
La ville est une matière vivante. Ses infrastructures, ses rues, ses espaces publics, ses immeubles sont appelés à muter, lentement mais inexorablement, à mesure de l’évolution des usages. L’avènement de l’économie tertiaire au sortir de la seconde guerre mondiale a façonné l’aménagement du territoire et accéléré la construction d’immeubles dédiés aux entreprises. L’immobilier tertiaire a rapidement conquis des quartiers entiers, portant le niveau du parc francilien à plus de 50 millions de m2. Le plus imposant d’Europe continentale.
Ce développement spectaculaire a propulsé le bureau comme la classe d’actifs préférée des investisseurs institutionnels. Au détriment du logement ces trois dernières décennies, qui avait jusqu’alors constitué le socle des placements des compagnies d’assurances et de prévoyance. Ce mouvement est-il appelé à s’inverser depuis le déclenchement de la crise sanitaire ? La transformation de bureaux en logement revient sur le devant de l’actualité. Et ce, pour plusieurs raisons.
Un alignement de planètes
A commencer par la demande de bureaux en panne depuis le déclenchement de la crise sanitaire. Le premier confinement a fait de nombreux salariés des télétravailleurs forcés. Il a surtout inscrit le télétravail comme une nouvelle forme d’organisation des activités pour les entreprises qui ne passe pas nécessairement par le bureau. Sa généralisation va impacter la consommation de mètres carrés, de 6 à 11 millions rien qu’en Île-de-France selon les premières projections, et accélérer l’obsolescence de centaines d’immeubles.
Ensuite, l’insatiable besoin en logement n’est toujours pas satisfait en raison d’une offre famélique. La chute libre de la construction de logement neuf ne fait que creuser un déficit criant depuis de nombreuses années, particulièrement dans les grandes métropoles où il devient de plus en plus compliqué de construire faute de foncier disponible et de volonté de certains élus locaux.
Enfin, les critères ESG, indispensables aujourd’hui dans les stratégies d’allocations d’actifs. La transformation de bureau en logement répond parfaitement à ces enjeux environnementaux, tout particulièrement celui de la réduction de l’artificialisation des sols. La reconversion des immeubles existants est assurément une réponse idoine pour ceux qui dénoncent à juste titre l’étalement urbain.
" La loi Elan a mis en place un nouveau cadre réglementaire qui accorde un bonus de constructibilité de 30 % qui laisse espérer à l’exécutif de transformer pas moins de 500 000 m² de bureaux en Île-de-France. À l’échelle nationale, le potentiel est immense, dans le secteur privé comme public."
Un nouveau marché
Un formidable terreau sur lequel va pouvoir se construire un véritable marché de la transformation de bureau en logement. À condition de pouvoir résoudre une équation économique complexe. Transformer est souvent plus cher que de démolir et reconstruire. Il faut donc s’assurer, en amont, d’une certaine décote dans l’acquisition d’immeubles de bureaux vides et, en aval, de pouvoir densifier. La loi Elan a mis en place un nouveau cadre réglementaire qui accorde un bonus de constructibilité de 30 % qui laisse espérer à l’exécutif de transformer pas moins de 500 000 m² de bureaux en Île-de-France. À l’échelle nationale, le potentiel est immense, dans le secteur privé comme public comme le démontre le programme d’investissement de la DIE (Direction de l’Immobilier de l’Etat) qui intègrera nécessairement un volet transformation.
Plus qu’un phénomène conjoncturel
Clairement, la reconversion de bureaux entre dans une période charnière. Les pouvoirs publics, conscients des enjeux autour du logement, poussent en sa faveur. Dernier exemple en date avec le lancement de la saison 3 de Réinventer Paris qui sera consacré uniquement à la transformation de bureau ou de locaux d’activité en logement. La municipalité ambitionne de doubler le nombre de mètres carrés reconvertis durant cette mandature, pour les porter à près de 800 000 m².
Accélérée par la crise, la transformation de bureaux devra être plus qu’un phénomène conjoncturel ou qu’une réponse symbolique de la reconstitution d’une offre de logement. Elle est un premier pas vers le recyclage urbain rendu nécessaire par l’évolution des usages au sein des métropoles. Le deuxième devrait être celui de la mise en œuvre d’un véritable cadre réglementaire, juridique, fiscal pour favoriser la réversibilité des immeubles qui permet d’anticiper un changement de destination, plutôt que de le subir.
Faciliter la réversibilité
Au-delà du tertiaire, ce sont toutes les fonctions initiales de la ville qu’il faut repenser à l’aune des nouveaux usages. L’État est aux premières loges et a parfaitement compris les enjeux de la reconversion. Chaque année, la DIE a mis en place une politique volontariste de vente de terrains et d’immeubles devenus obsolètes afin d’y construire des logements. Chaque année, 70 à 80 terrains sont ainsi cédés à des professionnels permettant la construction de 6 000 à 10 000 logements, avec une forte proportion de logements sociaux. Des terrains sur lesquels on retrouve des immeubles tertiaires inutilisés, voire inutiles.
À l’État désormais de fournir les clés pour faciliter la mutation et la réversibilité des immeubles. Car la ville, on le répète, doit être considérée comme une matière vivante. Cette notion essentielle est aujourd’hui prise en compte par l’ensemble des acteurs de l’industrie immobilière, ainsi que par les territoires, dans l’objectif d’appréhender les dynamiques des métropoles et les transformations de la ville, d’un point de vue sociétal, environnemental et technologique. C’est pourquoi, dans l’objectif commun de fabriquer une ville inclusive, durable et accessible à tous, il est primordial d’associer le changement en cours à la volonté de favoriser le dialogue et les interactions entre les décideurs territoriaux et les acteurs de l’industrie immobilière.
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L’auteur
Aminata Sy est directrice du salon SIMI et du City by SIMI. Observatoire au service de la communauté immobilière, lieu d’échanges et de débats, le SIMI s’impose en tant qu'indicateur de fin d’année pour le marché et permet aussi de saluer les performances des acteurs à travers les Grands Prix SIMI et le Prix Mécénat et Solidarités dans la ville.
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