
S’il est certain que nous travaillerons demain davantage à notre domicile, reste encore à savoir dans quelles conditions nous le ferons. Car ces derniers mois de télétravail contraint ont soulevé bon nombre d’interrogations. Quid du matériel ? De la co-activité ? Ou tout simplement du domicile en lui-même : nos habitations sont-elles faites pour le travail ? « Pour l’heure, le parc du logement français n’a pas été pensé pour cette nouvelle organisation du télétravail. Si l’injonction du développement du télétravail est poussée par une urgence sanitaire, elle interroge néanmoins des enjeux économiques sur l’environnement adapté, le matériel et les outils adéquats et les conditions nécessaires pour conjuguer une vie professionnelle et une vie personnelle », répond Jean-Luc Reinero, ergonome et vice-président du Cinov. Le télétravail est en effet apparu en cette période de pandémie comme révélateur d’une inadaptation certaine du logement. « Pendant les confinements, on a pu observer qu’un désordre matériel s’était créé de par l’inadaptation des logements au travail », poursuit-il. Une inadaptation due en partie au manque de place. Diminution des surfaces du bâti, superficies et conception des logements laissant peu de latitude à l’adaptabilité… « Plus de 70 % des logements n’ont pas de possibilité d’espaces dédiés à cette activité », souligne Jean-Luc Reinero.
« L’habitat et le travail sont deux fonctions qui méritent d’être confrontées et qui vont inviter à n’en pas douter les futurs concepteurs à imaginer les logements d’une autre manière », Jean-Luc Reinero vice-président du Cinov.
Le logement n’était, jusqu’à présent, clairement pas pensé pour accueillir le télétravail. Pire, il a même pu être source d’inégalités. Car si le bureau fournit, a priori, des conditions de travail égalitaires à tous les employés sur le lieu de travail, le domicile représente quant à lui « un risque de discrimination en fonction du revenu », prévient Jean-François Foucard, secrétaire national emploi-formation de CFE-CGC. « Tout cela interroge d’un point de vue culturel. L’habitat et le travail sont deux fonctions qui méritent d’être confrontées et qui vont inviter à n’en pas douter les futurs concepteurs à imaginer les logements d’une autre manière », commente le vice-président du Cinov.
Le même poste de travail à la maison qu’au bureau ?
Côté matériel, les interrogations sont, là aussi, nombreuses. Après l’urgence des confinements, l’heure est à la réflexion. « L’année 2020 a été marquée par un besoin d’équipements en urgence, contraint et forcé. Depuis le début de l’année, on note un passage d’un mode d’urgence vers un mode de réflexion plus approfondi. Et pas simplement sur les équipements en outils de communication, mais plus largement sur le poste de travail de demain », confirme Axel Perret-Gentil, directeur commercial d’Epos. Mais alors faut-il à terme équiper les salariés à domicile avec le même matériel qu’au bureau ? Un matériel ergonomique, pensé spécifiquement pour le travail. « Il est évident qu’il sera important de veiller à la manière dont les salariés vont travailler pour éviter de se retrouver confrontés à des maladies professionnelles dans les années à venir, note Vincent Creste, responsable commercial France d’Ergotron. Pour autant, les employés sont-ils prêts à voir des produits dits « professionnels » rentrer dans leur cadre privé ? C’est une vraie question ». Pour l’ergonome Jean-Luc Reinero, il va falloir fournir « a minima les éléments de confort nécessaires, avec du matériel adéquat ». Autrement dit un écran, un clavier, une souris, un siège… Face à ce nouveau marché, les fabricants sortent à tour de rôle des gammes spécialement conçues pour le télétravail : accessoires design reprenant les codes de l’habitat, bureau de faible encombrement, solution 2-en-1 (bureau le jour, commode le soir), etc.. « Cela ne sera pas suffisant si l’on n’interroge pas l’organisation du travail et le projet d’entreprise. Le télétravail et ses conditions d’exercice doivent tenir compte des éléments matériels, mais aussi organisationnels (objectifs, temporalité, ressource, soutien, lien…) pour garantir la préservation de la santé et la performance », ajoute Jean-Luc Reinero.
« Les employés sont-ils prêts à voir des produits dits « professionnels » rentrer dans leur cadre privé ? C’est une vraie question », Vincent Creste, Ergotron
Équipements, frais professionnels… qui va payer ?
Mais les entreprises sont-elles seulement prêtes à payer pour équiper les salariés à domicile ? Pour l’heure, rien ne les y oblige. L’ANI de 2020 ne traite pas clairement le sujet des équipements et des frais, se contentant d’indiquer qu’il appartient à l’entreprise “de prendre en charge les dépenses qui sont engagées par le salarié pour les besoins de son activité professionnelle, après validation par l’employeur”. « Il n’y a rien de prescriptif dans ce texte, confirme Jean-François Foucard, de la CFE-CGC. Les employeurs se sont battus pour qu’il n’y ait pas de valeur par défaut et que ce soit à l’entreprise que revienne cette décision ». Et en la matière, chacune sa stratégie. Certaines entreprises ont fait livrer directement au domicile de leurs salariés siège, bureau et autres équipements. D’autres ont préféré proposer un catalogue, laissant la possibilité au salarié de choisir son équipement parmi un panel de solutions. Enfin, certaines entreprises ont également indiqué rembourser sur facture. « Dans ce cas-là, le salarié est libre de commander où il le souhaite. Cela peut être dans des magasins spécialisés comme dans les grandes surfaces ou les géants de l’ameublement… Avec, au final, aucune garantie en matière d’ergonomie », précise toutefois Vincent Creste. Si certaines entreprises ont déjà investi massivement en casques audio, souris, claviers, écrans, etc., ce n’est pas le cas de toutes. « Pour aller plus loin, je pense qu’il faudrait une incitation, de l’État par exemple, pour investir dans l’ergonomie. Une incitation financière autre qu’une incitation verbale ou une simple recommandation », avance le responsable commercial d’Ergotron. Parmi les freins à la dépense notamment côté entreprises, la peur du doublon. « Il y a évidemment un problème de trésorerie pour de nombreuses entreprises qui n’avaient pas anticipé ses bouleversements en termes d’infrastructures et d’équipements des salariés, constate Axel Perret-Gentil. Parmi les solutions de financement proposées sur le marché, celle du « hardware as a service » me semble intéressante. C’est d’ailleurs une tendance qui monte pour financer les PC et outils de communication. La location de matériel permet d’avoir un renouvellement tous les deux ou trois ans et de rester à la pointe de la technologie ».
D’autres questions sont également apparues quant à la prise en charge des frais liés au logement. Internet, électricité, chauffage… Le sujet divise. Et là encore, la loi laisse planer le doute. Selon une étude réalisée fin 2020 par le cabinet de conseil Convictions RH, 68 % des employeurs ne participaient pas aux frais quotidiens (factures de téléphone, d’Internet, d’électricité, aide à la restauration…) de leurs salariés en télétravail. Parmi celles qui ont fait le choix de rembourser ce type de dépenses (allant de 30 à 200 euros par mois), 28 % ont privilégié le versement mensuel d’une indemnité forfaitaire et 4 % un remboursement sur présentation de justificatifs.

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