
Début juin, bon nombre de salariés retrouvent le chemin du bureau. Bien qu’allégé, le télétravail reste alors toutefois recommandé en parallèle du déconfinement, qui s’organise par étape. Deux jours de présence sur site, puis progressivement, trois voire quatre… Pour, enfin, retrouver un rythme plus « normal » en septembre, selon de nombreuses entreprises. Mais alors à la rentrée, fini le télétravail ? Pas vraiment… « Il sera difficile pour un employeur de revenir en arrière compte tenu de la popularité du dispositif chez les collaborateurs qui peuvent télétravailler », commente Thomas Godey, avocat en droit social au sein du cabinet BRL Avocats. Parmis les avantages souvent cités : gain d’autonomie, souplesse des horaires, flexibilité de l’organisation…
« Le télétravail va être un critère de choix pour les collaborateurs quand ils vont sélectionner un employeur. On note une attention toute particulière des entreprises pour savoir comment se positionner vis-à-vis de ce sujet », Franck Monsauret, Uber for Business.
Il n’y a qu’à regarder les nombreuses enquêtes réalisées sur le sujet depuis le début de la crise pour se rendre compte de l’engouement côté salariés. Les directions l’ont bien compris et envisagent de faire du télétravail un argument de leur marque employeur et un facteur d’attractivité et de fidélisation des salariés. « Je pense que cela va être un critère de choix pour les collaborateurs quand ils vont sélectionner un employeur. On note une attention toute particulière des entreprises en ce moment pour savoir comment se positionner vis-à-vis de ce sujet », ajoute Franck Monsauret, responsable France d’Uber for Business. Bien que contraint, le télétravail de ces derniers mois a fini par convaincre les entreprises les plus réticentes.

Poser le cadre juridique
La crise sanitaire aura en effet sans conteste accéléré les discussions sur l’éventuelle mise en place du télétravail et apporté des retours d’expérience à grande échelle. Les entreprises en font un sujet prioritaire pour 2021 et s’attèlent à signer des accords pour encadrer la pratique. « La France est désormais mature sur ce sujet. Les entreprises ont en grande majorité mis en place des accords ou des chartes sur le télétravail en raison du Covid. Elles doivent maintenant continuer à les appliquer, quitte à les adapter », confirme Thomas Godey. C’est notamment le cas pour Malakoff-Humanis. Le groupe de protection sociale a révisé son accord télétravail de 2019 par voie d’avenant « en tirant les conséquences et conclusions de ce que nous venons de vivre », commente Olivier Ruthardt, directeur général adjoint en charge des ressources humaines et de l’environnement de travail. Le télétravail conventionnel montait jusqu’à 40 % des salariés. Aujourd’hui avec le télétravail exceptionnel, ce chiffre grimpe à 95 %. Le groupe a instauré le télétravail dit régulier, jusqu’à deux jours par semaine. « Dans ce cas de figure, le salarié signe un avenant à son contrat », précise le DRH. Malakoff-Humanis a par ailleurs listé quatre autres typologies de télétravail, plus spécifiques, qui viennent compléter ce dispositif. « L’occasionnel, qui peut se déclencher indépendamment des 2 jours de télétravail régulier, lorsqu’il y a une problématique de transports subie par exemple. Ce dispositif, plus souple, s’effectuera sous la forme d’un forfait ». Le télétravail dit du « Care », pour accompagner un retour d’activité, pour les salariés aidants, les personnes vulnérables, etc. Enfin, le télétravail pour les itinérants tels que les commerciaux, sans oublier le télétravail exceptionnel, en cas de pandémie notamment. À l’image de Malakoff-Humanis, on voit se dessiner a minima une ou deux typologies de télétravail dans les entreprises (le plus souvent régulier et occasionnel). Dans tous les cas, Thomas Godey conseille « un cadre écrit pour éviter les abus ». Il rappelle au passage que les accords ou les chartes doivent contenir des éléments bien précis : conditions de passage en télétravail, modalités d’acceptation, modalités de contrôle du temps de travail ou de la charge de travail, plages horaires de disponibilité, modalités spécifiques pour les travailleurs handicapés… « Mis à part ces conditions, le droit français n’impose que très peu de contraintes en matière de télétravail, préférant laisser de la souplesse aux entreprises », poursuit-il.

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2 ou 3 jours par semaine : les entreprises en quête du bon équilibre
Côté rythme, les entreprises cherchent encore la bonne formule. Après le travail à la maison 5 jours sur 5 pendant plusieurs mois, il est désormais question d’organiser le travail hybride, partagé entre présence sur site et télétravail. « Le nombre de jours varie d’une entreprise à l’autre. La façon de les positionner aussi, avec plus ou moins de souplesse selon les secteurs », remarque Thomas Godey. Pour le groupe Orange, qui a signé son premier accord télétravail dès 2009, on ne réfléchit pas en jours de télétravail mais plutôt en jours de présence sur site. « Nous avons acté comme principe deux jours de présence minimum par semaine sur le site principal. Les salariés peuvent donc potentiellement télétravailler d’une demie-journée à trois jours », commente Martine Bordonné, directrice télétravail et nomadisme chez Orange.
Si le volume n’a pas évolué depuis 2009, le mode de répartition a en revanche été réévalué. « À l’époque nous avions défini des jours précis toutes les semaines mais nous nous sommes rendu compte que cela ne convenait pas à tous les métiers. On a alors révisé l’accord afin d’ouvrir la formule au mois et ainsi disposer de plus de flexibilité », précise-t-elle. De leur côté, les salariés aspirent en majorité à deux voire trois jours de télétravail par semaine au-delà du Covid, selon le dernier baromètre Actineo. Or, d’après la dernière étude de l’ANDRH, les directions des ressources humaines, qui privilégiaient pour l’heure la formule « 2 jours de télétravail par semaine », envisageraient quant à elles majoritairement un retour « 100 % présentiel » à partir de septembre. Seulement 19 % des DRH interrogés projettent une organisation intégrant 2 jours de télétravail par semaine et 6 % trois jours de télétravail. Un dialogue devrait alors s’ouvrir en entreprise afin de trouver le juste équilibre entre présentiel et distanciel, entre intérêt collectif et intérêt individuel.
« Les accords qui méritent d’être signalés sont ceux qui font l’effort de rendre le télétravail ouvert au plus grand nombre. Sans quoi, à terme, l’entreprise court le risque de créer une fracture entre les salariés nomades et les sédentaires » Thomas Godey, BRL Avocats.
Télétravail pour tous ?
Autre sujet de débat dans les négociations, la question de l’éligibilité. « Là-dessus, le code du travail ne s’est pas aventuré à faire une liste des postes éligibles et non éligibles. À chaque entreprise de se poser la question », annonce d’emblée l’avocat Thomas Godey. Pour Malakoff-Humanis, le sujet a déjà été tranché. « 95 % des postes sont devenus télétravaillables. Les 5 % restants concernent les activités liées à la maintenance, à la sécurité, au courrier… Des métiers très opérationnels », explique Olivier Ruthardt. Peu de restrictions également chez Orange. « Plusieurs critères rentrent en compte pour définir l’éligibilité des postes. Parmi ces derniers, on va regarder notamment l’autonomie. Nous avons une grille d’analyse qui permet au salarié de se poser les bonnes questions afin d’évaluer le degré d’autonomie dans l’activité. Mais il faut aussi regarder l’autonomie dans l’organisation à domicile. C’est un procédé délicat car cela est très lié à la personne. Pour autant on touche là à un sujet majeur », souligne Martine Bordonné. Le groupe est passé de 35 000 salariés en télétravail en 2019 à plus de 60 000 en 2020 pour faire face à la crise sanitaire. « Il y a des métiers que l’on n’estimait pas télétravaillables avant Covid. On s’est finalement rendu compte que c’était possible ! Bien sûr, certains profils restent non éligibles comme les vendeurs en boutique par exemple », témoigne la directrice télétravail et nomadisme.
« Il y a des métiers que l’on n’estimait pas télétravaillables avant Covid. On s’est finalement rendu compte que c’était possible ! » Martine Bordonné, Orange.
Pour Thomas Godey, « les accords qui méritent d’être signalés sont ceux qui font l’effort de rendre le télétravail ouvert au plus grand nombre. Sans quoi, à terme, l’entreprise court le risque de créer une fracture entre les salariés nomades et les sédentaires, les « intellectuels » et les « manuels » », prévient-il. Il rappelle par ailleurs qu’il est également possible, parmi les éligibles, de créer plusieurs statuts et d’accorder « plus ou moins de jours de télétravail et encadrer la date à laquelle ils peuvent être utilisés ».
Anticiper une possible réversibilité
Rendre le télétravail accessible au plus grand nombre, sans pour autant contraindre. « C’est bien le principe », enchérit Thomas Godey. « Le télétravail contraint n’est possible qu’en cas de force majeure comme mentionné dans le droit du travail », rappelle l’avocat. Dans le cadre du télétravail régulier et/ou occasionnel, il se base sur la notion de volontariat, voire même, de double volontariat entre l’employeur et le salarié selon les termes de l’ANI 2020. Mais que faire si un salarié souhaite revenir en arrière car cette organisation du travail ne lui convient finalement pas ? « La réversibilité n’est pas, techniquement, bien encadrée dans le code du travail. Le principe y est mais les contours sont flous. Si au moment de l’embauche, le télétravail fait explicitement partie de l’organisation dans le contrat de travail, le salarié devra alors attendre qu’un poste sans télétravail se libère pour en bénéficier », explique Thomas Godey. Si le télétravail s’effectue sur la base du volontariat, le retour en arrière peut s’effectuer a priori plus facilement. « Il faut peut-être tout de même prévoir dans les accords les conditions du retour en arrière, avec une procédure pour ce genre de situation incluant une notion de délai notamment », pointe l’avocat. « Car c’est certes un droit de retrouver son poste de travail mais ce n’est pas un droit que le salarié peut imposer à l’employeur du jour au lendemain », ajoute-t-il. Chez Orange, Martine Bordonné n’a pas souvenir d’avoir eu affaire à un tel cas. Mais le groupe a tout de même prévu dans son accord une période d’adaptation de trois mois permettant de se former et de vérifier si le modèle choisi convient à l’employé. « Et dans tous les cas, les avenants ont toujours une durée limitée de 12 ou 24 mois afin de refaire le point à un moment donné », précise Martine Bordonné.

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« Le collectif, sel des relations »
Car, sur la durée, le télétravail peut entrainer des risques psycho-sociaux, un sentiment d’isolement, d’éloignement vis-à-vis de l’entreprise, comme le Covid l’a malheureusement déjà démontré. « La crise a créé une vraie distanciation entre les équipes, une fracture au niveau du collectif. Les salariés ont été privés des discussions informelles. Or l’informel est important dans les entreprises. Qui n’a jamais réglé une situation compliquée lors du déjeuner ou autour de la machine à café ? L’enjeu pour les entreprises est alors de réussir à recréer ce temps informel. On a vu certaines sociétés utiliser notre application pour permettre aux salariés d’organiser des déjeuners, des apéros, des diners…. La demande a même explosé. Plus que jamais, les entreprises ont besoin de recréer le collectif », constate Franck Monsauret d’Uber for Business.
« Nous devons trouver le juste équilibre : permettre aux salariés d’habiter là où ils le souhaitent, là où ils se sentent le plus épanouis, mais en contrepartie, nous devons nous assurer ensemble du maintien du lien collectif avec l’entreprise » Olivier Ruthardt, Malakoff-Humanis.
Pour animer et reconstituer les collectifs de travail, chaque entreprise semble avoir sa méthode. Outre-Atlantique, Apple a par exemple annoncé imposer trois jours fixes de présence au bureau obligatoire à partir de septembre, les lundis, mardis et jeudis. De son côté, Olivier Ruthardt croit à une autre approche. « Le collectif, c’est ce qui fait le sel des relations et de nos solidarités. Nous devons trouver le juste équilibre : permettre aux salariés d’habiter là où ils le souhaitent, là où ils se sentent le plus épanouis, mais en contrepartie, nous devons nous assurer ensemble du maintien du lien collectif avec l’entreprise. En termes de réflexions, cela pourra passer par des points d’étape, avec des hubs de connexion à l’entreprise proches du domicile où le salarié devra aller une ou deux fois dans la semaine pour se reconnecter aux collectifs en présentiel et/ou distanciel », explique le DRH de Malakoff-Humanis. Si les bases du télétravail sont posées, il reste encore un bout de chemin à parcourir pour que les entreprises maitrisent parfaitement le sujet. Nul doute que les organisations apprendront encore des futurs retours d’expérience. Car c’est bel et bien en expérimentant que chaque entreprise pourra constater ce qui marche ou non, et faire du télétravail un véritable atout pour elle comme pour ses salariés.
3 questions à… Xavier Orts, CEO du groupe Aremis
« Les entreprises vont devoir faire du flex appeal »
Avec un plus grand nombre de salariés en télétravail, plus souvent, peut-on s’attendre à une révision des stratégies immobilières de la part des entreprises ?
Nous avons mené une étude auprès de 11 grandes organisations disposant d’implantations en Europe mais aussi aux États-Unis et en Asie. Avant Covid, la norme de travail au sein de ces organisations représentait 1,3 jour en télétravail par semaine en moyenne. Après Covid, on sera à 2,5 jours par semaine. 6 organisations sur 11 ont en effet déjà acté de réduire leurs empreintes immobilières. Mais seulement 50 % ont déjà communiqué sur ce que serait le télétravail après la période post-Covid.
Est-ce que normalisation du télétravail va rimer avec flex office ?
Si vous réduisez les surfaces, il va falloir les partager. Et qui dit partager, dit flex office… Toutefois, les entreprises qui feront ce choix vont devoir s’atteler à faire ce que j’appelle du « flex appeal », car l’objectif reste tout de même de faire revenir les occupants au bureau. Une récente étude montrait que 83 % de salariés considéraient que les conditions de travail à domicile leur permettaient de travailler correctement contre 64 % pour le bureau… On note donc une propension à rester chez soi. L’enjeu va être de créer un environnement de travail efficace mais aussi attrayant, avec une redéfinition des lieux de travail : modes de travail plus agiles, plus d’espaces collaboratifs, mieux outillés…
Comment gérer une fréquentation des bureaux variable en fonction des jours dans la conception des futurs espaces ?
Cela passe par la récolte de données, afin de mieux connaitre les intentions et la fréquentation réelle des employés. Il y a dans un premier temps le volet quantitatif qui permet de mesurer rapidement les taux d’occupation des espaces. Cela peut se faire par exemple via les badges d’accès, qui, après anonymisation, fournissent une information précise. On peut aussi compléter avec des capteurs de différentes natures. Ensuite, il y a un volet qualitatif afin d’appréhender la perception des salariés vis-à-vis de leur environnement de travail. Cela passe notamment par des enquêtes en ligne et permet de cibler les points qui méritent attention et amélioration. Pour configurer et dimensionner les espaces au plus près des besoins réels, une information objective sera précieuse. Les données, issues de préférence de sources préexistantes, doivent être incontestables pour permettre des débats sereins et des ajustements optimaux.
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