Alors que près de la moitié des actifs de moins de 35 ans trouvent que le télétravail dégrade les relations intergénérationnelles, plus de deux tiers des actifs de plus de 50 ans ne partagent pas cet avis. S’il n’existe pas de réels écarts dans les attentes des différentes générations présentes en entreprise, la question du travail à distance, telle une exception confirmant une règle, semble rester le lieu de divisions. Selon un rapport de Morning Consult paru en 2023, la génération Z est celle qui aimerait le plus le présentiel et surtout le pratiquerait davantage. Le télétravail serait-il à l’origine d’un fossé générationnel ?
« La notion de génération est peu travaillée en sociologie », nuance Anne Gillet, sociologue du travail. Cette notion n’est ni officiellement définie, ni homogène et « ce sont plutôt les cycles de vie ou de parcours qui comptent car l’âge en soi n’explique rien », analyse-t-elle. Cependant dans l’ampleur de la crise sanitaire, des « marqueurs » générationnels ne peuvent-ils pas s’esquisser ? La pandémie a pu amener les jeunes actifs à associer le télétravail à une dégradation de l’espace de travail. Etant donné leurs faibles revenus liés à leur carrière naissante, leurs logements exigus ne sont pas toujours adaptés.
L’identité sociale se construit d’abord au bureau
Par ailleurs, « le bureau est un lieu de construction de soi au niveau professionnel car c’est dans l’interaction que se forge l’identité, pas derrière un ordinateur », souligne Anne Gillet. En entrant sur le marché du travail dans l’impréparation du confinement, le télétravail a pu abîmer l’identité sociale de jeunes actifs. Une identité sociale qui rime avec confiance en soi. Or, selon une étude de Jabra parue en 2024, les générations Z et Y sont deux à trois fois plus susceptibles de se sentir exclues des réunions virtuelles. Moins expérimentées, elles manquent de la confiance qu’ont déjà leurs aînés pour oser prendre la parole. Cette dynamique intergénérationnelle appelle à créer une culture de réunion plus inclusive.
C’est aussi dans le cadre informel et spontané du bureau que l’apprentissage se forge. Au contact de collègues plus expérimentés, les apports sont plus riches tant pour se former et socialiser que pour se créer un réseau professionnel. Ce dernier est d’ailleurs jugé important voire essentiel par 93 % des moins de 24 ans, selon une étude de LinkedIn et de l’Institut CSA de fin 2023. Et une large majorité d’entre eux pensent, contrairement aux plus de 50 ans, qu’ils n’accéderont pas au marché de l’emploi sans ce réseau.
Le télétravail jugé inadapté pour un premier poste
Résultat, une majorité d’étudiants juge le télétravail inadapté pour un premier poste. Toutefois, malgré l’attachement des jeunes actifs au présentiel, ces derniers n’aimeraient pas devoir revenir sur site à temps complet. Entre les lignes, la flexibilité qu’ils recherchent est plus temporelle que spatiale. Dans son ouvrage « Les jeunes, des travailleurs comme les autres », Suzy Canivenc, enseignante-chercheure en communication et management, spécialisée dans les innovations socio-organisationnelles, souligne que « la flexibilité temporelle se révèle un facteur beaucoup plus décisif que la seule flexibilité spatiale : selon l’enquête de l’ADP Research Institute, plus d’un quart (27 %) des 18-34 ans déclarent que la flexibilité des horaires est ce qu’ils recherchent avant tout dans un emploi ».
À défaut de fédérer toutes les générations d’actifs, le travail à distance a au moins le mérite de redéfinir en creux ce qui est justement attendu du bureau et de l’organisation du travail.