
Avec des taux d'occupation rarement au-dessus de 70 % avant Covid, quelques (grandes) entreprises s'étaient déjà posées la question du f1ex office. Un phénomène qui restait toutefois marginal, tant le changement induit par cette pratique est important. Mais depuis la normalisation du télétravail, elles semblent de plus en plus nombreuses à franchir le pas.
Flex office : quelles réalités sur le terrain ?
Exit la place attitrée et la photo des enfants sur le bureau. Le flex office gagne peu à peu du terrain dans les entreprises. En 2019, pour rappel, elles n’étaient que 14 % à avoir opté pour ce mode d’aménagement, selon le baromètre Actineo. Le flex office restait alors encore un sujet de crispation pour les salariés d’un côté, inquiets de perdre leurs repères, et pour les managers de l’autre, soucieux de voir disparaître leurs attributs physiques hiérarchiques.
Parmi ceux ayant goûté à ce mode d’aménagement, on comptait alors 22 % d’insatisfaits concernant leur qualité de vie au travail, contre 13 % en moyenne chez les autres actifs. Mais voilà, deux ans plus tard, la crise sanitaire et économique est passée par là et semble avoir rebattu les cartes. Selon le dernier baromètre Parella, 31 % des entreprises sont passées en flex office en 2021 et 40 % envisagent à court terme de le mettre en place, Soit quasi le double qu’en 2019. « Chaque société qui a un projet d’aménagement se pose la question », confirme Frank Zorn, PDG de Deskeo.
« Plus on a de télétravail, plus on a de flex »
Alors pourquoi ce soudain revirement de situation ? Le Covid aurait-il permis de faire sauter les derniers blocages au déploiement du flex office ? Depuis deux ans, employeurs comme salariés goûtent au télétravail et, petit à petit, le banalisent dans leurs organisations. En un an, l’ANDRH dénombrait ainsi plus de 20 000 signatures d’accord de télétravail, accordant généralement deux ou trois jours de travail à distance. Avec des salariés partageant désormais leur temps entre le bureau et le domicile, les entreprises cherchent donc à optimiser leurs espaces laissés vides par le manque de collaborateurs présents au bureau. Un phénomène qui existait déjà avant la crise, avec des taux d’occupation rarement au-dessus de 70 %, mais qui s’est forcément accentué depuis. Ainsi, dès 2020, 76 % des entreprises interrogées par Parella envisageaient à court ou moyen terme une optimisation de leurs surfaces.
« Les entreprises se disent que le mode hybride va perdurer et qu’elles n’ont plus les mêmes besoins en termes d’espaces », abonde Benoit Meyronin, directeur conseil et stratégie au sein du groupe Korus.
Un constat partagé par Rémi Mangin, PDG et cofondateur de CDB. Selon lui, « plus on a de télétravail, plus on a de flex ». Toutefois, l’optimisation de surface ne doit pas à elle seule guider le choix du flex office, comme le rappelle Benoit Meyronin, « lorsque l’on parle de travail hybride et de flex office, c’est toute une nouvelle économie de l’espace qui s’amorce, faite en partie de rationalisation, mais surtout de renforcement ou de création de nouveaux usages ».

Ludovic Legendre, associé chez Parella abonde. « Certes, on peut réduire la surface, mais l’on peut surtout créer des espaces qui vont permettre de porter de nouveaux usages. Hier, le flex office était lié à ce besoin d’élasticité de la présence, et la réponse était principalement financière. Aujourd’hui, c’est un outil pour mettre en place de nouveaux usages, de nouveaux rituels. C’est aussi l’opportunité d’agrandir ou de créer des lieux de vie. ».
Swiss Life : 135 jours de télétravail par an, 0,8 de taux de flex
C’est en effet la ligne de conduite suivie par le groupe d’assurance Swiss Life. L’assureur a notamment signé un nouvel accord de télétravail dit « responsable ». Désormais, l’ensemble des collaborateurs volontaires, quel que soit leur statut (CDI, CDD, alternants et stagiaires), peuvent bénéficier jusqu’à 135 jours de télétravail par an. Ce nouvel accord, plus flexible que le précédent, a pour objectif de favoriser de nouveaux comportements plus autonomes et responsables en tenant compte à la fois des besoins des managers et des attentes des collaborateurs. Afin d’instaurer le maximum de flexibilité dans l’organisation, le nombre et la planification des jours télétravaillés sont déterminés en fonction de l’activité de chaque direction. Ce dispositif s’inscrit dans le cadre du projet de transformation globale de l’entreprise baptisé « NEO » (Nouveaux Environnements et Organisation du travail) qui repose sur plusieurs piliers et notamment sur l’évolution des espaces de travail de son siège social à Levallois-Perret. Les bureaux ont été réaménagés pour accompagner la transformation des modes de travail – relatifs aux nouvelles règles de télétravail – et, de facto, optimiser le travail hybride. « Nous sommes passés sur un mode d’environnement partagé par activités, avec une disparition des bureaux individuels, y compris pour les directeurs et membres du Comex. Les collaborateurs peuvent disposer de différents types de postes en fonction de la nature du travail : concentration, collaboration, convivialité… », explique Nada Abou Naccoul, directrice du programme NEO. Pour l’heure, l’entreprise a opté pour un taux de partage à 0,8 (8 postes pour 10 personnes) « pour être prudent ». Mais elle envisage d’ores et déjà d’aller plus loin : « pour la suite, on imagine aller jusqu’à 6 postes pour 10 personnes, mais ça reste à confirmer ».
« Aujourd’hui la tendance que l’on observe c’est une généralisation de cette pratique-là. Une généralisation toutes tailles, tous secteurs d’activités, et ce, également dans le public », Ludovic Legendre de Parella.
Un modèle plus seulement réservé aux grands groupes
Mais là où le Covid pourrait surtout changer la donne, c’est dans la typologie des entreprises concernées. En effet, le flex office n’est plus seulement une affaire de grands groupes, ni même de privé. « Aujourd’hui la tendance que l’on observe c’est une généralisation de cette pratique-là. Une généralisation toutes tailles, tous secteurs d’activités, et ce, également dans le public », commente Ludovic Legendre de Parella. C’est notamment le choix qu’a fait la start-up française Payfit, spécialisée dans l’automatisation de la paie et la gestion des ressources humaines, pour ses nouveaux bureaux parisiens. « Cette restructuration est partie d’un constat : avec la crise sanitaire et l’évolution du travail, les collaborateurs passent de moins en moins de temps sur les mêmes bureaux. Ils circulent de position en position, changeant d’espace deux à trois fois par jour en moyenne », commente la jeune pousse, qui a alors décidé de permettre à ses salariés d’être autonomes sur leur choix de lieux de travail (au bureau comme au domicile, en France comme à l’étranger) avec son programme « Work from anywhere ».

© Michel Giesbrecht
« Le concept est ainsi de pouvoir se poser où l’on veut dans le bureau que ce soit en termes de département ou de collaborateurs mais aussi d’un point de vue managérial », précise Caroline Leroy, DRH. Une attribution de bureaux à chaque collaborateur est ainsi vue comme une perte d’espace et un manque de rentabilisation des ressources données aux employés. Ici aussi « il n’y a plus de bureau fermé, y compris pour le numéro un de l’entreprise », précise Caroline Leroy. « Cette vision se détache de l’organisation traditionnelle des lieux de travail, dans laquelle la place donnée aux postes de travail l’emporte sur les positions de travail ».Toutefois, certains aménageurs émettent un bémol au déploiement du flex office pour les plus petites structures. « Pour une TPE qui va avoir par exemple 8 collaborateurs, ce qui va être important, c’est d’être là tous ensemble à certains moments. Je vais donc avoir besoin de 8 places assises, soit un flex 1 pour 1. S’il n’y a pas d’élasticité de la présence, le passage en flex n’a pas forcément de sens », explique Ludovic Legendre.
Paris mais aussi Marseille, Toulouse, Roubaix…
Au-delà de la taille de l’entreprise, on observe également un élargissement d’un point de vue géographique. Si le flex office concernait jusqu’à présent des entreprises franciliennes, il se développe aussi en Province. « Au départ, le flex office s’est surtout imposé là où il y avait une tension sur le coût du m². Aujourd’hui, cette tension est moins visible et moins forte que la tension sur le vide laissé par les collaborateurs en télétravail. Cela va inciter encore plus à passer en flex car les espaces vides influent négativement sur les collaborateurs qui sont présents. On peut redouter leur démobilisation face au « désert » de certains locaux le vendredi notamment… », prédit Ludovic Legendre. Un constat auquel a été confronté Julien Foucher, directeur des projets immobiliers et sécurité pour le groupe Up. « Nous avons analysé notre parc immobilier et nous nous sommes aperçus qu’en Province, nos sites accueillaient très majoritairement des commerciaux itinérants. Nous avons alors opté pour un passage en coworking pour certains et, en parallèle, nous avons supprimé a minima un poste de travail pour avoir un taux de flex entre 0,9 et 0,8 selon les sites. Nous sommes dans une logique d’ajuster les m² par rapport à nos besoins. Et, en contrepartie de l’économie réalisée, nous avons mis l’accent sur la localisation des sites, choisis avec nos collaborateurs locaux, et sur les services offerts ». De son côté, Swiss Life envisage également une extension de son projet. « L’idée est de le généraliser. On aimerait notamment le déployer au sein de nos directions régionales », ajoute Nada Abou Naccoul, directrice du programme NEO pour Swiss Life.
Une meilleure acceptation des salariés ?
Si de plus en plus d’entreprises semblent convaincues, qu’en-est-il des salariés ? Quand on les interroge, ils disent toujours préférer à 53 % un bureau fermé. Avec un passage en flex office, toutes les habitudes et rituels des collaborateurs sont modifiées. Parmi les principaux griefs, le manque de personnalisation. « La personnalisation qui était individuelle hier devient collective. Elle va rappeler la vie d’équipe, les réussites, etc. Certains auront toujours besoin d‘une petite zone de personnalisation, qui est souvent prévue au niveau des casiers, précise Ludovic Legendre. Mais est-ce que l’entreprise est réellement le lieu de la personnalisation individuelle ? A l’inverse, si je mets la photo de mon équipe dans mon salon, j’ai une idée assez claire de ce que dirait ma famille ! ». Là encore, le télétravail pourrait bien jouer en faveur du flex office. Avec une présence sur site deux ou trois jours maximums par semaine, l’envie de personnaliser son espace de travail devrait s’estompe
Gare aux pics de fréquentation
Mais que faire si tous les salariés décident de venir au bureau les mêmes jours de la semaine ? On le sait, certains jours comme le mardi ou le jeudi peuvent être sujets à des pics de fréquentation dans les entreprises. « Si on gère le télétravail, la présence sur site, les réunions, etc. avec un logiciel de gestion des espaces, on peut créer un flux et faire en sorte que cela fonctionne », précise Frank Zorn. « Le vrai enjeu est de redéfinir le nombre de places assises réelles par rapport à la projection en télétravail. Ce qui est important c’est de trouver le bon dimensionnement pour répondre au stress des collaborateurs de ne pas avoir de place assise », ajoute Ludovic Legendre.

Avant la crise, le taux moyen de flex était autour de 0,8. C’était le taux dit « naturel », en prenant en compte les congés, les réunions, les formations, etc. Avec l’essor du télétravail, la moyenne se trouve plutôt aujourd’hui autour de 0,6, d’après les observations de Parella. « Avec un taux à 0,6, on est sur un ratio entre le nombre de collaborateurs et de postes de travail traditionnels. Mais cela ne prend pas en compte les autres assises alternatives (salles de réunions, bulles, espace de restauration, lounge, etc…). Notre credo est d’essayer de tendre à un flex office un pour un entre les postes de travail et les places alternatives : pour 100 collaborateurs, un taux à 0,6 offre donc 120 places dont 60 positions alternatives, même si certaines places assises ne sont pas faites pour y rester une journée. En procédant ainsi, même si tout le monde est là, tous auront une place assise...», détaille Ludovic Legendre. Tout est donc question de dimensionnement. « Il faut surtout bien observer les usages avant de débuter le chantier et créer des typologies d’espace qui répondent aux différents besoins en ayant en tête leur modularité et leur évolutivité car on ne connaît pas les usages futurs », ajoute Benoit Meyronin. À chaque entreprise de trouver son propre équilibre. Mais toutes doivent garder un objectif en tête, au-delà du taux : « accompagner leurs managers vers le travail hybride et le flex-office, car cela bouscule les pratiques », insiste Benoît Meyronin. Et surtout, s’assurer de créer des conditions de travail qui donnent envie aux collaborateurs de venir au bureau.
À lire aussi
Flex office rime-t-il réellement avec économies ?
Swiss Life : une transformation à tous les étages
En juillet 2024, l'ensemble des collaborateurs levalloisiens de Swiss Life France emménageront dans un tout nouvel immeuble situé à Puteaux-La Défense qui deviendra le siège social du groupe en France.
Ce nouveau bâtiment, Le Bellini, souhaite répondre tant par sa construction que son aménagement, aux nouveaux usages et modes de travail. Il est l'une des composantes clés de NEO (Nouveaux Environnements et Organisation du travail), un ambitieux projet de transformation organisationnelle, culturelle et technologique - transformation accélérée dans le contexte de la crise sanitaire -lancé par Swiss Life en 2021, pour à la fois améliorer la performance individuelle et collective et le bien-être de chaque collaborateur. Le projet NEO repose sur quatre piliers :
1/ L'amélioration des modes de travail et de la culture managérialeJ1 avec la signature notamment d'un nouvel accord de télétravail dit« responsable»: désormais, l'ensemble des collaborateurs volontaires, quel que soit leur statut (CDI, CDD, alternants et stagiaires) peuvent bénéficier jusqu'à 135 jours de télétravail par an.
2/ L'aménagement des espaces de travail pour s'adapter aux nouveaux modes de travail et renforcer la performance individuelle et collective de l'entreprise.
3/ L'accélération technologique des outils et des process: digital workplace, équipement visio des salles de réunions, dématérialisation ... « Le zéro papier est un prérequis pour que ces nouveaux espaces puissent fonctionner. Tout comme l'équipement technologique des collaborateurs », commente Nada Abou Naccoul, directrice du programme NEO.
4/ La santé et le bien-être des collaborateurs dans leur nouvel environnement de travail hybride.
Continuez votre lecture en créant votre compte et profitez de 5 articles gratuits
Pour lire tous les articles en illimité, abonnez-vous