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Les espaces de coworking s'installent à des endroits stratégiques : dans les bassins d'emplois bien sûr, mais aussi, et de plus en plus, à proximité des gares et des aéroports. Ils se développent aussi dans la périphérie de Paris et dans les grandes métropoles. Cela soulève un enjeu majeur : la mobilité. Workplace s'est entretenu avec Bruno Marzloff, sociologue et fondateur de Chronos, un cabinet d'études sociologiques et de conseil spécialiste de cette thématique. Son point de vue des usages éclaire la place du coworking dans notre société et le lien entre travail et mobilité.

De quoi le développement du coworking est-il le nom ?

Les tiers-lieux et la nébuleuse de formes de travail qu’ils hébergent sont aujourd’hui un phénomène sociologique rampant, diffus. Des réflexions conduites par la Datar (Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale) existaient dès les années 80, témoignant d'une nécessaire évolution du travail. Pour moi, c’est un symptôme cacophonique d’une évolution rapide des usages de l’ « habiter » et du « travailler ». Il est le signe d’un enjeu d’accessibilité et de productivité, à la fois pour les entreprises et pour les salariés. La question centrale est celle de la maîtrise du quotidien et d'une inflation structurelle des transports motorisés. Avec toute la schizophrénie que cela induit parce que l'extension spatiale du travail correspond à une extension temporelle. Résultat : le collaborateur ne sait plus très bien quand il est en travail et quand il ne l’est plus. Par ailleurs, l’entreprise peut vite considérer qu’il y a là une possibilité d’étendre le temps du travail.

 

Quels changements ces espaces de travail partagés mettent-ils en lumière ?

Ils révèlent une fracture dans les catégories du travail avec, d’un côté, le travail « présentiel », dans lequel se trouve par exemple l’agriculture ou le soin aux personnes, qui ne peut pas prétendre à cette évolution car il s'inscrit dans un espace donné. L'autre côté regroupe le reste de métiers, qui sont appelés à un travail productiviste et qui sont éligibles à la question de ces nouveaux lieux. Nous sommes dans un phénomène d’adaptation. Le modèle fordiste du travail – métro-boulot-dodo, des horaires collectifs, récurrents, le travail à la chaîne – s'adapte. Une partie des actifs commence à rentrer dans des modalités différentes. Ce n'est pas qu'une question de lieux. Des communautés de travail s’organisent sous d'autres modalités, avec d'autres projets : on exerce dans des espaces de coworking avec des pairs et non pas forcément avec ses collègues. Mais ce ne sont pas simplement les actifs qu’il faut considérer, c’est le système entrepreneurial, qui oppose lui aussi sa propre résistance. La hiérarchie invente d'autres formes de contrôle. Malgré des injonctions législatives, cette mutation prend beaucoup de temps, elle ne se décrète pas. Le nécessaire processus d’appropriation et d’accompagnement est malheureusement rarement là.

 

Comment analysez-vous l'essor du coworking en France ?

Ce mouvement du coworking s’est engagé il y a une dizaine d’années. En France, il a l’appui d’institutions. L’Ile-de-France a été assez dynamique sur ces sujets. La Nouvelle Aquitaine encore plus. C’est un enjeu d’accessibilité en réaction à un écartèlement domicile-travail qui n’a cessé de croître ces 50 dernières années. Selon une récente étude de l’Insee, en 2016, 9 millions d’actifs franchissaient tous les jours la frontière de leurs communes pour aller chercher un emploi. Ce chiffre s'accroît de plus de 100 000 actifs par an. Cette mobilité subie et excessive est mal vécue. Pourtant il faut apporter des réponses à des travailleurs de plus en plus itinérants. Si le coworking s'entend de manière extensive comme une capacité de travailler une partie du temps en dehors du lieu principal du travail, cette norme prendra des formes variées ; une hybridation de travail à domicile, de travail en chemin, des work cafés spontanés. Le coworking dans son acception réductrice des espaces industrialisés n’est qu’un des éléments de l’offre.

 

 

Le coworking permet-il de mieux travailler ? 

Les études font état d'une meilleure qualité du travail et d'une meilleure productivité ; à condition de faire confiance au travailleur, que l’on s’en remette à son autonomie, et qu'on le protège des débordements schizophréniques. Si le collaborateur a l’impression d’être toujours en disponibilité, c'est catastrophique. Pour l’heure, seule une faible part des actifs s’épanouit dans cette forme d’organisation très autonome. Ceux qui doivent migrer du système traditionnel au système moderne ont besoin d’une adaptation.

 

Aboutira-t-il, dans un futur proche, à la décentralisation ?

L’industrialisation du coworking s’opère uniquement dans les espaces urbains denses et dans les espaces de transport (les aéroports, les gares). Il y a une dichotomie très forte entre les acteurs privés qui sont sur ce territoire et les acteurs publics qui se demandent comment empêcher une polarisation métropolitaine et garantir en même temps ce nouveau service public qui n’est pas assumé par les acteurs du privé.