
Suite à la crise, une nouvelle cartographie des lieux de travail se dessine. Les entreprises s’orientent peu à peu vers des solutions hybrides, voire en « full télétravail » pour certaines. L’environnement de travail s’envisage alors de manière multiple. Parmi les espaces qui feront partie de l’équation des lieux de travail de demain, les regards se tournent notamment vers les tiers-lieux ou espaces de coworking. Mais après un an de crise, quelles perspectives pour ces espaces ? Peuvent-ils se relever des difficultés économiques rencontrées par certains ? Sont-ils prêts pour répondre à de nouveaux besoins ? « Le secteur du coworking a été impacté assez durement par la crise sanitaire », affirme Nathanaël Mathieu, co-fondateur et président du cabinet de conseil LBMG Worklabs et créateur de la plateforme de réservation de lieux de travail Neo-nomade. Fermés totalement ou partiellement durant les divers confinements, beaucoup d’espaces n’ont toujours pas retrouvé leur pleine capacité d’accueil. Un phénomène accentué par la crise évidemment, mais pas nouveau pour autant… Fin 2019, le marché du coworking montrait déjà des signes de ralentissements en région parisienne, d’après l’étude 2021 de CBRE, « attestant d’une nouvelle phase de maturité ». Des signes plus qu’accélérés en 2020. « Nous estimons entre 30 et 40 % la chute globale des taux d’occupation l’année dernière pour tous les opérateurs », poursuit-on du côté de LBMG Worklabs. À cette baisse s’ajoute une faible marge de manœuvre pour réduire les coûts opérationnels ou recourir au chômage partiel. « À ce stade, nous avons constaté assez peu de fermetures définitives, mais la crise s’allongeant, des défaillances sont sans doute à prévoir ».
Pourtant, en matière de télétravail, les attentes n’ont jamais été aussi élevées. Selon le baromètre Télétravail 2021 de Malakoff Humanis, seuls 14 % des télétravailleurs disent ne plus souhaiter télétravailler après la crise sanitaire et une majorité de dirigeants (67 %) se déclare favorable à la mise en place de la pratique dans leur entreprise. Le marché du coworking se retrouve donc face à un paradoxe : « les revenus ont fortement chuté, mais la crise a montré la pertinence de l’immobilier flexible. L’enjeu pour les opérateurs est d’arriver à tenir pour accompagner cette tendance », analyse Nathanaël Mathieu.
Entre optimisation immobilière…
En effet, la crise sanitaire a fait de l’optimisation immobilière une des principales motivations des entreprises pour généraliser le télétravail et passer au coworking. Ces dernières renégocient peu à peu leurs baux, réduisent leurs surfaces… et se tournent donc de plus en plus vers des lieux tiers, pouvant bénéficier de surfaces flexibles. Le Groupe Up a, dans cette optique, libéré un de ses étages pour le louer à une autre entreprise. « Nous avons suffisamment d’espaces pour concentrer les équipes tout en respectant les règles sanitaires. À terme, il conviendra de réduire la surface du siège social dédié aux équipes en l’ouvrant à des partenaires locaux, mais on ne peut pas être aussi radical en si peu de temps. Nous avançons en co-construction, en fonction des opportunités que l’on a », prévient Julien Foucher, responsable du pôle immobilier et sécurité chez Up et pilote du Club Immobilier de l’Arseg. Le groupe espère atteindre les 15 % d’économies sur ses coûts totaux grâce à cette stratégie de réduction de surface, couplée au coworking. Tout comme le groupe Up, les nouvelles organisations du travail, intégrant de plus en plus le télétravail, devrait engendrer une baisse des coûts de l’immobilier pour les entreprises, qui en période de faible visibilité, pourraient également être tentées de recourir aux offres d’immobilier tertiaire sans engagement pour limiter le poids des charges fixes.
© Olivier Ouadah
… et besoin de proximité
Un intérêt pour les entreprises, mais aussi pour les salariés. À terme, certains experts estiment que la demande pour ces espaces de coworking pourrait venir principalement des collaborateurs. Dans la dernière édition du baromètre Actineo tout juste sortie, 55 % des collaborateurs déclarent ainsi qu’il est important pour eux d’avoir accès à un espace de travail proche de leur domicile s’ils travaillent deux jours par semaine ou plus depuis leur domicile. Avec une moyenne de deux à trois jours de télétravail à l’avenir, les espaces de coworking pourraient alors voir leurs espaces se repeupler. « Pour nos commerciaux principalement en région, nous réfléchissions au coworking allié au télétravail. La crise a accéléré le processus d’adaptation des locaux à nos usages. L’idée est d’avoir un espace qui leur est dédié, c’est-à-dire un bureau fermé, à proximité de leur lieu de résidence », confirme Julien Foucher, qui précise que le Groupe Up est passé en 2021 de un à deux jours de télétravail possibles, pour les employés qui le souhaitent. Le dispositif bénéficie pour le moment à une vingtaine de personnes, et à vocation, à terme, à profiter à l’ensemble des collaborateurs qui en feront la demande.
Un besoin de proximité pour plus de praticité au quotidien, mais aussi un besoin de lien social, d’équipements et d’espaces spécialement conçus pour les tâches de travail, contrairement au domicile. Fabienne Chol, directrice générale adjointe en charge des ressources humaines au Conseil régional d’Île-de-France, identifie ainsi un avantage aux tiers-lieux : la santé au travail. Depuis 2018, déjà « 75 % des agents pratiquaient un ou deux jours de télétravail par semaine et nous allons sans doute encore assouplir les modalités ». Mais la DRH souligne les difficultés de contrôler les conditions de travail à domicile : « ma hantise c’est que l’on ait à l’avenir une recrudescence de maux de dos, de tête, de baisse de la vue etc. ». Il s’agit donc d’encourager, sans obliger, les collaborateurs à se rendre dans des tiers-lieux à proximité de leur domicile « car ces espaces-là, nous pouvons les conventionner et avoir la garantie d’un environnement de travail sain ».
«Les revenus ont fortement chuté, mais la crise a montré la pertinence de l’immobilier flexible. L’enjeu pour les opérateurs est d’arriver à tenir pour accompagner cette tendance.»
Un marché amené à se consolider
Ces nouveaux enjeux représentent une vraie opportunité pour les opérateurs de coworking. « Les mutations du marché portent sur les besoins utilisateurs, en particulier en matière de flexibilité des engagements et de besoins de surfaces en complément pour s’adapter à la nouvelle donne dans les entreprises (flex office, télétravail, etc.) », analysait Vincent Desruelles dans une étude Xerfi sur « Les opportunités post-crise sur le marché du coworking et des bureaux flexibles – Leviers et perspectives de croissance à l’horizon 2023 ». Les exploitants d’espaces hybrides s’affirment alors comme la catégorie d’acteurs les mieux positionnés, à travers leur positionnement étendu. C’est justement le crédo de Wellio, filiale de Covivio spécialisée dans le coworking, qui s’apprête à accueillir une agence publique sur son nouveau site Wellio Gobelins. Ses 4 700 m2 sont entièrement privatisés pour une durée de cinquante-huit mois, renouvelable, alliant ainsi la flexibilité et les services du coworking à tous les besoins d’un siège social. « Il s’agit de notre premier site Wellio mono utilisateur, mais nous sentons une forte émergence de cette typologie de clients. La phase d’incertitude dans laquelle nous sommes incite les entreprises à revoir leur modèle organisationnel », décrypte Céline Leonardi, directrice de Wellio. Les espaces sont livrés clés en main, modulables et personnalisables, accompagnés de services de standing, similaires à ce que l’on trouve dans l’hôtellerie. « Il faut différencier l’expérience du lieu de travail de celle que l’on aurait à domicile », appuie encore Céline Leonardi. De fait, sur ce site Wellio, ainsi que dans les autres adresses du réseau, les espaces incitant aux interactions sociales, que ce soit les salles de réunion ou de détente, sont fortement mis en avant, de même que la palette d’événements qu’il est possible d’organiser avec l’opérateur.
D’autres acteurs entendent bien de leurs côtés capitaliser sur le besoin de proximité des salariés pour se développer. C’est notamment le cas de Wojo (anciennement Nextdoor), joint-venture entre Accor et Bouygues Immobilier. L’opérateur souhaite s’appuyer sur le réseau hôtelier du premier pour ouvrir 1 200 espaces de coworking d’ici 2022, profitant de leurs nombreuses localisations, des possibilités de transformation des espaces et des services déjà à disposition. « L’idée des wojo spots était déjà lancée avant la crise sanitaire, mais pas à cette puissance-là », reconnaît Stéphane Bensimon, CEO de Wojo. L’opérateur a également assoupli ses forfaits pour permettre notamment des réservations de bureaux privatifs à la demande.
« À terme, certains experts estiment que la demande pour ces espaces de coworking pourrait venir principalement des collaborateurs. »
Quel modèle économique à l’avenir ?
Autre acteur mais même objectif : Morning, filiale de Nexity depuis deux ans, veut, lui aussi, se rapprocher du domicile des salariés. « Présents uniquement à Paris et en petite couronne, nous travaillons aussi sur le rapprochement des espaces de coworking du lieu d’habitation des salariés, surtout en banlieue. La crise va faire apparaître de nouvelles infrastructures de travail sous la forme de petits bureaux de quartiers pour ceux qui ne souhaitent ni se rendre au travail, ni rester chez eux », confirme Clément Alteresco, fondateur et CEO de Morning. Malgré la perte de plusieurs clients et une activité événementielle très impactée, l’acteur continue à appuyer son modèle économique sur deux types d’espaces de coworking : l’un dédié au partage de bureaux entre petites et moyennes entreprises, et l’autre, voué à la privatisation d’espaces flexibles par de grands comptes.
En effet, la question du modèle économique reste centrale sur ce marché qui se cherche encore. Selon l’étude du CBRE, Le coworking, l’âge de maturité, la part des espaces partagés dans la structure des revenus des acteurs du marché est passée de 40 à 31 % de 2016 à 2019, tandis que les espaces privatifs sont passés de 17 à 30 %. Des chiffres confirmés par Alexis Rebiffé, cofondateur de Deskopolitan : « aujourd’hui, il est compliqué de gagner sa vie avec des espaces de travail pour des nomades. Ce public représente moins de 10 % de notre chiffre d’affaires. Nous gagnons notre vie grâce aux résidents ». Ce « petit opérateur parmi les gros, indépendant de tout actionnaire extérieur », comme il se définit, a pour particularité d’être à la fois propriétaire et exploitant de ses trois immeubles parisiens dédiés au coworking. Un modèle économique qui n’encourage pas au développement rapide, mais pousse à valoriser l’espace acquis. Une stratégie qui devait pousser Deskopolitan vers la rentabilité en 2020, s’il n’y avait eu la crise... De quoi appeler à la prudence, selon Alexis Rebiffé : « le taux de remplissage ne fait pas la rentabilité. Il faut remplir, mais à un bon prix ».
Une généralisation à tous les territoires
Le maillage territorial va également être l’un des enjeux majeurs du coworking pour les mois à venir. « Les gros opérateurs tels que IWG, WeWork, Morning, Deskeo, Startway etc. représentent environ 40 % de la surface du coworking en France, le reste est partagé entre de petits indépendants. Cette diversité d’acteurs va avoir un rôle à jouer dans le rebond post-crise, principalement en région », avance Nathanaël Mathieu du cabinet de conseils LBMG.
Pour de nombreux territoires, avoir un tiers-lieux fait désormais partie de la stratégie d’attractivité, particulièrement en zone rurale. C’est sur cette dernière que se construit depuis une dizaine d’années le réseau Relais d’entreprises, qui réunit sur une même plateforme une centaine de tiers-lieux privés ou gérés par des collectivités. De quoi assurer leur visibilité auprès de télétravailleurs souhaitant quitter les grandes villes. La crise sanitaire a conforté la stratégie de l’organisme qui compte sur une levée de fonds dans les mois à venir pour continuer à se développer. Son président fondateur, Dominique Valentin, a cependant bien conscience de la fragilité économique de ces espaces : « il est important de se poser la question du public visé et ce qu’il est prêt à débourser. Nous conseillons souvent aux acteurs privés de conserver une activité principale en parallèle de la gestion de leur espace de coworking. »
Toutefois, les collectivités peuvent aussi soutenir matériellement et/ou financièrement ces projets, comme le département du Lot qui tente de mettre en lien la dizaine de tiers-lieux de son territoire, dont deux viennent tout juste d’ouvrir leurs portes. « Nous avons des télétravailleurs qui sont venus s’installer dans le département, mais est-ce que ces personnes s’implantent durablement ? Y aura-t-il un boom de la fréquentation des lieux de coworking ? Pour l’instant, nous sommes dans l’expectative », reconnaissent Isabelle Sahagun, directrice adjointe attractivité et numérique et Thibaut Lagache, chargé de mission aménagement et usages numériques au département du Lot. Difficile effectivement de mesurer d’ores et déjà toutes les conséquences d’une crise sanitaire et économique encore en cours.
Un titre bureau à l’image d’un ticket restaurant ?

Plusieurs sénateurs ont déposé une proposition de loi en février dernier visant à « faciliter l’accès à des bureaux de proximité et le maintien de la vie sociale des travailleurs à distance ». Un certain nombre de mesures sociales et fiscales y sont exposées pour accompagner les mutations en cours, comme une réduction d’impôt à hauteur de 50 % des dépenses engagées par une entreprise pour le recours aux espaces de coworking. Une bonne idée selon Fabienne Chol, directrice générale adjointe en charge des ressources humaines au Conseil régional d’Île-de-France : « À l’heure actuelle, nous payons 30€ TTC la journée pour un collaborateur en tiers-lieu. La pratique du coworking représente donc un coût supplémentaire pour l’employeur en plus de son siège social. Un maillage dense des tiers-lieux et la stabilisation du modèle économique sont donc deux enjeux majeurs pour rendre cela plus soutenable et généralisable. » La proposition de loi évoque également la possibilité de créer un titre bureau pour les télétravailleurs, à l’image du titre restaurant pour la pause déjeuner. Le salarié pourrait alors payer de cette façon le recours à un tiers-lieu ou un espace de coworking. Mais le chemin pourrait être long… Le texte n’est, pour l’heure, pas inscrit dans les prochaines sessions de la chambre haute.
Continuez votre lecture en créant votre compte et profitez de 5 articles gratuits
Pour lire tous les articles en illimité, abonnez-vous