWork dans la capitale) pour dépasser les 1,3 millions de m². Si la taille reste une priorité, elle porte moins sur la surface totale des centres que sur le nombre et la localisation des implantations.

Quelles sont les stratégies de croissance privilégiées par les acteurs des bureaux flexibles ?

Les exploitants d’espaces de coworking et bureaux flexibles se heurtent à la difficulté de l’accroissement du coût du financement provoquée par la hausse des taux d’intérêt. Le contexte difficile dans l’immobilier de bureaux tend les relations entre les parties prenantes. Dans ces conditions, les entreprises de bureaux flexibles cherchent des alternatives pour ne pas supporter seules le poids des nouveaux projets et les investissements massifs nécessaires pour adapter leurs locaux. Une première option consiste à collaborer avec des investisseurs pour étoffer leurs moyens, à l’image de Bureaux & Co avec Idec Invest. Recourir au mode de développement du commerce associé, comme la franchise, est une autre piste. Wojo vient ainsi d’ouvrir un site à Brest (Finistère) sous licence de marque. Pour les acteurs qui en ont les moyens, la croissance externe est également une possibilité, à l’instar du rachat du réseau de coworking toulousain AtHome par InSitu. Les sociétés de coworking cherchent également à associer les propriétaires d’immeubles de bureaux à leurs projets via des contrats de management. Dans une approche similaire à celle de l’industrie hôtelière, cette stratégie permet d’associer le propriétaire aux performances du site et de lui faire supporter les investissements initiaux.

Alors que la croissance du marché se tasse, le mouvement de concentration peut-il persister ?

Une dizaine d’acteurs dominent aujourd’hui le paysage concurrentiel. Les quatre leaders IWG (Regus, Spaces, Stop & Work…), WeWork, Wojo et Morning ont été rejoints par Startway-Mutliburo, fusionnés dans une offre unique par La Poste Immobilier, ainsi que par une poignée de groupes régionaux dont le parc en gestion dépasse les 40 000 m². Et le mouvement de concentration, à l’œuvre ces dernières années, devrait à notre avis s’intensifier. L’offre a en effet augmenté trop vite par rapport à la demande. Certains nouveaux entrants n’ont pas réussi à se doter d’un réseau assez puissant pour s’imposer dans un contexte qui s’est nettement durci sur le marché des bureaux. Plusieurs groupes immobiliers, à la tête de filiales de bureaux flexibles, sont très exposés à la crise du logement neuf et pourraient chercher à réduire leur endettement ou à dégager des liquidités en cédant leur activité de coworking. La recherche de localisations prisées dans le quartier central des affaires à Paris favorise d’éventuelles opérations de fusion-acquisition. La constitution d’un réseau complémentaire en matière d’implantations, de positionnement et de marque pourrait favoriser les rachats. Sans oublier que des opportunités pourraient voir le jour à la faveur de la cession de tout ou partie du réseau français de WeWork.

* « Le marché du coworking et des bureaux flexibles à l’horizon 2026 - Les stratégies pour s’imposer dans l’accompagnement des grands comptes et des propriétaires d’actifs ».