Nouvelle année, nouveaux défis. Et non des moindres ! Si les DET n’étaient pas en reste quant aux challenges de leur profession, ils vont, cette année encore, devoir relever les manches. En toile de fond : le retour parsemé des collaborateurs au bureau et la gestion des bâtiments en temps de crise sanitaire.

2020 a été charnière en matière d’environnement de travail. Au printemps dernier, pour la première fois de l’histoire, confinement oblige, les salariés ont été privés de bureaux. Forcés de pratiquer le télétravail, ils y ont pris goût, sans toutefois faire une croix sur leur présence physique dans les espaces de travail. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui demandent à revenir dans les locaux de leur entreprise. Une volonté partagée par les employeurs. Dans un sondage organisé par Génie des Lieux en janvier dernier, ils sont en effet 77 % à avoir pour objectif de faire revenir leurs collaborateurs au bureau en 2021. Alors que nous écrivons ces lignes, ces derniers ont la possibilité de réinvestir leurs espaces de travail un jour par semaine, comme l’autorise le gouvernement. Encore timidement, pas tous en même temps et avec mille précautions, mais du moins sans trouver porte close. Les bâtiments ont en effet retrouvé un peu d’activité, là où tout était figé au printemps dernier du fait du premier confinement. « Nous n’avions pas d’activité sur nos sites mais la période a généré un surplus énorme d’activité pour nous, admet Mélanie Saddi, DET du cabinet de conseil et d’audit PwC France et Maghreb. Il a fallu tout mettre en place : acheter des masques, du gel, gérer l’arrêt d’un grand nombre de prestations, prévenir les prestataires… Fermer un site prend du temps car on doit s’assurer que tout va bien avant de le mettre à l’arrêt. »

Des sites parsemés de collaborateurs

Aujourd’hui, même s’il faut rester très vigilants, les locaux continuent de tourner. À une condition tout de même : le respect du protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprises face à l’épidémie de Covid-19. Détaillé et régulièrement mis à jour, il donne notamment le ton quant au télétravail. De façon générale, le protocole sanitaire recommande le travail à domicile à 100 % lorsqu’il est possible. Mais des nuances existent selon la taille des entreprises. « On est face à une situation où les salariés veulent revenir au bureau mais les grandes entreprises ne veulent pas se retrouver en défaut. En revanche, dans les PME, les salariés sont plus présents », déclare Cyril Dugué, fondateur de Convergence, société d’ingénierie - conseil en restauration, FM et services à l’occupant. Ainsi, au siège de PwC, seuls 30 % des salariés travaillent en présentiel. « Notre rôle est de mettre en place des mesures limitant le nombre de personnes dans les bâtiments et que les collaborateurs qui se déplacent soient accueillis dans les meilleures conditions sanitaires possibles », indique Mélanie Saddi. Pour garantir le respect de cette consigne, un système de roulement des équipes a été mis en place, dont les managers sont les relais. Résultat : les collaborateurs viennent un par un, une fois dans la semaine, au bureau. Même son de cloche chez Safran. « Les équipes ne sont pas présentes tout le temps, mais on assure un accompagnement minimum. Le système est semblable à celui que nous appliquons pendant les congés d’été, quand les bâtiments enregistrent une forte baisse de fréquentation », compare Samuel Bégon, directeur de l’établissement de Safran Composites à Itteville.

La délicate adaptation du protocole national

En plus d’accompagner les entreprises sur le télétravail, le protocole national les guide sur les mesures d’hygiène et de distanciation physique, le port du masque et la restauration collective. Dans la pratique, ces règles sont un casse-tête qu’il faut résoudre pour assurer sur le terrain des conditions optimales pour les collaborateurs. « L’adaptation n’est pas toujours des plus évidentes, admet Samuel Bégon. On applique scrupuleusement le protocole sanitaire gouvernemental mais la vision nationale n’est pas toujours en adéquation avec le niveau local. » En effet, les établissements ont leurs propres spécificités. Par exemple, certains ont des cuisines, d’autres non ; certains ont des restaurants d’entreprises, d’autres pas. « Dans chaque cas, il faut faire preuve d’agilité et de créativité pour que la vie des entreprises continue sans pour autant la bloquer et la mettre en péril avec des protocoles », résume Samuel Bégon. Et c’est là tout l’enjeu de la profession : faire cohabiter l’activité, le sanitaire et le zéro risque pour le collaborateur.

undraw_Hello_qnas.png

Hygiène : « depuis le 1er confinement, rien n’a changé »

Pour accueillir les salariés dans des conditions sanitaires optimales, rien n’est laissé au hasard. Les effectifs réduits ne signifient pas allégement des dispositifs d’hygiène, bien au contraire. Les entreprises maintiennent des contrats d’exploitation équivalents à ceux déployés avec 100 % des effectifs sur place. C’est le cas chez PwC, dont la prestation de nettoyage a été maintenue, avec des passages fréquents pour désinfecter dans les salles de réunion, en dépit du petit nombre de collaborateurs présents. « On a aussi mis en place une régie nettoyage sur les sites où il n’y en avait pas en revoyant site par site la prestation », indique Mélanie Saddi. En la matière, les entreprises ont aussi pu décider de garder les rituels du premier confinement. « Depuis mars, rien n’a changé, explique Samuel Bégon de chez Safran. On a un renforcement des dispositifs de nettoyage systématique par des professionnels dédiés à cette opération depuis plusieurs mois, notamment au niveau des points de contact et des zones fréquentées. » Des initiatives de collaborateurs ont également été mises en place dans le groupe de haute technologie, qui s’ajoutent aux précautions sanitaires. « Nos imprimantes 3D ont permis de développer des initiatives personnelles innovantes qui ont été très bien accueillies, indique le directeur d’établissement. Les salariés ont notamment créé des outils pour éviter tout contact avec les mains, comme des crochets pour ouvrir les poignées. » De plus, le port du masque est obligatoire dans tous les lieux collectifs clos. Depuis le 1er février, seuls sont désormais autorisés les masques « grand public filtration supérieure à 90 % » (correspondant au masque dit de « catégorie 1 ») et les masques chirurgicaux. Adieu donc ceux grand public de catégorie 2 garantissant une filtration de 70 % des particules de 3 microns émises par le porteur. Ces règles sont associées au respect d’une distance physique d’au moins un mètre entre les personnes (portée à 2 mètres lorsque le masque ne peut être porté depuis le 1er février), de l’hygiène des mains, des gestes barrières, ainsi que de la ventilation, de la mise en oeuvre d’une politique de prévention et de la gestion des flux de personnes, de l’aération des locaux.

Réorganiser les espaces

Un jeu de tétris géant s’organise dans les entreprises pour réorganiser les lieux afin de les rendre conformes aux recommandations gouvernementales. Avec 100 % de flex office, un grand nombre de salles de réunion, des espaces conçus pour le partage et la collaboration, PwC n’est pas en reste. « On doit veiller à ce que la rencontre se passe dans les meilleures conditions possibles. On met en place des jauges, on distancie les places, on installe des housses sur les sièges pour que les collaborateurs ne s’assoient pas… On essaye vraiment de faire en sorte que les collaborateurs aient des repères et on trouve des astuces pour éviter qu’ils ne dévient les règles », témoigne Mélanie Saddi. La signalétique fonctionne bien, à condition qu’elle soit de qualité pour réellement interpeller. Ce qui demande le plus de travail, c’est la modification des distances entre les personnes préconisées dans le protocole sanitaire, comme ce fut le cas en janvier avec le passage d’un à deux mètres de distance lorsque le masque ne peut pas être porté. « Il faut vérifier que c’est bien mis en place sur chaque site, ce qui demande d’intensifier les passages, modifier le mobilier, mettre à jour aussi l’application de réservation de salle de réunion », énumère Mélanie Saddi. Le défi se situe surtout au niveau des zones de rencontre où l’on trouve les machines à café et où, de fait, les masques sont moins portés. Chez Safran, un lourd dispositif a été mis en place autour des machines à café : nettoyage, lingette, gel, outils de sélection, « mais aussi interdiction d’avoir plus de deux ou trois personnes autour, mise en place de la distanciation, de zones identifiées au sol avec marquage, suppression des tables et des chaises pour que les collaborateurs ne restent pas », détaille Samuel Bégon.

Un peu de services, beaucoup de restrictions

Dans des établissements conçus pour faciliter la vie des occupants, où les offres wellness, fooding, conciergerie ne manquaient pas, rien n’est plus vraiment comme avant. Que reste-t-il des services aux collaborateurs ? Au siège de PwC, ils existent toujours. « Les jauges sont différentes et il y a des règles à respecter mais on s’adapte le plus possible, indique Mélanie Saddi. Par exemple, la conciergerie est toujours à disposition des collaborateurs, le courrier est désormais scanné et envoyé par mail aux destinataires, le service reprographie est maintenu. Les cafétérias accueillent encore les salariés, qui ne peuvent plus y manger mais il est toujours possible d’y boire un café. Et le restaurant d’entreprise est ouvert. » Du côté de Safran, la politique est beaucoup plus stricte et la grande majorité des services est suspendue. Même le fait de déjeuner sur place au restaurant d’entreprise n’est pas toujours garanti et dans ce cas, d’autres options sont proposées au salarié pour se restaurer, par exemple la livraison de panierrepas sur site. « Au début, nous faisions appel au jetable. Maintenant nous sommes passés au lavable, mais au lieu de laisser le collaborateur se servir dans les bacs, tout est emballé, toujours de façon individuelle », détaille Samuel Begon. À cela s’ajoutent un sens de circulation et une distanciation à appliquer. Conséquence : les temps d’attente augmentent, compensés toutefois par le peu de collaborateurs déjeunant sur place. Et les directions de l’environnement de travail ne sont pas en reste suite aux nouvelles recommandations du protocole sanitaire publiées le 4 février, à savoir : une jauge maximale de 8 m² par personne (auparavant 4 m²) et des convives qui doivent déjeuner seuls ou en groupe de quatre personnes maximum (contre six auparavant) d’un même service ou bureau pour limiter les brassages sociaux. Les aménagements doivent donc, là encore, être revus. Avec comme impératif de réussir à transformer et adapter cette nouvelle offre en réduisant les possibilités et surtout en réduisant le nombre de contacts possibles.

venveo-609390-unsplash.jpg

Un même métier, de nouvelles façons de travailler

La crise sanitaire a bel et bien bouleversé la profession. Le retour des salariés dans les espaces de travail demande de l’organisation, de la planification, sans pour autant pouvoir réellement anticiper à moyen et long termes. La mise en place du télétravail et des roulements dans les équipes ont profondément modifié les interactions entre collègues et les manières de travailler. « On peut revenir sur nos sites, mais on rencontre moins les membres de son équipe. C’est une grande différence par rapport à notre rythme d’avant », note Mélanie Saddi. Plus encore, alors que le bâtiment a toujours été l’outil de travail principal des DET, ne pas s’y rendre quotidiennement est troublant. D’ordinaire très présents sur le site, toujours au contact des salariés, naviguant d’étages en étages, les DET sont plus que jamais impactés par ces mesures qui les poussent à adopter de nouvelles manières de communiquer et de gérer un établissement. Pour Cyril Dugué de Convergence, le plus gros challenge de la profession « est de réussir à manier le présentiel et le digital pour garder le plus important : le lien social. » Avec une question : comment faire en sorte que le collaborateur se sente bien lorsqu’il n’est pas sur site et que la rencontre n’a pas lieu « en vrai ». « Il faudra gérer à la fois la présence physique et la présence digitale et réfléchir à la place de la DET en dehors des locaux de l’entreprise. C’est une première. On sait piloter un immeuble, mais piloter hors site, c’est complètement différent. Cela demande une toute autre manière de procéder », affirme le fondateur de Convergence. Le chantier est immense, mais les expérimentations en la matière sont déjà bien avancées et devraient permettre d’apporter demain des solutions concrètes aux DET pour gérer le défi d’un nouveau modèle de travail hybride.

3 QUESTIONS À… HÉLOÏSE AYRAULT, AVOCATE

Depuis maintenant plusieurs mois, les entreprises s’en remettent au protocole sanitaire pour essayer de garantir la santé et sécurité des salariés sur site. Simples recommandations ou obligation légale ? Quelle valeur juridique a réellement ce document ? Le point avec Héloïse Ayrault, avocate chez Eseïs Avocats.

295-1-2.jpg

Quel est le statut du protocole national ?

D’un point de vue strictement juridique, le protocole national n’a pas valeur de loi. Il n’est donc pas contraignant. Ceci dit, le conseil d’État a reconnu qu’il s’agissait d’un ensemble de recommandations afférentes à l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur prévue par le Code du travail. Et c’est là toute la difficulté : non, il n’est pas obligatoire, mais oui, il faut le respecter.

Pourquoi est-il un document de référence ?

Le protocole constitue à lui seul des indices qui vont permettre, en cas de contrôle soit par l’inspection du travail soit en cas de contentieux par le juge, de vérifier si l’employeur a tout mis en oeuvre pour assurer la sécurité de ses salariés. Les sanctions ne sont pas prononcées sur le protocole mais à l’aide du protocole sur l’obligation de sécurité de résultat.

Quelles sanctions encourent les entreprises en cas de non-respect du protocole ?

Il peut y avoir des amendes, par exemple si l’entreprise refuse de mettre en place les masques ou de donner la priorité au télétravail. Ensuite, les collaborateurs peuvent avoir des démarches actives et venir en faute inexcusable de l’employeur ou en préjudice pour obtenir des dommages et intérêts. Cela peut aussi aller bien plus loin, au pénal, en raison de la mise en danger d’autrui. À nouveau, c’est le principe général de prévention et l’obligation de santé et sécurité de l’employeur qui est le fondement juridique. C’est lui qui va conduire les contrôles ou les actions des salariés, et mener aux sanctions.

">