picture Crédit photo : © Faites du Bruit
Pour accompagner la sortie de notre numéro spécial Fooding fin septembre, la rédaction a concocté une série de témoignages de chefs tous plus inspirants les uns que les autres. Au menu de ce premier épisode  de « Dans l'assiette du chef » : Florent Ladeyn.

 

 

 

Sa cuisine 100 % locale est sa marque de fabrique. Elle allie son engagement pour l’environnement et sa fidélité envers les producteurs de son terroir. L’ancien finaliste de la saison 4 de Top Chef (2013) Florent Ladeyn est aujourd’hui à la tête de trois restaurants dans le nord de la France. Allant jusqu’à servir 700 couverts par jour, il prouve que marier produits locaux, qualité et plaisir des papilles, c’est possible. Interview.

 

Que pensez-vous de l’ère de l’hyper-choix dans laquelle nous vivons ?

Les conséquences sur la planète de la consommation alimentaire dans le cadre de la mondialisation sont énormes. Il y a une crise de la globalisation au niveau du commerce international. Mais on a aujourd’hui la possibilité de changer les choses. Il y a cinq ans, ce n’était pas imaginable. Je ne me positionne pas dans un discours de décroissance, c’est un mot qui va fait peur, mais je suis persuadé qu’en consommant différemment, on peut avoir un impact positif sur l’environnement au sens large. C’est maintenant ou jamais. Les écosystèmes sont là, la prise de conscience aussi. Il faut garder les habitudes adoptées pendant la période délicate de confinement. Pendant ce laps de temps, nous sommes collectivement sortis d’une certaine forme d’une routine. C’est loin d’être confortable ce que nous avons fait. Mais nous sommes parvenus à nous éloigner du cercle vicieux de la consommation à outrance, de l’importation de produits venus du monde entier et les impacts sur l’homme et la nature ont été incroyables. 

 

Quelle alimentation prônez-vous pour demain ?

Je prône une alimentation basée sur des produits issus d’une alimentation indépendante, vertueuse et voisine. Il n’y a pas d’intérêt à manger des fraises en janvier, excepté le fait que l’on soit pressé. Alors on mange des fraises, certes, mais elles n’ont pas de goût. Pourquoi ne pas attendre que ce soit la saison ? Nous nous faisons avoir par la globalisation, par le marketing, par le commerce. L’humain et la planète ont été oubliés…

Pour les restaurateurs comme moi, qui bénéficie de la permaculture, c’est le Graal. Mais rien que le fait de travailler des produits cultivés à proximité, c’est déjà très bien. On parle actuellement d’une « nouvelle façon de consommer » mais en réalité, on consommait ainsi avant d’importer massivement des tas de denrées et cela marchait très bien. Le 100 % local, ce n’est pas vain, c’est tellement porteur.

La mise en place de ce 100 % local pour mes restaurants a été longue. Elle a pris presque sept ans. Au début, il n’y avait pas assez d’offres et certains produits n’existaient pas en production locale. Par exemple, la fleur de sel que j’utilise (c’est sa denrée la plus « exotique », produite à 100 km, ndlr), était introuvable il y a quelques années et c’était ce qu’il me manquait. Mais un producteur est venu s’installer dans le Nord il y a peu et je travaille désormais avec lui.

 

« Je prône une alimentation basée sur des produits issus d’une alimentation indépendante, vertueuse et voisine »

 

Comment, selon vous, ramener plus de local dans les murs de l’entreprise ?

Je n’ai pas leçon à donner à qui que ce soit, mais des petites choses simples peuvent être mises en place dans les entreprises. Par exemple, pendant le confinement, nous avons tenu une épicerie bénévole solidaire locale. Je pense que nous avons sauvé un maraîcher, du moins nous l’avons empêché d’être dans une situation extrêmement critique. Aujourd’hui, on continue de vendre des légumes par l’intermédiaire de cette épicerie. Elle rencontre un succès moins important que pendant le confinement (jusqu’à 750 paniers écoulés par semaine), mais on vend. Cela nous prend un peu de temps mais ce n’est rien en comparaison du service rendu. Si les entreprises arrivaient à se mettre en contact avec un maraîcher des environs pour qu’il puisse vendre en direct 50 paniers de légumes de manière hebdomadaire dans les espaces de travail, ce sera toujours de l’argent que l’agriculteur gagnera sans intermédiaire. Et finalement, qu’est-ce que ça coûte pour l’entreprise ? Quelques mètres carrés et un peu de temps, tout au plus. Cela rendrait non seulement service aux producteurs mais aussi aux employés, qui auraient accès facilement à des bons produits locaux.

 

Que pensez-vous de l’offre servie dans les restaurants d’entreprise ?

À mes yeux, il y a encore du travail mais ce n’est pas évident. Comme nous, c’est de la collectivité et nous sommes tellement noyés sous les mesures et règles d’hygiène qu’il est plus simple d’acheter de la mayonnaise en boîte plutôt que de faire une mayonnaise maison. Pourquoi ? Parce qu’il y a de l’œuf cru dedans. Peut-être qu’à un moment, on va arrêter de tout aseptiser, de tout « américaniser » et d’avoir peur de manger de la mayonnaise. Mais c’est vrai qu’on touche à la santé des clients et qu’il y a une dimension de sécurité sanitaire dans le métier qui n’est pas négligeable. Seulement, quand c’est cuisiné par un professionnel, il n’y a pas de problème.

 

La pause déjeuner, ça vous inspire quoi ?

Il faut qu’elle soit assez rapide, saine pour terminer la journée dans de bonnes conditions et consistante. Souvent, on est dans un rythme de travail donc il faut qu’elle soit efficace. À l’Auberge du Vermont comme dans les deux restaurants à Lille, on sait s’adapter au timing et le respecter. Le service de midi est le seul où l’on demande aux clients s’ils ont un impératif en termes d’horaire. Dans tous les cas, que ce soit dans un cadre professionnel ou non, notre objectif est de leur faire plaisir. C’est une notion essentielle.

 

« La pause déjeuner doit être assez rapide, saine pour terminer la journée dans de bonnes conditions et consistante. Souvent, on est dans un rythme de travail donc il faut qu’elle soit efficace »

 

Le midi, pour vous, c’est plutôt sandwich avalé à la va vite, repas healthy et fait maison ou resto entrée/plat/dessert ?

J’adorerais que ce soit la 3e option ! Dans les faits, j’essaye que ce soit healthy et fait maison. C’est d’ailleurs ce que nous faisons dans les restaurants : tous les jours, un membre de l’équipe prépare un repas pour les collègues et on tourne. Quand vraiment c’est tendu, c’est sandwich… Mais toujours avec du pain et une tartinade faits maison !

 

Un plat qui résume toutes vos convictions ?

En ce moment, je cuisine une aubergine que j’épluche, que je fume au foin, que je grille au feu de bois et que je mets à pocher très longtemps dans un bouillon de légumes aux herbes sauvages. Le tout se confie pendant des heures jusqu’à ce que le bouillon soit réduit et que l’on est l’impression d’avoir une aubergine confite au sucre mais en réalité, pas du tout, puisqu’il n’y a pas de sucre, hormis ceux qu’elle contient naturellement. C’est servi laqué, on rajoute des herbes dessus et quelques petits morceaux d’aubergines fermentés. Je ne fais ni un restaurant vegan ou végétarien, mais ce qui est formidable quand on mange une aubergine comme celle-ci, ce qu’on a vraiment l’impression de manger une pièce de viande. Et je ne suis pas anti-viande. On ne peut pas demander à l’agriculture française de se métamorphoser en un claquement de doigts sachant que tout a été bâti sur l’élevage de la viande et la production laitière. Les producteurs croulent sous les dettes alors on ne va pas, en plus de leur demander de changer de manière de travailler, en plus de passer au bio, de ne faire que des légumes.

 

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Crédit photo : © Anne-Claire Heraud