
Depuis plusieurs mois, le télétravail régulier ou occasionnel fait désormais l’objet de nombreux accords collectifs, de chartes ou, à défaut, d’accords individuels entre l’employeur et le salarié. Généralement perçu par les salariés comme un facteur de qualité de vie au travail et de meilleure conciliation de la vie professionnelle/vie personnelle, cette nouvelle organisation du travail est susceptible, toutefois, de générer des risques dont certains ont été particulièrement mis en lumière par les retours d’expérience sur cette période de télétravail massif due à la crise sanitaire de la Covid 19. Dans la phase de déploiement et de suivi du télétravail dit « régulier », la santé et la sécurité des salariés doivent rester, pour tous les acteurs de l’entreprise, une préoccupation majeure. Elle nécessite le rappel de points de vigilance particuliers destinés à guider les actions de prévention à mettre en place. Compte tenu de son caractère particulier, le régime juridique du télétravail exceptionnel et imposé mis en place en cas de circonstances exceptionnelles (d’épidémie notamment) ou en cas de force majeure n’est pas évoqué dans cet article.
Un cadre légal et conventionnel pour le télétravail régulier
Les dispositions de Code du travail relatives au télétravail (1) s’articulent avec celles issues de la négociation des partenaires sociaux et notamment de l’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 (2). Présenté comme « un outil d’aide au dialogue social et un appui à la négociation », il a servi de référence à de nombreux accords d’entreprises signés sur ce thème (3).
La persistance de l’obligation générale de sécurité de l’employeur
La mise en place du télétravail, même hors d’un contexte exceptionnel et imposé, peut modifier de façon importante l’organisation du travail au sein de l’entreprise. Il est impératif de prendre en compte son impact sur les conditions de travail des télétravailleurs mais également sur celles des non-télétravailleurs (modification éventuelle de la charge de travail, intégration des contraintes nouvelles générées par l’adaptation à la réalisation hors site de certaines activités par les télétravailleurs ...).
En dépit de la distanciation inhérente au télétravail, l’employeur reste tenu, vis-à-vis des télétravailleurs, comme à l’égard de tous les salariés de l’entreprise à son obligation générale de sécurité (4) lui imposant de prendre les mesures nécessaires à leur sécurité et à la préservation de leur santé physique et mentale.
Une démarche d’évaluation des risques élargie et adaptée
La démarche d’évaluation des risques, préalable à toute mise en place de mesures de prévention en situation de télétravail, va porter sur l’ensemble des activités de l’entreprise et va viser non seulement les télétravailleurs mais tous les salariés y compris ceux travaillant en présentiel. La diversité des situations de travail, au sein et en dehors de l’entreprise, et notamment les facteurs tenant à l’organisation du télétravail (modalités d’exercice, relations managériales, articulation et impact sur le travail des salariés en présentiel…) seront analysés.
Certains risques identifiés en situation de télétravail sont sensiblement similaires à ceux auxquels les salariés sont exposés sur site (risques physiques liés à l’aménagement du poste, risques liés à l’organisation…). D’autres risques seront plus difficiles à évaluer compte tenu des impératifs de respect de la vie privée et notamment de l’accès au domicile subordonné à l’accord du télétravailleur (exposition aux addictions, à l’isolement social et professionnel, au surinvestissement ...). L’analyse des risques va ainsi nécessairement prendre en compte la fréquence et le volume de télétravail, le lieu de son exécution (domicile ou espace de coworking), les caractéristiques du télétravailleur (ancienneté dans l’entreprise, autonomie…).
Le médecin du travail, les salariés, les instances représentatives du personnel peuvent contribuer activement à cette phase d’évaluation des risques permettant la mise à jour du document unique notamment. L’entretien annuel organisé au bénéfice des télétravailleurs par le Code du travail (5) va également constituer l’occasion d’échanger de façon plus approfondie notamment sur les conditions d’activité et la charge de travail. Il peut permettre de réajuster certaines mesures de prévention (formation, organisation matérielle…).
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Des points de vigilance particuliers
1 / Le lieu de télétravail – l’ergonomie du poste de travail
Même si en raison de son caractère privé, l’employeur ne peut agir directement sur les conditions de conception et d’aménagement du poste de travail à domicile, il doit toutefois y porter une attention particulière afin qu’il offre des caractéristiques satisfaisantes en termes notamment d’éclairage, d’aération, de sécurité de circulation, de sécurité électrique, de sécurité incendie, d’hygiène…. Ces éléments sont portés à la connaissance des télétravailleurs et régulièrement rappelés.
Les actions de sensibilisation et de formation des salariés sur les bonnes pratiques d’implantation et d’installation du poste informatique sont renforcées afin de limiter les contraintes posturales et d’éviter l’apparition de troubles musculosquelettiques (positionnement de l’écran, réglage du siège, mobilier, alternances des tâches, pauses …).
Dans la phase de délpoiement et de suivi du télétravail dit "régulier", la santé et la sécurité des salariés doivent rester, pour tous les acteurs de l'entreprise, une préocupation majeure.
En ce qui concerne les tiers-lieux ou espaces de coworking, il est conseillé à l’employeur de n’y autoriser le télétravail que lorsqu’il a pu, au préalable, vérifier que les conditions d’aménagement du lieu sont similaires à celles prévues par le Code du travail.
2 / Le contrôle et respect de la durée du travail
L’autonomie relative dont dispose le télétravailleur dans l’organisation de sa journée de travail peut, dans certaines situations, faire craindre un dépassement de la durée légale du travail et le non-respect de ses temps de repos afin notamment de faire face à une charge de travail importante.
Dans une perspective de protection de la santé et de préservation de la vie privée des télétravailleurs, l’employeur a l’obligation d’adopter des mesures afin de permettre l’exercice effectif du droit à la déconnexion (6). La régulation de la charge de travail doit faire l’objet d’un suivi particulier de la part de l’employeur et des encadrants de proximité, notamment en l’absence de contrôle du temps de travail (en particulier pour les cadres en convention de forfaits en jours).
En complément des dispositifs techniques permettant un contrôle et une limitation du temps de connexion, l’employeur veille également à définir et à rappeler régulièrement à tous les salariés, télétravailleurs ou non, les règles qui s’imposent (durées maximales de travail, respect des plages horaires…) et la nécessité d’utiliser de façon raisonnée les outils de communication à distance.

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3 / La préservation du lien social au sein de l’entreprise
Les situations de télétravail prolongé et imposé durant la pandémie ont mis en évidence des situations manifestes de perte de lien social, d’isolement pour certains télétravailleurs, générant au sein des entreprises concernées une dégradation des relations professionnelles. Des actions de sensibilisation et de formation de tous les salariés de l’entreprise, télétravailleurs ou non, sont susceptibles de limiter ces risques : organisation à distance de moments de convivialité, désignation de personnes ressources en cas de difficultés techniques, organisationnelles liées à la pratique du télétravail.
4 / L’accompagnement et les actions de formations spécifiques au bénéfice des managers
La détection par l’employeur des situations à risques liées à l’exercice du télétravail peut s’avérer difficile. Compte tenu de la proximité qu’ils entretiennent avec leurs équipes et de leur connaissance de la charge d’activité, les managers constituent pour lui un relais incontournable pour recueillir des informations de terrain sur la mise en place du télétravail. À cet effet, ils seront sensibilisés à interpréter des indicateurs pouvant permettre d’identifier des difficultés (notamment psychosociales) pour certains télétravailleurs. Afin de les accompagner dans le management à distance, des formations relatives notamment au choix des outils de communication à privilégier, à l’adaptation des modalités de suivi des activités, à l’évaluation de la charge de travail… seront mises en place.
5 / Une présomption d’imputabilité d’accident du travail
Le Code du travail prévoit désormais clairement qu’un accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail, pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur, est présumé être un accident du travail. Dans ce cas, les modalités de déclaration de l’accident sont identiques à celles applicables à l’accident intervenu dans les locaux de l’entreprise. L’accident sera pris en charge dans les mêmes conditions que s’il avait lieu dans les locaux de l’employeur.
1. Art L.1222-9 à L.1222-11 du Code du travail.
2. Cet accord intitulé « Accord national interprofessionnel pour une mise en œuvre réussie du télétravail » est reproduit intégralement en annexe de l’aide-mémoire juridique de l’INRS.
3. Les accords signés sont recensés sur Légifrance.
4. Art. L. 4121-1 du Code du travail.
5. Art. L. 1222-10-3° du Code du travail.
6. Les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge du travail ainsi que la détermination des plages horaires pendant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail sont des mentions obligatoires de l’accord collectif ou de la charte élaborée par l’employeur pour le télétravail (Ar L1222-9 II 3° et 4° du Code du travail).
L’auteur
Annie Chapouthier, juriste au pôle information juridique de l’INRS. Article paru dans la revue Travail Sécurité, n°831, novembre 2021.
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