
Les bureaux de Sony à Puteaux, conçus par Kardham.
L’espace de travail, un outil managérial
C’est à partir de ce constat qu’a eu lieu un webinaire porté par l’Arseg, l’ANDRH, le Cinov, Kardham et CSF avocats le 29 avril dernier 1. Les échanges ont alors permis à la fois de revenir sur la contrainte pour les managers que peut représenter l’hybridation, encore inégalement appréhendée, mais aussi sur les opportunités qu’elle peut stimuler. En effet, s’il n’est pas simple de manager en contexte hybride, de bonnes questions peuvent aussi revenir comme autant de moyens de s’interroger sur le rôle du manager de proximité. Et l’espace peut alors être un outil.
Dur d’être manager en contexte d’hybridation
Nous vivons depuis deux ans sous influence de la situation sanitaire. C’est une évidence de constater l’importance des impacts sur les organisations quelles qu’elles soient. Le management de proximité a été fortement bousculé avec la mise en place de l’hybridation du travail. Une enquête Kardham d’octobre 2020 2 avait souligné le fort soutien social des managers envers leurs équipes, et cela met en exergue la réactivité avec laquelle les managers ont agi afin de préserver la performance du collectif qu’ils animent. Seulement voilà, le télétravail se développant, il leur faut désormais composer quotidiennement avec l’hybridation. Un vrai casse-tête. En effet, les managers sont contraints, puisque c’est bien une contrainte dont il s’agit initialement, d’organiser le travail et le collectif avec ce fractionnement de l’espace/temps de travail. Le management, historiquement construit sur le paradigme du contrôle visuel, doit se faire autrement avec le distanciel.

© Sklaerenn Lorand
L’équation n’est pas simple : d’un côté, les salariés tiennent quasiment pour acquis le télétravail en tant que facteur d’amélioration de leur qualité de vie globale ; de l’autre, les managers éprouvent de vraies difficultés à organiser le travail et à faire vivre l’équipe. Et tous les discours qui consistent à promouvoir la confiance, l’autonomie ou la responsabilisation, ne résolvent pas les difficultés quotidiennes des managers. Pour autant, ces valeurs sont bel et bien porteuses d’opportunités dans le sens où elles permettent de soulever une question de bon sens que l’on avait parfois oubliée de se poser : quelle valeur peut-on donner à la présence sur le lieu de travail ?
Le lieu et le lien
Il faut alors revenir sur la définition du lieu. Un lieu est ‘‘une portion d’espace sujette à des appropriations singulières et à des mises en discours spécifiques‘‘ 3. Autrement dit, c’est un espace dont la singularité provient surtout des dynamiques humaines qui s’y jouent. Et c’est précisément la question qui nous intéresse ici puisque si les salariés viennent moins sur leur lieu de travail à la faveur du télétravail, il faut nourrir une expérience augmentée du lieu. Les managers ont donc un rôle de premier plan à jouer en tant qu’animateurs des dynamiques collectives. Et c’est heureux car cela permet de redonner une forte dimension humaine au rôle managérial. Combien de fois ne lit-on pas la fameuse formule incantatoire ‘‘il faut remettre l’humain au cœur de…’’ ? L’espace, sans être bien sûr la solution à tout, peut y contribuer.
Nous nous voyons moins alors profitons-en pour repenser les moments où l’on se voit. L’exemple de la réunion est particulièrement éclairant. Parfois descendante, uniforme, ennuyeuse, souvent mal préparée et à l’issue floue, on ne peut pas dire que les réunions bénéficient d’un enthousiasme débordant de la part de la plupart des salariés. Mais elles sont nécessaires. Pour autant, la concurrence du distanciel impose de repenser le moment de réunion car il devient plus précieux et moins ‘‘machinal’’ qu’auparavant. L’espace devient ici un vrai outil managérial car en tant que manager, on peut penser l’objectif de la réunion en adéquation avec la situation de travail et donc l’espace. Intelligence collective, informations descendantes, résolution de problèmes ou team building, n’a-t-on pas à y gagner en choisissant le meilleur endroit pour atteindre les objectifs ? Dans un contexte où les environnements de travail se caractérisent de plus en plus par une offre qualitative et variée, l’espace devient une ressource multiforme qui correspond finalement à la diversité des moments que nous avons dans une journée de travail. Les moments de réunion, mieux pensés, mieux préparés et dans un espace adéquat en fonction des objectifs, peuvent alors reprendre une valeur qu’ils ont possiblement perdue.

© Arthur Chazallet
Il est admis que la vocation future du bureau s’articulera essentiellement autour de la dimension interactionnelle et sociale. Cela souligne précisément l’impératif de repenser l’interaction et la valeur ajoutée que peut apporter le lieu de travail. Ainsi, le manager peut repenser le moment managérial sous l’angle de l’expérience managériale, laquelle se définit par une valeur ajoutée humaine au-delà de la dimension fonctionnelle de l’échange. Cette valeur ajoutée peut être également trouvée dans les moments informels, dont on promeut à juste titre les vertus depuis des années mais qui, en contexte de travail hybride, prennent encore plus de valeur. Les espaces à vocation informelle doivent alors devenir des espaces de riches échanges, lesquels structurent et renforcent les collectifs. Le manager de proximité peut alors stimuler ces moments qui peuvent encore être perçus comme des temps perdus mais qui en réalité sont des temps dont les gains psychologiques et sociaux sont importants.
Le territoire de la tribu
Ceci amène l’idée que la dimension tribale du collectif doit être remise en lumière. Animaux sociaux que nous sommes, si nous nous reniflons moins, reniflons-nous mieux ! Et ne nous y trompons pas : le paradigme de l’horizontalité et de l’entreprise libérée a fait couler beaucoup d’encre mais le manager de proximité a encore un bel avenir. En tant que chef de tribu, il doit pouvoir utiliser l’espace comme une ressource dans une dimension fonctionnelle, mais aussi dans une dimension psychosociale. En effet, à l’heure de l’hybridation, le lieu de travail devient un support majeur de l’animation d’un groupe. On a bien vu les limites du distanciel, lequel ne permet pas de saisir clairement les attitudes et la communication non verbale lors d’une interaction. De ce fait, il faut désormais maximiser les temps de présence sur le lieu de travail afin de nourrir de riches interactions. Il s’agit là d’une véritable opportunité pour les managers qui peuvent alors tirer profit de chaque moment pour prendre de l’information et ‘‘sentir les choses’’. Moins de présence mais mieux de présence implique donc de porter une attention plus soutenue aux émotions, ce que le distanciel ne permet pas ou peu. L’espace peut alors constituer une ressource managériale pour une interaction individuelle.

© Sklaerenn Lorand
On choisira alors l’endroit le plus approprié en fonction de l’objectif du face-à-face afin d’en maximiser la richesse. Le chef de la tribu jouera alors pleinement son rôle de coach. Dans une dimension collective, on choisira également les meilleures dispositions spatiales selon l’objectif du temps collectif mais ce que permettent les nouveaux espaces de travail, c’est précisément de pouvoir faire vivre la tribu en animant des temps variés nécessaires à l’expression du collectif. Dans ce contexte, le manager reprend ses lettres de noblesse par l’animation d’un groupe auquel il donne du sens par le liant qu’il stimule. En contexte hybride, le manager participe à l’ancrage nécessaire pour que le nomade ne devienne pas un errant dépourvu de repères. Il doit alors construire le territoire et lui donner du sens car c’est bien la dimension humaine à travers l’inscription dans un groupe qui incite à revenir sur le lieu de travail.
1 Webin'Arseg - La Conf' de l'ANDRH, l'Arseg et la Cinov
3Lieu — Géoconfluences (ens-lyon.fr)
L’auteur
Docteur en SHS, Nicolas Cochard déploie et anime la stratégie de R&D pluridisciplinaire chez Kardham. Il est l’auteur du Guide de la flexibilité de l’organisation et de l’environnement de travail, Le Moniteur, 2021, co-auteur de Espaces de travail. Nouveaux enjeux, nouveaux usages, Dunod, 2022.
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