Il n’en finit plus de séduire petites comme grandes entreprises. Promettant flexibilité, services et attractivité, le bureau opéré a indéniablement su rebondir après la crise. Multipliant les ouvertures d’espaces, les acteurs de ce marché semblent confiants en l’avenir. Mais le bureau opéré peut-il réellement s’imposer durablement sur le marché de l’immobilier tertiaire ? Décryptage.

Ils s’appellent Morning, Spaces, Deskeo, Hiptown, Wellio, Newton Offices… Leur point commun ? Ils se sont tous lancés sur le marché du bureau opéré. Avec, pour certains, un rythme d’ouvertures effréné. « À chaque fois qu’on ouvre un nouvel immeuble, il est quasiment plein le lendemain », lance Clément Alteresco, fondateur et PDG de Morning, qui possède une quarantaine de sites sur Paris et vient d’inaugurer Morning Laffitte, un espace de 10 000 m² en plein cœur du 9e arrondissement de Paris.

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© WeWork
Qonto a récemment inauguré son siège parisien dans le nouvel espace WeWork, dans le 9e arrondissement de la capitale. L'entreprise, qui a pu entièrement personnaliser les locaux, s'est engagée sur cinq ans, avec possibilité de négocier les conditions de sortie au bout de trois ans.

Selon lui, le bureau opéré devrait représenter entre 20 et 30 % du marché immobilier tertiaire d’ici à 10 ans. Un secteur en plein boom qui ne cesse de grapiller des mètres carrés. « Le bureau opéré, bureau serviciel, bureau en prestation de services... recouvre une même réalité qui consiste à exploiter des surfaces pour le compte d’un propriétaire (ou d’un utilisateur qui n’en fait pas un usage immédiat) et à proposer une offre flexible dans le cadre d’un espace partagé ou pour un occupant unique », précise Vincent Desruelles, directeur d’études chez Xerfi.

Du coworking au bureau opéré…

Si le modèle remonte à quelques années, le terme, lui, est assez récent. Jusqu’à alors, on avait plutôt tendance à parler de coworking. Simple évolution de vocabulaire ou réelle transformation de modèle ? « Le coworking a muté, observe Céline Leonardi, directrice commercialisation et design UX de Covivio, qui a lancé il y a cinq ans sa marque Wellio. Avec le coworking, on était plutôt sur des bureaux déjà équipés et pensés pour de petites entreprises ou des grands groupes qui avaient des besoins ponctuels pour des équipes innovation. Le bureau opéré est géré quant à lui pour le compte d’une entreprise et surtout, il intègre sa propre ADN, sa culture. On peut comparer le modèle à celui de la mode : il y a d’un côté le prêt-à-porter, qu’une marque impose comme le coworking, et de l’autre, le sur-mesure, où l’on va pouvoir choisir le moindre détail comme le propose le bureau opéré. »

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© Olivier Ouadah Wellio

Pour Clément Alteresco, la nuance se trouve dans la notion de partage. « Dans coworking il y a co, qui veut dire ensemble. Le coworking, c’est un bureau où l’on partage des espaces communs. Le bureau opéré, c’est un espace indépendant où l’entreprise ne partage pas ou très peu son espace commun ».

Le bon moment, le bon modèle

Si le bureau opéré connait aujourd’hui un tel engouement, c’est qu’il a su arriver au bon moment, avec la bonne proposition. Sa promesse ? Une offre plus flexible, plus servicielle, avec des contrats moins rigides, des engagements courts et des surfaces modulables... Un discours qui séduit forcément de plus en plus d’entreprises alors que le travail hybride les encourage à repenser leurs organisations et, en parallèle, leur politique immobilière. « Avec l’instauration dans le temps du télétravail et l’occupation des bureaux de plus en plus fluctuante, les clients expriment la nécessité de réduire la voilure niveau surface. La notion de flexibilité est devenue centrale », confirme Céline Leonardi de Covivio. Résultat, « les contrats de prestation de services, qui étaient vécus auparavant comme une option exploratoire, une piste à creuser, sont désormais devenus un véritable sujet qu’il faut intégrer dès les premières réflexions », observe de son côté Audrey Wozniak, responsable pôle flex office chez Cushman & Wakefield.

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3 questions à Vincent Desruelles, directeur d'études chez Xerfi

Julien Foucher, directeur environnement de travail et immobilier pour le groupe Up et pilote du club immobilier de l’Arseg est justement en pleine réflexion. « Les différentes solutions proposées actuellement sur le marché immobilier, entre le bureau opéré, le coworking, le bail classique, le bail agile… nous permettent d’avoir le choix, ce qui rend plus agréable la prise de décision, ou en tout cas, nous permet d’avoir une meilleure visibilité. Entre l’objectif financier et l’objectif social que l’on doit atteindre, la direction immobilière est fortement attachée à maintenir ces solutions pour les proposer à sa direction générale. » Les enjeux des directions portent aujourd’hui avant tout selon lui sur « l’organisation du travail hybride, le retour des collaborateurs au bureau et l’attractivité vis-à-vis des talents. Le tout, en diminuant notre empreinte immobilière et en optimisant notre budget ».

« Les contrats de prestation de services, qui étaient vécus auparavant comme une option exploratoire, une piste à creuser, sont désormais devenus un véritable sujet qu'il faut intégrer dès les premières réflexions. », Audrey Wozniak, responsable pôle flex office chez Cushman & Wakefield

Clément Alteresco a en effet vu de son côté un avant/après Covid sur l’enjeu de la marque employeur et de l’attractivité. « Il y a une guerre sur le recrutement, il n’y a plus assez de cadres. Le choix du lieu de travail devient essentiel. Et pour cela, deux paramètres sont à prendre en compte : la localisation, avec un appétit sur la centralité, et l’ambiance, l’animation, les services », commente-t-il.

Des besoins ponctuels comme pérennes

Chez le Groupe Up, le bureau opéré est pour l’heure une solution pour les métiers nomades qui ont besoin d’un espace pour travailler en régions. « Quand on discute avec les adhérents de l’Arseg, il semblerait que le bureau opéré est de plus en plus utilisé pour libérer de la surface au siège afin d’en prendre en province ou ailleurs en région parisienne et pouvoir réceptionner les salariés dans un lieu avec des services inclus et où l’on retrouve la culture d’entreprise », souligne Julien Foucher. Certaines entreprises décident également d’y installer la totalité de leurs bureaux, bénéficiant ainsi de services mutualisés et d’un interlocuteur unique. C’est le cas par exemple d’Expertise France, qui occupe l’immeuble Wellio Gobelins dans le 13e arrondissement de Paris. « Ils avaient besoin de regrouper leurs équipes sur un bâtiment unique, afin de rationaliser les coûts et la localisation. Nous avons beaucoup travaillé ensemble pour refléter leurs valeurs et culture d’entreprise dans l’immeuble », explique Céline Leonardi.

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© Olivier Ouadah Wellio

Du côté de Morning, Clément Alteresco identifie plusieurs cas d’usage chez les grands groupes. « Le premier, celui que l’on observe le plus, ce sont les grands groupes qui réduisent leur siège de 30 à 50 %, passent en flex, et prennent du bureau opéré pour de nouveaux besoins (filiale, déménagement…) », commente-t-il. Le second, plus nouveau, concerne les salariés ayant déménagé en régions pendant ou après les confinements. « Pour répondre à ce cas de figure soudain et inattendu, le bureau opéré a été la solution magique. On ne se rendait pas encore compte du volume de collaborateurs concernés. Les entreprises ont été rassurées de pouvoir trouver une solution dans un espace sécurisé et professionnel. Certains acteurs ne sont d’ailleurs implantés qu’en régions, ce qui démontre une vraie dynamique régionale », témoigne Audrey Wozniak.

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© Morning Concorde

Toutefois, ce cas de figure pose encore de nombreuses questions. « Est-ce que la direction immobilière va accepter de payer un bureau en région à terme ? C’est un vrai sujet car elle paye déjà un bureau au siège social. Le coût va éventuellement finir par être absorbé par la réduction des mètres carrés, mais cela va prendre du temps car les baux courent encore. Le sujet est assez nouveau, les grandes entreprises expérimentent plusieurs pistes afin de voir si cela correspond bien à la fois à leurs besoins, mais aussi aux besoins des salariés », ajoute Clément Alteresco.

2, 3, 4 ans ?

Parmi les arguments qui font souvent mouche auprès des entreprises : la durée d’engagement, plus ou moins courte, contrairement à un bail 3-6-9. Si auparavant, les donneurs d’ordres en profitaient pour louer sur de courtes durées, qu’en est-il aujourd’hui ? « La durée a tendance à s’allonger, observe Céline Leonardi. Elle s’était raccourcie juste après le confinement par manque de visibilité. Mais là on est clairement reparti sur des durées d’engagement plus longues car les entreprises manifestent l’envie de s’inscrire de façon plus pérenne dans ce type de modèle.Sur les grands groupes par exemple, les contrats peuvent aller jusqu’à 4 voire 5 ans pour certains. » Selon Clément Alteresco, la durée d’engagement serait avant tout liée à la taille de l’entreprise. « On observe un allongement de la durée car la typologie des clients est en train de muter, avec de plus en plus de boites traditionnelles, qui ont davantage l’habitude de s’engager, commente-t-il. En moyenne, on est environ à deux ans d’engagement pour des entreprises de 50 à 100 personnes. » Le créateur de Morning pointe par ailleurs du doigt les réductions qui s’appliquent en fonction de la durée d’engagement. « C’est un phénomène que je regrette, je pense que l’on devrait collectivement plutôt récompenser la fidélité que l’engagement. »



 

Une nouvelle donne sur le marché de l’immobilier tertiaire ?


Ce nouveau modèle de consommation d’espaces de travail semble également de plus en plus considéré par les foncières et propriétaires bailleurs d’immeubles. Preuve que la tendance s’impose sur le marché : les acteurs s’adaptent et expérimentent des solutions plus flexibles. Covivio l’a fait il y a déjà plusieurs années avec la marque Wellio. Plus récemment, c’est La Française REM qui a fait parler d’elle en lançant en mars 2022 une offre flexible « Wellcome by La Française » qui intègre une dose de flexibilité dans ses baux. Elle a développé, entre autres, le « Bail Agile », un bail commercial où le client peut partir à tout moment, avec un préavis glissant de 6 mois ou encore le « contrat coworking », un contrat de prestation de services disponible chez les opérateurs de coworking implantés au sein du patrimoine La Française. Côté investisseurs, le modèle semble aussi trouver écho. Ces derniers n’hésitant plus à faire appel à des spécialistes de bureaux opérés pour transformer et adapter leurs actifs. « C’est une certitude, cette transformation de l’offre, en impactant le modèle économique du secteur, va changer l’intégralité de la chaîne de valeur jusqu’à la gestion immobilière et l’investissement », indiquait Medhi Dziri, directeur général d’Ubiq.
 



Des factures allégées à la fin du mois ?

Reste par ailleurs encore une inconnue : le bureau opéré est-il, oui ou non, plus avantageux d’un point de vue tarifaire qu’un bail classique ? La réponse ne semble pas si évidente… « Nous n’avons pas encore le recul nécessaire pour pouvoir comparer, indique Julien Foucher. Dans l’immobilier classique, nous avons l’habitude de travailler avec une approche par m², alors qu’avec le bureau opéré, nous sommes dans une approche par poste de travail. Les ratios sont différents. C’est compliqué de se mettre d’accord sur ce que l’on va retenir dans le ratio et de comparer mètres carrés et poste de travail. Ce que l’on sait en revanche, c’est qu’un poste de travail en 2020 coûtait environ 10 000 euros par an, mais cela incluait aussi les frais de voyage, la flotte automobile… Il faudra voir à terme la part des bureaux opérés dans le budget mais on voit déjà que la tendance amène des croissances assez fortes. »

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© Benoit Drouet / Morning

De leurs côtés, les acteurs de bureaux opérés avancent l’argument d’un mètre carré augmenté. « Il faut penser coût global. Le coût du bureau opéré comprend à la fois le poste de travail mais aussi les services, les espaces communs…On achète une ambiance et de nombreux services. C’est quasiment incomparable avec le bail classique », estime Clément Alteresco qui consent tout de même à donner une indication : « si l’on veut vraiment comparer, le prix serait à peu près similaire sur trois ans, le temps pour une entreprise d’amortir les éventuels travaux et investissements qu’elle pourrait faire lors d’un emménagement en bail classique. »

Au-delà du potentiel gain financier, Julien Foucher souligne également un gain de temps pour les directions immobilières et de l’environnement de travail, avec des services délégués et gérés à la demande. « Avec ce modèle, l’ensemble des charges et des services sont intégrés dans une facture unique à la fin du mois. »

Le bureau opéré : menace ou opportunité pour les DET ?

Gérer l’immobilier et les services, c’est donc la promesse et la force du bureau opéré. Des compétences également revendiquées depuis longtemps par les directions de l’environnement de travail... Le développement du bureau opéré ou serviciel ne risquerait-il pas de signer, in fine, la disparition du métier du DET, ou tout du moins de le mettre à mal ? Julien Foucher se veut formel. « La réponse est non. Nous sommes et resterons un interlocuteur privilégié pour les acteurs de bureaux opérés. On ne peut pas déléguer une connaissance des métiers de nos clients internes, une culture d’entreprise, une ambition de direction générale. Il faut bien un représentant. Ce qui peut changer en revanche, c’est la relation. Avec l’opérateur de bureau opéré, l’approche est différente. On est plus dans une logique orientée services, engagement, emplacement… Ce qui peut amener à échanger de plus en plus et à co-travailler sur tous ses aspects ». Une vision partagée par Céline Leonardi, pour qui la direction de l’environnement de travail apparaît encore plus essentielle aujourd’hui. « On ne peut pas deviner seul une identité pour la décliner. Nous avons besoin, nous aussi, d’un interlocuteur unique. Et ce sont eux les experts de leur environnement de travail. Je pense par ailleurs que cela peut aussi permettre de faire évoluer leurs préoccupations au quotidien, car en nous déléguant un certain nombre de missions, ils pourront se concentrer sur des sujets plus stratégiques ». Loin d’être vécu comme une menace, le développement du bureau opéré pourrait-il réellement se transformer en opportunité pour les DET ? Affaire à suivre…

REPLAY

Vous avez raté notre Lab du 06 octobre consacré à l’avenir du bureau opéré ? Pour la session de rattrapage, rendez-vous sur notre site, rubrique Le Lab, et retrouvez le replay de notre débat avec nos quatre invités.

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