picture Workplace Magazine Spécial FM

Le postulat de départ est simple : le FM ne serait pas qu’une affaire d’entreprise à entreprise, régie par les seuls règles et principes du marché BtoB. Pourquoi le C est-il entré dans l’équation ? Pourquoi le bénéficiaire final s’impose-t’il comme la cible d’une attention renouvelée ?

Tout d’abord, il y a le contexte. Le modèle d’affaires du facility management, hérité des années 1990-2010, est à bout de souffle. Si la preuve des économies générées par la professionnalisation et la spécialisation des activités de service n’est plus à faire, le potentiel de gains semble aujourd’hui atteint. La restructuration par externalisation a été pour une bonne part déjà réalisée. Et les leviers classiques de la productivité industrielle appliqués au FM (standardisation, intensité du travail, massification…) ne font plus recette. Incapable de faire reconnaître sa valeur (principalement immatérielle), le FM s’est trouvé entrainé dans une course au prix le plus bas, qui a fini par appauvrir son modèle. Les conséquences pour les acteurs du marché sont nombreuses : marges pressurisées, prestations low-cost, déni de valeur, casse sociale… Et déceptions et frustration pour les donneurs d’ordres. Ces derniers sont en attente de solutions innovantes, pertinentes, efficaces pour répondre aux nouveaux enjeux de compétitivité et aux attentes des salariés… Mais leur consentement à la dépense reste collé au plancher. Au bout du compte, plus personne n’est satisfait et entre les prestataires et les donneurs d’ordres, la défiance s’installe durablement. « Continuer sur le chemin du dumping, en plus du risque social, c’est condamner le métier. Tuer la filière », estime Xavier Baron, sociologue et co-fondateur du CRDIA. Pour le secteur, l’enjeu n’est donc pas simplement de faire évoluer les pratiques mais de bâtir un nouveau modèle d’affaires qui lui permette de renouer avec des gains de productivité non plus selon une logique industrielle mais bel et bien servicielle. Parler d’un changement de paradigme n’est pas exagéré. Pour se réinventer, le FM ne doit plus penser la prestation de service comme un quasi bien échangeable qui se résumerait à une série d’actes techniques encadrés par des référentiels. Changer de modèle implique pour les acteurs, prestataires comme donneurs d’ordres, de s’intéresser davantage au « pourquoi » et un peu moins au « quoi ». La valeur réelle du FM ne réside pas tant dans l’exécution d’une prestation technique que dans son effet sur les bénéficiaires. Pour sortir de l’impasse, c’est donc une nouvelle conception des services qu’il s’agit de construire, valorisant la pertinence de l’intervention, la relation de service et l’usage plutôt que l’objet.

 

Des services adressés aux usagers

Participer au maintien d’un actif immobilier, créer un environnement de travail favorable à la productivité, à la créativité ou tout simplement au bien être des salariés : c’est bien ces transformations qui produisent de la valeur économique. Yannick Genin, directeur en charge du démarrage des contrats en Île-de-France pour Engie Cofely et président de la commission Commande publique au sein du Sypemi le souligne : « les clients veulent que nous contribuions à leurs objectifs d’entreprise, en agissant sur les conditions de la performance de leurs collaborateurs ». Et ils l’affirment de plus en plus clairement. « Aujourd’hui, les mots qui apparaissent dans la bouche de nos clients sont habitants, résidents, occupants, expérience utilisateur, conciergerie d’hôtellerie… On nous demande de déployer des trésors d’ingéniosité pour qu’à leur arrivée sur un site, ils aient une expérience similaire à celle d’un hôtel haut de gamme ou à d’un événement public. C’est une vague énorme depuis un an : je dirais même que nous sommes dans des démarches de BtoBto- Care », commente Corinne Colson Lafon, vice-présidente du Sypemi.

Faire en sorte que le service ait un effet utile sur le client final de l’entreprise : c’est bien le premier défi auquel doit répondre cette transformation vers une approche BtoBtoC. « Ce virage d’une logique BtoB à Bto- BtoC fait partie de l’évolution de nos métiers, de nos entreprises, du marché et de nos clients. La question que nous nous posons tous étant : comment intégrer de la meilleur façon l’utilisateur dans nos prestations quotidiennes et dans la mesure de la performance ? », souligne Pierre Germain, directeur commercial IDF chez Engie Cofely.

 

Des bénéfices clés

Le sociologue Xavier Baron observe de près les mutations en cours sur le marché du FM depuis plus de 10 ans. Il nuance cette montée en puissance d’une nouvelle logique. « Je crains que le thème du Bto- BtoC en soit plus au stade du discours que de la pratique réelle. C’est essentiellement une promesse, rendue crédible par les évolutions du numérique. Mais lorsqu’il y a une inflexion de vocabulaire comme on l’entend actuellement, cela veut forcément dire quelque chose : pas forcément que la réalité change, mais au moins que la manière dont on la regarde bouge un peu ! »

Pour attirer, fidéliser, proposer un environnement de travail offrant les meilleures conditions de performance, de collaboration, de créativité, de mobilité… : les raisons de se lancer sur cette voie sont nombreuses. Et de plus en plus d’entreprises comprennent l’importance stratégique d’investir sur ces sujets. Odile Faucheux Laffon, directrice de l’environnement de travail d’EDF sait à quel point contribuer aux bonnes conditions de travail des salariés compte : « l’environnement de travail change, les modes de travail évoluent, les entreprises sont conduites à regrouper les salariés sur des sites plus importants, dans des campus, ce qui peut générer des trajets, le travail en tierslieux se développe, il y a beaucoup de nomadisme, de travail à distance… Lorsque les gens arrivent sur un site, ils ont besoin d’un peu plus que d’un simple poste de travail : il leur faut du service, du confort, des prestations pour assurer la convivialité et les échanges. C’est à tout cela que servent les prestations de FM ».

Si l’objectif est de garantir de bonnes conditions de travail aux collaborateurs des entreprises clientes, l’idée ne consiste pas pour autant à transformer les FMers en concierges, au service des envies et des besoins de chacun. « Nous travaillons pour des occupants, mais au sein d’un bâtiment, et dans le contexte d’une entreprise qui a ses process, son organisation… Notre rôle est justement d’arbitrer, dans un cadre contractuel fixé, pour piloter le confort de tous et mettre en oeuvre les techniques et compétences requises pour cela », insiste Corinne Colson Lafon.

 

Vers une symétrie des attentions

Face à cette logique BtoBtoC, Joël Larousse, chargé du développement et des opérations au sein de la direction de l’environnement de travail de SNCF et secrétaire général adjoint de l’Arseg, lui, voit déjà le coup d’après. « Les sites sur lesquels cette démarche est aujourd’hui la plus aboutie sont tous ceux qui développent la symétrie des attentions. Délivrer des services de qualité à leurs agents/salariés produit in fine de la qualité de services auprès de leurs propres clients. Ils passent donc la commande de service, non pas uniquement en fonction du bénéficiaire, mais aussi de l’impact que cette relation aura sur le client final. On est finalement ici en BtoBtoCtoC. » Peut-être le modèle vers lequel il faudra tendre, pour parvenir à valoriser les effets utiles du FM.

 

ILS L'ONT DIT

 

"Ce virage d’une logique BtoB à BtoBtoC fait partie de l’évolution de nos métiers [...]. La question que nous nous posons tous étant : comment intégrer de la meilleur façon l’utilisateur dans nos prestations quotidiennes et dans la mesure de la performance ?" Pierre Germain, Engie Cofely
 
"Les sites sur lesquels la démarche BtoBtoC est aujourd’hui la plus aboutie sont ceux qui développent la symétrie des attentions. Ils passent leur commande de service non pas uniquement en fonction des besoins du bénéficiaire, mais aussi de l’impact que cela aura sur le client final. On est finalement ici en BtoBtoCtoC." Joël Larousse, Arseg
 
"On nous demande presque quels sont les services que nous savons mettre en place –en exprimant une forte attente en termes d’innovations – alors que le client n’a pas encore défini son souhait. Le chemin à parcourir est encore long mais les choses évoluent." Irène Ho, Dalkia
 
"Lorsque nous proposons à un client un niveau de prestation adapté, en lui expliquant que cela pourrait leur rapporter en termes de performance, nous avons des difficultés à le vendre aussi parce qu’il s’agit de valeur immatérielle, difficilement appréhendable !" Didier Roustan, Dalkia