
L’idée fait son chemin... Et s’il était possible de réduire le nombre de jours ouvrés à quatre jours par semaine, au lieu des cinq traditionnels ? Plusieurs pays se sont en tout cas déjà lancés dans des expérimentations à grande échelle. Et tous constatent des résultats positifs. Dès 2015, l’Islande, pionnière dans le domaine, a testé la semaine de 4 jours auprès de 2 500 salariés. Quatre ans plus tard, le pays se déclarait satisfait de cette nouvelle organisation du travail, désormais adoptée par 86 % des salariés du tertiaire. En 2021, l’Espagne a elle aussi annoncé une expérience similaire concernant 6 000 collaborateurs. Et en avril dernier, c’est le Royaume-Uni qui lançait son 4 day week global program, suivi de près par le Canada et les Etats-Unis ou encore la Belgique qui propose à ses salariés de choisir leur temps de travail et le nombre de jours travaillés dans la semaine. Si certaines entreprises proposent la semaine de 4 jours comme une option, d’autres l’imposent sur la même base horaire hebdomadaire ou assortie d’une réduction du temps de travail. « La formule la plus souvent appliquée reste un maintien des heures hebdomadaires », confirme Stéphanie Foache senior partners du cabinet de conseil Topics.

En France, le sujet commence à s’imposer dans les discussions : 64 % des salariés français souhaiteraient bénéficier d’une plus grande flexibilité dans l’organisation de leurs horaires de travail, avec la possibilité de les condenser sur une semaine de 4 jours. C’est 4 points de plus qu’en 2019 (60 %) selon l’étude « People at Work 2022 : l’étude Workforce View » d’ADP. Si la première ministre Élisabeth Borne estimait qu’une semaine de 4 jours généralisée dans le pays n’était pas encore envisageable, certaines entreprises ont déjà passé le cap. Et elles pourraient bien être rejoint d’ici peu par d’autres, motivées par les récentes annonces concernant les plans de sobriété énergétique et l’éventuelle fermeture des bureaux le vendredi.
« J’ai pris la décision en 48 heures »
Parmi celles qui se sont lancées, LDLC, entreprise de vente en ligne de matériel informatique basée à Lyon, fait figure de pionnière. En janvier 2021, le PDG et fondateur Laurent de la Clergerie a instauré une semaine de 4 jours et 32 heures pour l’ensemble de ses salariés. « J’ai pris la décision en 48 heures, avant de mettre en place la mesure 6 mois plus tard. Nous étions dans une période où l’entreprise se portait bien financièrement, je n’avais pas peur de me lancer », raconte-t-il. Précision tout de même : les employés de LDLC ne disposent pas nécessairement d’un week-end de 3 jours. Ils ont le droit de prendre le jour supplémentaire de leur choix. Pour les services devant assurer une continuité comme la logistique ou le service client, les salariés travaillent en binôme, ainsi « une semaine sur deux le salarié bénéficie du jour chômé de son choix », explique le PDG. Selon lui, il est aussi possible d’adapter la formule au rythme d’activité de l’entreprise. « On peut réfléchir à une flexibilité sur l’année en fonction des phases de creux et d’intensité cycliques de la production d’entreprise ».
Du côté d’Elmy, fournisseur d’électricité verte, c’est au contraire une période financière compliquée qui a motivé les équipes RH à passer à la semaine de 4 jours avec maintien de salaire, sans impact sur les congés supplémentaires déjà accordés. « Nous avons voulu prendre une mesure forte sur le sujet et permettre de recruter des candidats pour redynamiser notre marque employeur et maintenir un engagement des salariés les plus fidèles qui avaient vécu cette période difficile », explique Camille Darde DRH chez Elmy, qui a décidé de laisser le choix du jour non travaillé libre entre le mercredi et le vendredi pour faciliter l’organisation des échanges et réunions les autres jours. Alors que le pays a connu 500 000 démissions sur une année et que certains secteurs subissent une pénurie de talents, de plus en plus d’entreprises voient là un argument pour attirer et fidéliser. Mais attention, « beaucoup pensent que c’est un levier pour les jeunes générations. En réalité, le début de carrière est un moment charnière où ils doivent apprendre leur habitus de métier, ce qui nécessite d’être en présence régulière avec ses collègues », nuance Sophie Prunier-Poulmaire, maître de conférences en psychologie du travail et ergonomie à l’université de Nanterre.
La fin des temps morts
Au-delà de l’argument de l’attractivité, la semaine de 4 jours serait surtout pour la chercheuse l’occasion de s’intéresser au travail en lui-même. « La semaine de 4 jours ne peut fonctionner que si et seulement si, l’entreprise revoit le contenu même du travail ». Cela passe notamment par une réduction des temps morts. « Les études montrent qu’en moyenne un travailleur du tertiaire perd entre 2 et 3 heures par jour que ce soit à cause des réunions mais aussi des interruptions et distractions ou encore d’une mauvaise utilisation de la technologie », résume Alex Sojuun-Kim Pang, responsable des programmes mondiaux.

Poste chronophage par excellence, les réunions sont souvent trop longues ou trop régulières. « Avant nous programmions par défaut des réunions d’une heure. Aujourd’hui, les équipes ont pris le réflexe de programmer des réunions de 45 minutes en s’apercevant que le dernier quart d’heure était souvent inexploité », explique Camille Darde d’Elmy. Même constat chez Welcome to the Jungle. Dans son livre blanc publié 1 an après l’instauration de la semaine de 4 jours, l’entreprise affirme que « d’un point de vue purement mathématique, le nombre de réunions aurait dû baisser de 20 % mais la remise en cause systématique de leur bien-fondé l’a fait fléchir davantage encore ». Un discours qui n’est pas sans rappeler celui post-confinement. « C’est un phénomène déjà observé dans les entreprises qui étaient passées en 100 % télétravail. Les réunions deviennent des temps d’échange et non d’information, qui peut alors être transmise par d’autres canaux », précise Stéphanie Foache de Topics.
Ce constat amène les entreprises à (ré)organiser le temps de travail différemment. Afin de protéger la productivité des salariés, la plupart des entreprises du 4 day week program anglais ont par exemple aménagé des temps de concentration. « Durant quelques heures, le salarié ne peut être dérangé qu’en cas d’urgence », explique Alex Sojuun-Kim Pang.
24 à 48 heures pour recevoir une réponse
Pour Marc-Eric Bobillier, professeur titulaire de la chaire psychologie du travail au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), il ne s’agit pas seulement de revoir l’organisation du travail mais de « repenser le travail dans les deux sens du terme. À la fois améliorer et corriger l’organisation du travail mais aussi la re-panser, c’est-à-dire soigner les maux qui altéraient le travail et qui faisaient mal aux salariés. » La réduction du stress ressenti par les employés est d’ailleurs le premier bienfait cité par Alex Sojuun-Kim Pang.

Un constat partagé par le fondateur de LDLC. « Depuis la mise en place de la semaine de 4 jours, 1 mail sur 5 reçus mentionne ‘je suis off aujourd’hui’ ». Parfois, les salariés doivent donc attendre entre 24 heures et 48 heures – si leurs jours off se succèdent – pour recevoir une réponse. « Cela nous a appris que, finalement, rien n’est urgent », affirme-t-il. Cette augmentation du bien-être global transparaît aussi chez les salariés d’Elmy qui évoquent une amélioration de la qualité de leur sommeil lors des entretiens menés par Camille Darde, à peine un mois après le début du test. « Ce paramètre est non négligeable car il peut avoir des effets sur le long terme », précise Alex Soojun-Kim Pang. Des effets bénéfiques qui se mesurent déjà chez LDLC avec une réduction de 6 % à 5 % des arrêts de travail malgré l’effet Covid.
Gare aux dérives
Loin d’être la panacée, la semaine de quatre jours peut également avoir des effets pervers. « L’augmentation du bien-être va de pair avec un équilibre vie professionnelle et vie privée. Quand il est protégé, l’expérience est un succès mais dans le cas contraire, cela peut se passer très mal pour les salariés », alerte Marc-Eric Bobillier. « Il faut se méfier du surmenage et s’assurer que le jour off ne se transforme pas en jour de récupération du travail de la semaine. Cela pourrait faire augmenter les risques psychosociaux, d’accidentologie sur le court terme et des maladies professionnelles sur le long terme », s’inquiète de son côté Sophie Prunier-Poulmaire. Un phénomène observé par Welcome to the Jungle qui fait état d’une diminution du temps total de pause quotidien « à l’exception de la pause déjeuner » mais aussi d’une diminution « des temps de ‘respiration’ dans les postes à dominante créative (qui) a affecté la performance de l’entreprise dans sa globalité. » Pour se préserver de ces maux, Laurent de la Clergerie de LDLC a imaginé une semaine de 32 heures. « En maintenant une formule 35 heures, les salariés auraient dû travailler 8 h 40 par jour, peu compatible avec l’organisation des contraintes, notamment familiales. Avec 32 heures, on repasse à une journée de 8 heures », précise-t-il. Des inquiétudes qui ne seraient toutefois pas inhérentes à la semaine de quatre jours selon Stéphanie Foach qui se veut rassurante : « la semaine de quatre jours met en exergue les dysfonctionnements des méthodes de travail initiales, mais ce ne sont pas nécessairement des dysfonctionnements directement liés à la mesure. » S’il est encore tôt pour avoir de réels retours d’expérience en France, la multiplication des expérimentations devrait tout de même permettre d’y voir un peu plus clair et de savoir si une telle mesure peut s’avèrer bénéfique ou non dans le temps pour les entreprises comme pour les employés.

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