
Le flex office serait-il en train de regagner les faveurs des entreprises ? S’il faisait beaucoup parler jusqu’à présent, il ne concernait en réalité que 16 % des entreprises selon une étude récente menée par Deskeo. Parmi les freins qui persistaient à son développement : le blocage psychologique, aussi bien vis-à-vis des salariés que de la direction, ou encore l’inadéquation avec l’activité. Le groupe Saint-Gobain fait partie des 16 % ayant déjà franchi le cap avant la crise sanitaire. Il a profité de son emménagement l’année dernière dans la tour de la Défense pour tester cette nouvelle organisation spatiale. « Nous avions une volonté de modernité et de faire de la tour un laboratoire de toutes les innovations en matière d’environnement de travail. Le flex office en était une », détaille Dominique Delattre Demetz, directrice de l’environnement de travail de l’industriel français. « Un accord de télétravail était déjà signé avec les partenaires sociaux et le souhait était, déjà avant cette crise, non pas de généraliser mais en tout cas de proposer à nos collaborateurs d’y recourir », témoigne la DET. Avec la montée du télétravail, de nombreuses entreprises se posent elles aussi la question de l’utilité et de l’usage des bureaux. Une réflexion qui les pousse à revoir leurs copies en matière d’environnement de travail… Aussi, 55 % envisageraient désormais d’abandonner le traditionnel bureau attitré au profit de postes de travail partagés. Un chiffre difficilement imaginable il y a encore un an… La crise sanitaire aurait-elle finalement fait sauter les derniers verrous au déploiement du flex office ?
Objectif optimisation
« La vraie révolution, c’est le télétravail », répond Benoît Meyronin, directeur conseil et stratégie chez Korus et professeur à l’école Grenoble management. En moins d’un an, nous sommes passés de peu de télétravail à sa généralisation sur le territoire national. « Ainsi, nombre de DRH confirment que, lors des entretiens d’embauche, la question relative à l’accord de télétravail est devenue une norme », complète Benoit Meyronin. Les directions de l’environnement de travail se retrouvent alors face à la nécessité de redimensionner et repenser les espaces. Avec un objectif en tête : faire des économies sur les surfaces, désormais inoccupées une grande partie du temps. « Il va y avoir une pression encore plus forte sur les entreprises pour faire des économies sur les coûts immobiliers. On peut donc s’attendre à ce que le déploiement du flex office s’accélère », note Félix Traoré, chargé de recherches en sciences sociales.
Du côté de Saint-Gobain, le taux d’occupation des postes de travail se situait à 60 % environ la journée. En ajoutant à présent deux jours de télétravail par semaine, « on va descendre en dessous de la barre de 50 % de taux d’occupation, suppose la DET du groupe. Il semble assez logique que l’entreprise ait envie d’optimiser l’occupation de ses espaces et donc l’optimisation de son budget. » Dans ce contexte, le flex office apparaît comme une réponse, un moyen, car le poste de travail n’est plus attribué à un collaborateur mais à deux ou trois en fonction du taux de flex office adopté. « On pouvait constater, avant la crise, des taux d’occupation de l’ordre de 50 % chez certains grands comptes car la population y était déjà nomade. Ajoutez à cela un accord de télétravail de deux jours par semaine, vous arrivez finalement assez aisément à des taux de flex office de 0,70 voire 0,60, ce qui a aussi du sens du point de vue de l’écoresponsabilité », témoigne Benoît Meyronin.
© Olivier Moritz
Pas à n’importe quel taux
Un taux de flex office qui dépend toutefois de la culture de l’entreprise et de la pratique du télétravail. « Le taux de partage peut varier de 0,70 à 0,80 voire 0,90 en fonction des entreprises. Dès lors que celle-ci n’a jamais travaillé sur la notion de partage de bureaux, c’est assez rare de trouver un démarrage en dessous d’un taux à 0,80 car il y a en parallèle un accompagnement des collaborateurs à effectuer », détaille Dominique Delattre Demetz. En effet, « le flex office n’est pas spontanément accepté par tout le monde. Il n’est pas mauvais en soi, mais il est important de le mettre en place en tenant compte des attentes et des besoins des collaborateurs », prévient Félix Traoré. Bousculés dans leurs habitudes, dépossédés de leur territoire, les actifs en flex office sont plus insatisfaits de leurs conditions de travail que leurs collègues en espace ouvert traditionnel (22 % contre 13 % selon le baromètre Actineo de 2019). Pour se dérouler dans de bonnes conditions, le passage aux bureaux non attribués doit donc respecter un certain nombre de règles. «D’abord, je pense qu’il est important d’être transparent sur les enjeux économiques, de densification. Les salariés sont enclins à les comprendre quand on les pose sur la table clairement au lieu de seulement mettre en avant de nouvelles manières de travailler. Personne n’est dupe ! », souligne Félix Traoré. Quant à la mise en œuvre, « le niveau de densité des espaces va réellement déterminer les conséquences que cela va avoir pour les collaborateurs. Beaucoup de choses se jouent après le projet d’aménagement. Souvent, les espaces sont d’abord mutualisés de manière « prudente » au début et on observe assez peu de contraintes d’accès aux espaces pour les salariés, indique le chargé de recherches en sciences sociales. Mais cela se densifie par la suite avec de nouvelles arrivées, et alors les gens se plaignent du bruit, du manque de places disponibles, etc. Il arrive par exemple que les collaborateurs soient contraints de s’installer loin de leurs coéquipiers. Certains collectifs sont dispersés contre leur volonté. »
© Hampus Berndtson
« Faire équipe ensemble »
En parallèle du flex office, c’est finalement tout l’aménagement des bureaux qui est en train d’être repensé pour coller aux nouvelles attentes post-Covid et faire ainsi (re)venir les collaborateurs sur le lieu de travail. « Ce qui ressort de ces mois de confinement, c’est le besoin de lien social, de rencontres, de co-construction… Le salarié ne viendra plus au bureau pour être en visioconférence toute la journée ou gérer 300 mails. Il viendra chercher la rencontre, retrouver son affect à l’entreprise, à l’équipe », détaille Dominique Delattre Demetz. Une prédiction partagée par Benoit Meyronin pour qui « la volonté des entreprises et des collaborateurs sera d’avoir plus d’espace pour les temps collectifs, pour « faire équipe » ensemble ». Résultat, les cloisons tombent, les espaces s’ouvrent, se connectent, deviennent modulables et sont pensés pour favoriser la collaboration, l’échange, la convivialité. « On reprend les espaces existants dans l’entreprise mais on modifie les ratios d’affectation de ces espaces en fonction des typologies d’activités », détaille la DET de Saint-Gobain. « La contrepartie du flex office, c’est finalement plus d’espace pour des services aux occupants et notamment des espaces végétalisés, des aires de pause, etc. », avance pour sa part Benoît Meyronin.
© DR
Espaces collectifs VS espaces individuels
Un rééquilibrage des espaces au profit du collectif, de la convivialité, donc. De là à imaginer demain des bureaux sans postes de travail ou presque, il n’y a qu’un (grand) pas que certains sembleraient prêts à franchir… « Il y a selon moi assez peu de chances à l’avenir pour que les collaborateurs viennent au bureau et s’assoient à un bench pour travailler sur leur ordinateur toute la journée », avance Dominique Delattre Demetz. Nous croyons fermement au fait que l’espace de travail doit s’adapter aux nouvelles façons de travailler de l’après-crise. Cela passe par une modification du nombre de postes de travail individuels au profit du nombre de postes de travail collaboratifs ou d’échanges informels, conviviaux. Cela veut dire que de 20 à 30 % d’espaces collaboratifs dans l’entreprise aujourd’hui, nous allons passer à 50 %, voire un peu plus ». Même son de cloche chez Blablacar qui prévoit, pour son nouveau siège social, moins de benchs et de places assises que prévus initialement, mais plus d’espaces collaboratifs au sein des open spaces (voir aussi notre panorama page 58). Ou encore le cabinet Studios Architecture, qui a récemment ôté 30 % de postes de travail pour laisser la place à plus d’espaces collectifs et collaboratifs… Là encore, tout est question de taux... Jusqu’où aller ? « Ma conviction personnelle est que ce ratio va même continuer à évoluer. C’est peut être futuriste mais j’imagine demain de gigantesques espaces de coworking, sans bench, sans poste de travail mais avec de grandes tables où l’on vient pour rencontrer ses collègues, traiter un sujet à plusieurs », confesse la DET de Saint-Gobain. Une vision à long terme qui pourrait ne pas plaire à tous d’autant que le poste de travail aurait tout de même son utilité. « J’ai pu constater lors de mes recherches que le premier espace du travail individuel comme du travail collectif, c’est le poste de travail, de manière assez surprenante, témoigne Félix Traoré. Car le travail collectif se joue pour beaucoup autour des benchs, avec du co-travail en direct, des informations que l’on se repasse au fil de l’eau… Je ne crois donc pas qu’on puisse opposer poste de travail et travail collectif. Même dans les nouveaux aménagements, on voit bien que le poste de travail n’a pas perdu de sa centralité », nuance-t-il. Sans oublier qu’une partie d’actifs aura toujours besoin de ce type d’aménagements, que ce soit les salariés sédentaires ou bien ceux qui ne disposent tout simplement pas du confort nécessaire en télétravail. Réussir à concilier densification, collaboration et concentration, c’est bien là l’enjeu des futurs projets d’aménagement, qui devraient, sans nul doute, voir le flex office progresser.
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