« Notre métier, rendre le vôtre plus sûr », tel est le slogan de l’Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS), acteur clé de la prévention des risques professionnels en France. Faut-il donc s’inquiéter du budget dégradé avec lequel l’institut est contraint de fonctionner depuis 2023 ? En cause, l’absence d’accord signé entre le Gouvernement et l’Assurance maladie. Cet accord quinquennal, une convention d’objectifs et de gestion (COG), doit acter le budget de fonctionnement alloué à l’association. Cependant le Gouvernement a remis en question certains axes pourtant validés depuis mai 2023 par les partenaires sociaux. Parmi ces axes que la COG doit en principe entériner : le développement de la prévention avec recrutements de spécialistes à la clé, la refonte du système d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles, le renforcement de la gouvernance paritaire de l’INRS. Ainsi, la précédente COG étant échue, le budget de l’institut se limite à 80% des derniers crédits votés en 2022, c’est la règle en l’absence de renouvellement signé. « C’est comme une clause de sauvegarde », explique Christian Darne, délégué syndical central CFDT de l'INRS. Ce dernier dispose ainsi de 63 millions d’euros pour 2024 alors que son conseil d’administration (CA) en demandait 95 millions. Un organisme en souffrance donc.
« En tant que salarié, c’est déjà dur. Mais en tant que préventeur, ce sous-investissement chronique est très inquiétant. »
En 2023 déjà, l’INRS a fonctionné avec 80 millions d’euros face à un besoin que son CA avait chiffré à 91 millions d’euros. Et pour 2024, passé juillet, il n’y aura plus assez de fonds pour fonctionner, y compris pour payer les salaires. « Ce qui m’inquiète le plus, c’est ce désintérêt des gouvernements successifs et le refus de nous accorder le budget demandé alors même que les moyens sont là », s’irrite Christian Darne. « En tant que salarié, c’est déjà dur. Mais en tant que préventeur, ce sous-investissement chronique est très inquiétant », confie le scientifique. Le mécanisme de sauvegarde qui permet à la structure associative de fonctionner sans budget officiellement voté a ses limites puisqu’elle a interdiction de faire des investissements, comme l’achat de nouvelles machines, et les recrutements sont gelés. « De facto, des morceaux d’activités disparaissent puisque cette interdiction de recruter vise aussi le non-remplacement des départs à la retraite », déplore le délégué syndical.
Un niveau record d'absentéisme maladie
Des difficultés financières qui s'inscrivent par ailleurs dans un contexte de santé au travail tendu. Dans son baromètre d’août 2023, Malakoff Humanis constate en effet un niveau record d’absentéisme maladie puisque 50% des salariés ont été arrêtés au moins une fois en 2022, un niveau jamais atteint depuis 2016. La durée moyenne des arrêts longs - plus de 30 jours - augmente aussi avec 111 jours en 2023 contre 97 en 2022. Les troubles psychologiques, en tête des motifs de ces arrêts longs, ont même triplé depuis 2020, passant de 14% à 32% en 2023. Les salariés soulignent que les arrêts sont principalement liés au travail, en particulier leur environnement de travail et les pratiques managériales.
Pour Anne-Sophie Godon-Rensonnet, Directrice des services et du Département Etudes stratégies et Recherche chez Malakoff Humanis, ces données confirment « l’enjeu à travailler la qualité et les conditions de vie au travail au sein des entreprises ». Une analyse partagée par l’organisme de recherche puisque, en 2023, son CA a demandé six recrutements au gouvernement pour « renforcer le volet organisation du travail et risques psycho-sociaux, mais cela a été refusé », relate Christian Darne. Ces données témoignent d’une dynamique préoccupante. Mais vraisemblablement pas au point de mettre fin au blocage budgétaire qui frappe l’organisme de recherche depuis 2023. Et le coût édifiant des arrêts maladie n’y change rien non plus.
En 2022, les dépenses d’indemnités journalières ont coûté 16 milliards d’euros au régime général de la Sécurité sociale. Pour les diminuer, l’Assurance maladie a décidé l’été dernier d’un ensemble de mesures tels que lutter contre les arrêts dits « de complaisance », limiter à trois jours maximum la durée des arrêts prescrits par téléconsultation ou encore accroître le contrôle des salariés en arrêt de travail. Mais aucune ne s’attaque véritablement aux raisons de ces arrêts. « Il faut aller à la source, creuser les causes. Au-delà du drame humain, le coût va finir par devenir insupportable », insiste le délégué syndical. Face à ces chiffres, accorder des moyens à la prévention des risques pourrait s’avérer d’autant plus souhaitable que les fonds ne manquent pas. « L’impact des actions de prévention n’est certes pas facile à mesurer mais certaines études prouvent que si on investit dans la prévention, on peut espérer y gagner économiquement parlant », ajoute Christian Darne.
Former les managers aux signes avant-coureurs
Prévenir plutôt que guérir, une dynamique de plus en plus partagée côté employeurs puisque selon le baromètre Malakoff Humanis, la part des managers mettant en place des actions en cas d'arrêt long d'un collaborateur progresse. La sensibilisation et la formation des managers aux problèmes de l’absentéisme sont d'ailleurs plébiscitées par les dirigeants. Surtout que dans plus de 8 cas sur 10, les salariés ayant eu un arrêt long avaient eu des signes avant-coureurs au cours des deux années précédentes : fatigue excessive, surcharge de travail, difficultés relationnelles… Pour Anne-Sophie Godon-Rensonnet, « face à des sujets tabous en entreprise, il faut aider les dirigeants à détecter des situations de fragilités ».