Montée du télétravail, instauration du travail hybride… Les taux d’occupation des bureaux, déjà à la peine dans certaines entreprises avant Covid, remettent sur le devant de la scène la pertinence du flex office. Mais par où commencer ? Quels sont les points de vigilance à connaitre avant de se lancer ? Retour aux fondamentaux avec le point de vue croisé de trois aménageurs.

Le flex office, bien que déjà en vogue avant la crise sanitaire, connaît un véritable regain d’intérêt depuis le retour des salariés au bureau. Avec des collaborateurs désormais sur place en moyenne 2 à 3 jours par semaine, les entreprises s’interrogent sur leur empreinte immobilière. Pour des raisons de coût et/ou de réorganisation en mode plus agile, nombreuses sont celles à se poser la question du flex office. Selon la dernière étude de Parella, les salariés, eux aussi, seraient demandeurs de transformation : « 87 % des collaborateurs estiment que le télétravail nécessite de repenser les aménagements des espaces de travail pour mieux répondre à leurs organisations et méthodes de travail actuelles. Pourquoi ? Car 70 % des collaborateurs du secteur tertiaire sont en télétravail en moyenne 2 jours par semaine. Ils ne viennent plus au bureau pour les mêmes raisons ». La normalisation du travail hybride a ainsi mouvementé la semaine type des collaborateurs. Davantage centrée sur les usages et la nature des activités (concentration, collaboration, innovation …), elle incite les directions à repenser leurs espaces, leurs organisations et les modes de management, tout en garantissant confort et convivialité. Une équation que de nombreuses entreprises tentent de résoudre en passant au flex office. Mais comment organiser et faire vivre le flex ? Quelles typologies d’espaces privilégier ? On a interrogé plusieurs aménageurs afin de récolter leurs conseils pour concevoir un space planning en flex office. 

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Trouver le bon ratio

À commencer par une question qui cristallise encore souvent toutes les attentions : quel taux de flex adopter ? Aux prémices du flex office, les entreprises optaient généralement pour un ratio autour de 0,8 (soit 8 postes pour 10 salariés). « La vie naturelle de l’entreprise permet d’absorber un taux à 0,8 poste par collaborateur rien qu’avec les formations, les congés, etc. », commente Doriane Bettinger, directrice du pôle People & Transformation chez Parella. Mais plusieurs audits sur les taux d’occupation réalisés avant Covid avaient déjà pointé du doigt le fait que les bureaux en France étaient occupés en moyenne à 55 %, avec des pics à 75 %.


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© Nodal Antoine Huot / Vinci immobilier

De quoi convaincre certaines entreprises de passer à des taux de flex plus bas. « Aujourd’hui, 80 % de nos projets de passage en flex office se font à un taux de 0,6, indique Lauren Grolet, designer manager chez Parella. Mais pour les populations les plus nomades, qui vont passer plus de temps hors des murs que dans l’entreprise, on peut envisager un taux à 0,4. Nous venons par exemple de terminer un projet qui a démarré en octobre 2020. Après avoir signé une charte de télétravail entre 2 et 3 jours par semaine, notre client a décidé de passer en flex office avec un taux à 0,6. Deux ans plus tard, avec plus de recul sur la situation, les dirigeants se disent qu’ils auraient pu descendre à 0,4 car l’organisation et les modes de travail en place auraient permis de l’absorber. Il faut garder en tête que le taux de flex idéal n’existe pas ! Il doit prendre en compte plusieurs paramètres : le télétravail, la présence au bureau, le degré de collaboration, les profils métiers ».Afin de déterminer le bon taux, « il faut que l’entreprise se connaisse elle-même et connaisse ses collaborateurs, qu’elle dresse un bilan de ses forces et faiblesses et surtout, qu’elle se pose la question de la motivation à un passage au flex office. Est-ce pour une réduction de surface ? Un besoin d’attractivité ? D’agilité ? Ou bien pour recréer une dynamique collective ? S’adapter au travail hybride ?… », liste de son côté Elise Morel, directrice du pôle Conseil de Majorelle. Pour répondre à ces questions et s’assurer de connaître les rouages et usages de l’entreprise, Philippe David, président de Form’a, préconise quant à lui d’aller chercher l’information la plus fine possible auprès des utilisateurs et des managers. « On ne peut pas généraliser, il y a des effets de bord liés aux différentes générations, métiers, ou outils. Il faut pouvoir mesurer et adapter ».

Mettre tout le monde sur le même pied d’égalité

Qui dit flex office dit plus de poste attribué pour les collaborateurs… et les directions ? « C’est au choix de l’entreprise et précisé dans le brief de départ. Mais il est certain que lorsque la direction passe en flex office, cela montre l’exemple et permet au reste de l’entreprise d’accepter plus facilement cette transformation », note Doriane Bettinger de Parella. Pour Philippe David, de Form’a, les bureaux fermés démontrent aujourd’hui un manque de modernité dans les entreprises. « Si les directions souhaitent conserver des bureaux fermés pour des raisons statutaires, le risque est de créer de la distanciation entre les salariés et de l’incohérence dans le discours. S’il s’agit de besoins de concentration ou de confidentialité, des espaces dédiés le permettront. Cette transformation est d’ailleurs largement entamée dans les grandes organisations qui mutualisent ces espaces ou sont en train d’opérer cette mutation », précise-t-il.

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© Form'a

En plus des postes de travail, les directions et managers doivent en effet pouvoir retrouver des espaces en parallèle pour s’isoler, se concentrer, recevoir, organiser des réunions… « La richesse du menu d’espaces permet de trouver une argumentation concrète et positive pour faire évoluer l’état d’esprit et le comportement, abonde Françoise Bronner, workplace consultante chez Majorelle. Les managers se rendent compte qu’ils peuvent ainsi passer d’un bureau de 14 m² à la jouissance de 1 200 m² d’espaces diversifiés ! »

Conserver des territoires

Pour autant, si l’ensemble des salariés passent en flex office, il est bienvenu de conserver un certain nombre de repères, à l’image des territoires d’équipe que l’on retrouve dans la grande majorité des projets en flex office. « C’est fondamental, que ce soit pour des raisons fonctionnelles, logistiques, sociales, d’appartenance…, appuie Stéphanie Ducher, directrice du pôle Aménagement à la direction immobilier et services généraux d’Egis, qui a travaillé à l’élaboration d’un projet pilote de flex office sur le site de Montreuil. L’humain est un être à l’instinct grégaire, qui a besoin de se retrouver en groupe, en meute, dans un territoire qui lui appartient. C’est extrêmement rassurant de savoir que l’on a un espace dédié, même s’il n’est pas individualisé », poursuit-elle.

Le territoire sera en effet le seul point d’ancrage du collaborateur, au-delà de son casier personnel. Par ailleurs, cela permet de personnaliser a minima les espaces. « On peut faire du management visuel à l’aide d’affichages dans les zones d’équipe, ou de mobilier différenciant, etc. La personnalisation se fait alors au sein même du territoire d’équipe », souligne Lauren Grolet de Parella.Selon Philippe David, certaines directions seraient toutefois tentées de favoriser le brassage, de faire se croiser les collaborateurs, surtout après des mois de confinement et de travail à distance. Mais il met en garde : « cela risque d’engendrer beaucoup de changements en même temps. Il faut procéder par étapes et regarder d’où l’on vient. Si l’entreprise est déjà habituée à un certain nomadisme, cela peut être une bonne opportunité de créer ce brassage. À l’inverse, si c’est une première, on va plutôt conseiller de conserver les territoires d’équipe qui procurent un sentiment de sécurité. ». L’entreprise Swiss Life a par exemple établi le principe suivant sur son futur site de Puteaux-La Défense : chaque équipe est rattachée à un étage, avec un vestiaire dédié équipé de casiers nominatifs. 

Organiser la multitude d’espaces

Avec l’instauration du flex office, le nombre de postes de travail diminue logiquement. « Aujourd’hui, nous sommes à environ 30 % d’espaces personnels pour 70 % d’espaces collaboratifs. C’était l’inverse il y a seulement quelques années, cela représente une bascule énorme ! », avance Philippe David de Form’a. Et plus le taux de flex sera bas, plus il faudra multiplier les espaces collaboratifs et de convivialité et de services selon Majorelle. Les espaces collaboratifs peuvent être de différente nature : salle de réunion formelle et informelle, espace brainstorming, huddle room, espace de coworking… 

Chez Egis, les espaces ont été prédéfinis en amont avec les collaborateurs. « La programmation des espaces est indispensable dans la réussite du projet. Il faut définir et penser le nombre d’espaces, la variété de ces espaces , le nombre de positions proposées… Sur le site de Montreuil, nous avons par exemple 292 postes de travail dont 26 studios d’équipe, qui peuvent à la fois servir de positions individuelles ou être utilisées en espace d’équipe jusqu’à 4 personnes. Le projet a été conçu selon le principe d’alvéoles qui s’agrègent, dont la forme s’adapte à chaque territoire d’équipe, et composées des différentes typologies d’espaces nécessaires à l’environnement de travail : salle de réunion, bulle de communication, salle modulable, postes de travail…».

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© Parella - Exemple de Space planning avant flex
Exemple de Space planning avant flex

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© Parella - Exemple de Space planning après flex
Exemple de Space planning après flex

Pour Parella, la priorité est en effet de diversifier les positions de travail. « Avant même de travailler sur les plans, nous allons définir un catalogue d’espaces et voir quelles positions de travail il est possible d’offrir, avec un minimum d’une position pour un collaborateur, avant de venir les positionner sur les plans. C’est assez nouveau. Avant il y avait peut-être 3 ou 4 catégories (bulle, salle de réunion, canapé…). Aujourd’hui, la diversité des typologies est beaucoup plus large », indique Doriane Bettinger. Les différentes typologies doivent évidemment correspondre aux différents besoins métiers. « Un département va par exemple avoir besoin de cabines téléphoniques quand un autre va avoir besoin de larges murs pour afficher, écrire, etc. L’idéal est de réaliser des enquêtes et ateliers pour viser au plus juste en fonction des usages, d’étudier les personae et les parcours utilisateurs. ». Il ne s’agit en aucun cas de multiplier les espaces. Le tout est de bien définir les usages et de les spécifier pour chaque espace. Car, selon plusieurs responsables de l’environnement de travail, plus les espaces seront dédiés à des usages précis, plus ils seront utilisés. 

Anticiper les pics de fréquentation

Diversifier les positions de travail se révèle particulièrement intéressant lors des fameux jours de pics de fréquentation. « Pour aller plus loin, il faut essayer de comprendre d’où viennent les jours de pic (évènement particulier, réunion générale, vie d’un projet…) et dimensionner correctement les salles de réunion ou espaces projet par exemple. Et en tendant à un ratio de 1 pour 1, on garantit au minimum une position assise pour les collaborateurs dans le bâtiment », ajoute Lauren Grolet de Parella qui conseille de ne pas être ainsi trop drastique sur la libération de surface ou les économies de mètres carrés car « le flex ne fonctionnera que si l’on offre les positions de travail annexes qui permettent notamment d’absorber les pics ». « Il est impossible de dire « Repartez chez vous » aux salariés après une heure de transport. Les lieux de travail ne peuvent être des lieux qui refusent la collaboration », enchérit Philippe David. Selon lui, il faut penser le space planning de telle manière à anticiper le pire scénario et trouver des solutions palliatives. « Les espaces de restauration, les cafétérias, les espaces d’accueil sont autant de lieux qui peuvent accueillir les salariés à condition d’être équipés avec des prises, un bon wifi et des aménagements confortables et ergonomiques », ajoute-t-il. 

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Accompagner la transformation

Enfin, tous rappellent que si les plans sont importants, la conduite du changement l’est tout autant. Parmi les principaux écueils des responsables de l’environnement de travail ayant mis en place le flex office : le manque de formation et d’accompagnement des managers. Pour Elise Morel de Majorelle, « le manager ne peut porter seul le poids de la transformation d’entreprise. Il doit certes devenir un ambassadeur du projet, mais il faut pour cela le former, partager la vision du Comex et expliciter les objectifs ». Les experts de Parella recommandent également de prévoir des temps d’écoute dédiés pour les managers. « Au même titre que l’on peut créer des réseaux d’ambassadeurs, on va créer des réseaux dédiés aux managers. Il s’agit de leur expliquer comment le projet va se dérouler et de leur permettre de poser toutes leurs questions, d’exprimer leurs inquiétudes, entre pairs. Il faut ensuite déterminer avec eux la semaine type et voir quels sont leurs besoins individuels et collectifs et à quel moment de la journée. L’objectif est qu’ils se projettent et incarnent la nouvelle organisation. In fine, l’enjeu est qu’ils puissent s’affirmer comme porteurs du projet et non pas qu’ils le subissent », commente Doriane Bettinger.Au-delà de l’espace, Françoise Bronner insiste quant à elle sur une formation et réflexion sur le travail hybride. « Quand un salarié fait 3 jours de télétravail par semaine, il est plus en dehors de l’entreprise que dedans. Comment faire alors dans ce cas-là pour retravailler ensemble et être créatifs ? Certains modes de travail sont notamment basés sur l’intelligence collective. Comment stimuler cette intelligence collective ?... ». Autant de questions à se poser, collectivement, pour s’assurer d’un passage en flex office réussi.

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