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Quelques semaines avant la rentrée 2024, la Dares a rendu public les résultats d’une étude menée sur la santé mentale des travailleurs. Elle conclut sur les effets néfastes d’une forte intensité de travail et les bénéfices d’une plus grande autonomie sur le bien-être des salariés.

La rentrée a à peine pointé le bout de son nez pour la plupart des salariés français que la Dares (direction de l’Animation, de la recherche, des études et des statistiques) vient de publier une étude plutôt pessimiste sur leur santé mentale au travail. Menée par le laboratoire de recherche en sciences économiques Gains à partir des enquêtes conditions de travail (2013 et 2019), conditions de travail-Risques psychosociaux 2016, Sumer 2017 et Tracov1 (2021), et publiée le 13 août 2024, elle met en évidence les effets néfastes d’une forte intensité de travail et les bénéfices d’une plus grande autonomie sur le bien-être des salariés. Deux caractéristiques du travail renforcées par les innovations technologiques, organisationnelles et managériales qui se diffusent depuis quelques années dans les entreprises françaises. Alors que jusqu’ici les études publiées semblaient frileuses à établir une relation de cause à effet et se limitaient souvent à l’analyse de corrélations, cette dernière révèle que les individus exposés à la fois à une forte exigence du travail et à une faible latitude décisionnelle ont une santé mentale plus dégradée que les autres.

Automatisation et mal-être au travail

Les chercheuses se sont tout particulièrement attelées à étudier les corrélations possibles entre les pratiques spécifiques, qui peuvent favoriser l’intensification et/ou l’autonomisation du travail et par ricochet avoir des conséquences sur la santé mentale des individus, et cette dernière. Parmi les pratiques étudiées, la gestion des fluctuations de l’activité, en recourant à une flexibilité interne ou externe de la main-d’œuvre, et les pratiques managériales à forte implication ne semblent pas avoir d’effet important sur la santé mentale des salariés.

Les chercheuses ont en revanche à jour des liens entre la santé mentale et l’automatisation des tâches ainsi qu’avec le télétravail. Les salariés effectuant un travail automatisable sont plus nombreux à déclarer une santé mentale dégradée que les autres. « Cela s’explique en partie par le fait qu’ils éprouvent plus souvent un sentiment d’insécurité dans l’emploi et des craintes de devoir changer de qualification ou de profession au cours des trois prochaines années. Ils sont également plus exposés à un travail intense », mentionne l’étude.

De son côté, le télétravail a des effets plus nuancés sur la santé mentale. S’il est choisi, il ne semble pas avoir d’impact sur le bien-être psychologique. Sinon, il peut avoir des conséquences négatives sur la santé mentale, et plus particulièrement pour les seniors. La dégradation du sommeil et la perte d’énergie apparaissent alors comme des points de vigilance. Ce qui amène les chercheuses à considérer que l’« on peut donc raisonnablement penser que l’obligation de télétravail dans les conditions difficiles de la pandémie a également joué un rôle » dans la dégradation de la santé mentale des travailleurs depuis 2020.

Disparités sociales

Une réalité qui impacte d’autant plus les femmes, plus nombreuses à avoir une santé mentale dégradée. Cette disparité en fonction des genres ne s’explique qu’en partie par des différences d’exposition à l’intensité du travail et dans une moindre mesure encore à l’autonomie du travail, et ne peut s’expliquer par les différences de pratiques managériales ou le risque d’automatisation. Les chercheuses préconisent donc une analyse plus poussée des types de métiers et de tâches réalisées des travailleuses et salariées pour expliquer cette plus grande vulnérabilité au travail.

Les chercheuses ont également observé des disparités apparaître en fonction du statut social des salariés interrogés. Un niveau supérieur au bac est négativement corrélé au risque de dépression. Les cadres ou les professions intermédiaires ont quant à eux une probabilité plus faible de déclarer une santé mentale dégradée que les ouvriers. L’âge, en revanche, ne semble pas avoir d’impact sur la survenue d’un épisode dépressif.

Après un appel à projet de recherches qualitatives et quantitatives sur « la santé mentale, expériences du travail, du chômage et de la précarité » lancé par la Dares et la Drees1, Sylvie Blasco de l’Université du Mans, Julie Rochut du Cnav et Bénédicte Rouland de l’Université de Nantes, viennent de publier « Impact de l’intensification et de l’autonomie au travail sur la santé mentale. » Une étude qui se base sur le modèle d’analyse du stress au travail Karasek développé en 1979 par le professeur de psychologique éponyme. Le modèle permet de faire un lien entre le vécu du travail et les risques que ce travail fait courir à la santé des travailleurs grâce à un questionnaire distribué aux salariés.

[1] La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques rattachée au ministère de la Santé et de la prévention