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Face à la situation inédite qui touche actuellement les entreprises, Workplace Magazine a souhaité laisser la parole aux responsables de l'environnement de travail qui continuent, au quotidien, à assurer la sécurité et la santé des salariés. Ils racontent leur expérience vécue, en cours et à venir. Les DET sur le front, épisode 8, avec Thierry Cadiot, senior facility manager France dans une multinationale.

« Nous avons déclenché un groupe de gestion de crise dès la fin janvier-début février, après avoir reçu quelques signaux de notre réseau international, notamment en Asie. L’objectif était d’analyser les données et d’être capable de préconiser des décisions. Dans un premier temps, on a surtout essayé de comprendre ce qu’il se passait, voir quels étaient les impacts, les risques et essayer de comprendre ce qui avait déjà été tenté dans les autres pays (Chine, Corée, Italie, Suède, …).

Pour réorganiser le travail dans les bureaux, et avec nos prestataires, nous nous sommes basés sur les préconisations des organisations gouvernementales et d’autres organismes (comme l’INRS, l’OMS) puis nous avons suivi et adapté les guidelines globales et régionales du groupe pour concevoir les nôtres. À titre d’exemple, j’ai pris la décision dès la mi-février de fermer les zones à chaque suspicion avérée de cas de Covid-19, et ce, pendant 3 jours pleins avant un nettoyage et une désinfection. Ce qui nous a permis d’éviter des désinfections lourdes par la suite. Nous avons aussi mis en place un nettoyage et une désinfection obligatoire sur tous les postes de travail, tous les jours, ainsi qu’une désinfection des points de contact deux à trois fois par jour.

Début mars, nous avons pris le parti de mettre en œuvre un télétravail progressif. Nous étions prêts le 13 pour mettre une très grande majorité de nos collaborateurs en télétravail. Cela a bien fonctionné car nous nous sommes appuyés sur l’expérience des grèves où l’on avait déjà déployé des plans de continuité d’activité. Donc tous les collaborateurs sont partis chez eux pour deux semaines initialement... Ça va faire plus de deux mois, et nombre d’entre eux y resteront pour encore quelques semaines.

 

Quelques ajustements, mais pas de psychose

Nous avons initié le retour progressif dans nos immeubles la semaine dernière. Il va s’organiser par vague de 10 % toutes les trois semaines. Ce qui devrait nous amener à un ratio de 50-60 % de salariés fin juillet, comme beaucoup. Nous avons finalement fait assez peu de modifications pour la reprise car avec seulement 10 % de collaborateurs présents, les mesures de distanciation physique sont facilement respectées. Le risque majeur aujourd’hui est de tomber dans une psychose et il nous faut garder raison face à des comportements irrationnels. Nous ne pouvons pas refaire l’immeuble en 24h !

Quelques ajustements ont tout de même été réalisés. Pour faciliter la circulation dans les zones de croisement, on a mis en place un marquage au sol avec des fléchages, des circuits, de l’affichage et les salles de réunions restent interdites... Et puis, bien sûr, nous mettons du gel hydroalcoolique à disposition sur chaque palier d’ascenseur et avons programmé des désinfections des postes de travail au moins une fois par jour, deux fois quand il s’agit de postes partagés. En revanche, pas de prise de température, car ce n’est pas un indicateur fiable. Si la personne a marché vite, ou est stressée, elle pourrait avoir un peu de température, ce qui ne refléterait en aucun cas un symptôme quelconque. Pour que cela soit réellement pertinent, il faudrait réaliser deux prises de températures à intervalle, par la médecine du travail, ce qui n’est pas faisable.

Côté restauration, nous avons opté pour un système de plateau-repas à emporter, et les salles de restaurant restent fermées. Les collaborateurs viennent chercher leurs plateaux et remontent déjeuner. Enfin, nous avons décalé des horaires, (le matin à partir de 7h00), afin de lisser les arrivées de nos collaborateurs, que ce soit dans les transports ou sur les sites.

 

Et après ?

Clairement, je pense que l’on va changer de société. Nous sommes arrivés aux limites du système actuel et à la fin d’un cycle. À commencer par l’approvisionnement des produits sanitaires. Il est évident que le fait de tout délocaliser en Chine pose problème alors que ce pays a connu un arrêt de son économie pendant plusieurs semaines et que nous restons dépendants des transports. Sur les espaces de travail ne pouvons pas nous exonérer de réfléchir et d’imaginer. Par exemple, sur le flex office : comment se prémunir du risque d’une nouvelle contamination dans plusieurs années ? Nous devons nous poser la question. Cela va évidemment aussi changer l’approche des entreprises vis-à-vis du télétravail. Aujourd’hui, on voit bien qu’une majorité des salariés s’y sont adaptés, reste à valider quelles fonctions et comment. Personnellement, j’ai perdu en efficacité avec des journées de 10 à 12h… 

Enfin, nous échangeons et réfléchissons également sur le futur de nos immeubles, notamment au sein de l’Arseg. Quel est l’intérêt, demain, de construire un très grand immeuble de 40 000, 80 000 ou 120 000 m² ? À mon sens cela expose l’entreprise à des risques majeurs… comme l’absence de sites de repli. Nous allons par ailleurs observer un changement signifiant dans le rapport au travail, notamment chez les jeunes générations, avec un phénomène de délocalisation en régions pour des raisons de qualité de vie, de mobilité… Dans cette perspective, est-il toujours pertinent de concentrer l’activité sur un seul gros site ? Ce sont des questions qu’il va falloir se poser. Nous n’en sommes qu’au début de la réflexion, la page est à remplir et en tant que DET, nous sommes parties prenantes, et même pilier de cette réflexion, ne serait-ce que par l’expérience de notre quotidien depuis quelques semaines. Une seule chose est sûre : il y aura du changement. »

 

 

Retrouvez les autres épisodes de notre série "Les DET sur le front" :