
Les entreprises ont aussi leur rôle à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique et elles l’ont bien compris. En 2022, les objectifs de durabilité sont devenus une priorité pour 63 % des équipes dirigeantes selon le baromètre des achats durables 2022 publié par EcoVadis. Elles n’étaient que 25 % il y a deux ans. Dans le même temps la réduction des coûts a perdu de son importance. En 2019, 56 % des entreprises estimaient qu’il s’agissait d’un critère important, mais elles n’étaient plus que 36 % en 2021. Un indicateur qui témoigne du changement de paradigme dans les critères de production mais aussi d’approvisionnement des entreprises qui s’intéressent de plus en plus à la durabilité de leurs achats. En 2021, 9 organisations sur 10 avaient mis en place ou étaient sur le point de mettre en place une stratégie achats responsables, selon l’Observatoire des achats responsables (ObsAR). Si 58 % d’entre elles ont rédigé une politique dans ce sens, moins de la moitié a formalisé le projet via une charte d’achats durables.
« Un achat responsable est un achat qui a le moins d’impact négatif et le plus d’impact positif sur l’environnement, mais aussi sur les critères sociaux, sociétaux et économiques, tout au long de sa vie »
Impact environnemental, social ou économique ?
Pour accompagner les entreprises vers des politiques d’achats plus durables, le législateur a créé la norme ISO 20400. Encore inconnue de 44 % des entreprises interrogées par l’ObsAR, la « norme achats responsables » est une réglementation internationale qui se fonde sur les sept axes eux-mêmes définis par la réglementation RSE ISO 26000. On y retrouve la responsabilité environnementale, la loyauté des pratiques ou encore le développement des activités locales. De son côté, la centrale d’achat publique Ugap définit l’achat comme responsable dès qu’il intègre une notion d’impact environnemental, social et sociétal ou économique. Une définition en accord avec celle de Nathalie Paillon, directrice des opérations et des études de l’ObsAR. « Un achat responsable est un achat qui a le moins d’impact négatif et le plus d’impact positif sur l’environnement, mais aussi sur les critères sociaux, sociétaux et économiques, tout au long de sa vie », résume-t-elle.

Libre donc à chaque entreprise de focaliser sa politique sur les critères environnementaux ou sociaux en fonction de sa vision mais aussi du produit ou du service concerné. « L’acheteur doit se poser la question de l’item en jeu pour ensuite décider de traiter la demande sous le prisme de la responsabilité sociale ou celle de la responsabilité environnementale, tout en améliorant la qualité de service », précise Raphaël Cartron, directeur de l’environnement de travail et des achats du groupe Pichet. Parmi les critères les plus intégrés par les entreprises, la santé et la sécurité des personnes tient la première place, avant le recours aux entreprises locales et le respect des droits de l’homme.
Ce sont les entreprises privées qui accordent le plus de poids aux critères RSE comparativement à celles du public, pour qui la pondération reste majoritairement en dessous de 10 %. Pour les inciter à aller plus loin, le gouvernement a mis en place le plan national des achats durables (PNAD) comportant deux objectifs d’achats publics. Il demande que d’ici 2025, 100 % des contrats de la commande publique notifiés au cours de l’année comprennent au moins une considération environnementale.

© 123 RF/Anawat Sudchanham
Ces derniers représentaient 15,8 % du nombre de marchés notifiés en 2019 pour un objectif alors fixé à 30 % par le PNAD. De plus, 30 % des contrats de la commande publique notifiés au cours de l’année devront également comprendre au moins une considération sociale. Jusqu’alors, seuls 12,5 % d’entre eux satisfaisaient aux critères, un chiffre inférieur aux 25 % fixés par le PNAD. Pour participer à l’effort demandé, l’UGAP accorde une pondération de plus en plus importante aux critères RSE dans la note finale. Conséquence, 86 % des achats proposés par l’Ugap sont dits responsables. « Nous nous basons sur les informations recueillies notamment auprès des fournisseurs, mais aussi sur les questions posées lors du sourcing produit pour définir le contenu et le poids du critère environnemental et/ou social », explique Stéphane Beauvais, chef du département politique publique de l’Ugap.
« Au-delà du prix d’achat, fluctuant au gré du marché, l’entreprise doit se poser la question du contenu carbone du produit qu’elle achète et de l’empreinte carbone de son transport, pour se tourner vers une matière première décarbonée, conçue avec un procédé moins énergivore ou une matière de substitution ayant moins d’impacts environnementaux »
Penser coût global
Côté acheteurs, si la prise de conscience semble là, de nombreux freins persistent. L’absence de moyens reste le principal obstacle évoqué par les entreprises. Elles dénoncent le manque d’indicateurs et la difficulté concomitante d’assurer un suivi efficace des process durables mais aussi le manque de ressources internes, qui impliqueraient une formation des acheteurs, notamment par le département RSE. Enfin, les entreprises s’inquiètent d’une mauvaise gestion des coûts et se sentent bloquées dans la démarche par des contraintes budgétaires indique le baromètre de l’ObsAR.
C’est à cette dernière problématique que tente de répondre l’analyse du coût global préconisé par la norme ISO 20400.
Le coût global se compose de l’ensemble des coûts cumulés au cours du cycle de vie du produit : coûts de production, d’utilisation mais aussi de fin de vie. Il permet aux entreprises de conserver une unité de comparaison monétaire commune entre deux achats tout en internalisant les coûts environnementaux et sociaux « encore en grande partie supportés par la société », dénonce Nathalie Paillon.
« Pour aller au bout de la démarche il faut que l’entreprise se pose la question de ce qu’elle achète, le cahier des charges produit, à qui elle l’achète, autrement dit quelles sont les pratiques sociales et environnementales de son fournisseur, et comment elle l’achète, c’est-à-dire comment cet achat permet le développement des relations mutuellement bénéfiques. »
Cette démarche oblige l’acheteur à une réflexivité sur la production du bien ou du service concerné. « Au-delà du prix d’achat, fluctuant au gré du marché, l’entreprise doit se poser la question du contenu carbone du produit qu’elle achète et de l’empreinte carbone de son transport, pour se tourner vers une matière première décarbonée, conçue avec un procédé moins énergivore ou une matière de substitution ayant moins d’impacts environnementaux », explique Hélène Chauviré, manager du pôle atténuation chez Carbone 4. Les entreprises ne sont aujourd’hui que 20 % à prendre systématiquement en compte le coût de fin de vie de leurs produits. Elles sont plus nombreuses à utiliser le coût d’utilisation de leurs produits comme indicateurs (43 %) mais c’est le coût d’acquisition qui reste le plus utilisé (88 %).
Achats responsables, produit durable ?
Plus largement, il est parfois difficile pour une entreprise de ne raisonner qu’en termes de coûts pour s’assurer de la durabilité de son achat. « Pour aller au bout de la démarche il faut que l’entreprise se pose la question de ce qu’elle achète, le cahier des charges produit, à qui elle l’achète, autrement dit quelles sont les pratiques sociales et environnementales de son fournisseur, et comment elle l’achète, c’est-à-dire comment cet achat permet le développement des relations mutuellement bénéfiques », résume Karen Delchet-Cochet, environnementaliste et professeure à AgroParisTech. D’autres questions doivent alors venir peser dans la balance. « Comment déterminer le coût du bien-être des salariés ? Ma dépense aura-t-elle un effet sur l’industrie locale ? Combien d’emplois ai-je permis de maintenir sur place ? », précise Mickaël Lespinasse, acheteur du groupe Pichet.

Mais sur ces aspects, acheteurs comme professionnels semblent quelque peu démunis. « Nous manquons d’outils pour tracer directement les produits et garantir leur caractère environnemental », indique Stéphane Beauvais, chef de département à l’Ugap. Même constat du côté du groupe Pichet. Malgré l’attribution d’une note RSE qui pèse pour 3 % dans la note globale, « nous n’avons pas les outils nécessaires pour uniformiser ces notes. Parfois nous pouvons inclure une clause sur la formation des salariés, une certification ou une norme mais nous n’avons pas d’autres choix que de nous baser sur les informations qui nous sont données », explique Valentine Dalido, acheteuse pour le groupe Pichet.
Une responsabilité partagée
Dans le but d’accompagner au mieux les fournisseurs dans leurs démarches durables, Stéphane Beauvais passe du temps à les former sur le respect de la législation. « Elles sont ensuite plus à même de répondre à nos appels d’offres de manière plus juste, sans proposer de tarifs erronés, c’est à dire en intégrant le coût des contraintes environnementales et/ou sociales », précise le chef de département de l’Ugap. Surtout, pour permettre aux fournisseurs de s’améliorer, « il faut leur laisser le temps et les moyens de transformer leurs process de production. Pour cela, ils doivent pouvoir compter sur une relation commerciale stable et durable avec les entreprises », répond Hélène Chauviré. « Sans oublier de communiquer », comme le rappelle Julien Foucher du groupe Up.
« Nous manquons d’outils pour tracer directement les produits et garantir leur caractère environnemental »
« On s’engage à communiquer avec les fournisseurs non retenus sur les raisons de notre choix et à proposer des postes d’amélioration pour devenir plus différenciants. » Au-delà du dialogue avec les fournisseurs, les directions achats sont également désormais attendues sur la sensibilisation et l’accompagnement vis-à-vis de leurs collaborateurs en interne. « Les acheteurs peuvent initier des conversations avec leurs prescripteurs techniques pour qu’ils puissent intégrer l’achat d’un nouveau produit ou d’une matière première décarbonée dans leur propre process. Je pense à l’utilisation de carton recyclé dans les packagings produits par exemple », précise Hélène Chauviré. Selon Mickaël Lespinasse, ce dialogue permettrait « d’agir directement sur le process d’achat et ainsi, d’avoir un impact réel sur les critères environnementaux, sociaux ou économiques ».
Effet de serre numérique
Les émissions de gaz à effet de serre liées au numérique représentent 4,5 % des émissions mondiales, l’équivalent de celles du trafic aérien, à ceci près que les émissions liées au numérique continuent d’augmenter de 8 % à 9 % par an et auront doublé d’ici 2025. Les équipements électroniques sont consommateurs d’énergie et de déchets à chaque étape de leur cycle de vie : extraction des matières premières et épuisement des ressources à la fabrication, consommation d’énergie tout au long de son utilisation et enfin rejet de substances toxiques et production de déchets dangereux en fin de vie du produit. La fabrication concentre néanmoins la majorité des impacts environnementaux. Acquérir un équipement reconditionné plutôt que neuf permet donc de réduire de manière significative l’impact environnemental de son parc numérique. Les répercussions positives ne sont pas seulement environnementales, mais aussi sociales. Le reconditionnement crée de l’emploi, souvent lié à l’insertion des publics précaires. Autre alternative, la location de matériel qui permet à l’entreprise d’ajuster son parc au besoin de chaque utilisateur, qu’il soit urgent ou ponctuel, et d’acheter un usage plutôt qu’un produit.
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