Tout part d’un constat. Le secteur du facility management regroupe une trentaine de métiers et représente environ 1,25 million d’emplois non délocalisables et peu automatisables, pour des activités réalisant environ 185 milliards de chiffre d’affaires annuel. Cependant, il reste peu attractif, du fait de son invisibilité et de conditions de travail et d’emplois défavorables : isolement, horaires fragmentés, astreintes, faibles perspectives d’évolution et de reconnaissance… Dans ce secteur dominé par la sous-traitance et des mécaniques d’achat organisant une concurrence féroce, les oeuvrants sont, année après année, un peu plus maltraités par les pressions à la réduction des coûts à chaque renégociation de contrat. La mobilisation du travail et au travail de ces oeuvrants apparaît donc comme un enjeu central pour le développement de ce secteur.
Enjeu qui était au cœur des discussions du dernier colloque du CRDIA, organisé le 15 janvier dernier à l’Université Paris Dauphine. Un événement qui a permis d’organiser la rencontre des professionnels du secteur, clients et prestataires, avec les connaissances et les approches récentes des sciences sociales sur ces thématiques. Toutes les disciplines des sciences du travail étaient convoquées (droit, ergonomie, sociologie, économie et gestion) afin de partager des diagnostics, des retours d’expériences et nourrir des recherches et des expérimentations. Les participants ont tout d’abord pu entendre une intervention juridique sur le droit social et la mobilisation du travail dans les services, présenté par Jean-Yves Kerbourc’h, professeur de Droit à l’Université de Nantes. Elle était suivie d’une comparaison européenne proposée par Christophe Teissier, responsable de projets au sein de l’Association Travail, Emploi, Europe, Société (ASTREES).
Le turn-over, un frein au développement
Deux ateliers ont ensuite été organisés autour de la mobilisation du travail. D’un côté, un débat ayant pour thème « Mobilisation du travail itinérant et partagé, des outils actuels aux plateformes ? » animé par Sophia Galiere, doctorante en sciences de gestion à l’Université de Nantes et Nicolas Klein, post-doctorant en sociologie à l’université Paris-Est Marne la Vallée. De l’autre, le témoignage de Corinne Colson Lafon, présidente du groupe Steam’O, qui est notamment revenu sur les difficultés de recrutement et de fidélisation de collaborateurs dont les trois-quarts sont des non-cadres. « En 2018, sur 100 personnes embauchées, 80 ont quitté l’entreprise dont une majorité de non-cadres. Le turn-over représente une vraie difficulté pour le développement de l’activité. Il nous a fallu accepter que le CDI n'est plus forcément le Graal notamment pour les jeunes actifs. Cela suppose d’adapter nos offres et nos parcours d’emploi à des réalités et des attentes très différentes : des personnes à la recherche de mobilité, jouant ouvertement la carte du CCD jusqu’aux métiers en pénurie comme les techniciens qui sont clairement en position de force face aux employeurs », explique la dirigeante.
Mobilser dans un contexte de désengagement
À l’instar des tous les secteurs d’activité, le monde du FM est confronté aux transformations du travailleur lui-même. « On constate aujourd’hui un désengagement des travailleurs vis-à-vis du travail professionnel. L'entreprise n’apparaît plus, notamment pour les jeunes générations, comme un lieu de vie majeur ni même comme un lieu de travail. C’est une relation au travail qui devient beaucoup moins dépendante de celui qui le donne, explique Pierre Yves Gomez est professeur de management à l’EM Lyon Business School. Nous devrons tous gérer demain une population de travailleurs qui risque d’être aussi fluide que l'économie que nous sommes en train de construire ». Les nouveaux rapports au travail ne sont toutefois pas les seuls en cause. Les conditions socio-économiques propres au FM sont également loin de faciliter la fidélisation des collaborateurs. « Les entreprises du secteur sont souvent perçues comme interchangeables. Les salariés ont bien compris que si les conditions de rémunération et de travail peuvent différer d’une entreprise à l’autre, elles vont surtout varier selon le comportement du client final », a souligné Antoine Rouillard-Pérain, doctorant en Sociologie à Science Po Paris.
Excellence opérationnelle
La journée s’est poursuivie avec deux autres ateliers portant cette fois sur la mobilisation au travail. Éric Noleau, directeur général Ile de France chez GSF, a engagé une discussion autour de l’excellence opérationnelle dans la propreté. Il est notamment revenu sur l’expérimentation menée en partenariat avec L’Oréal depuis 2014. « Rapidement, le constat a été fait avec le client qu’il fallait professionnaliser le pilotage, c'est-à-dire rationaliser les échanges, les actions et entrer dans une logique de plan de progrès dont la vocation première n'était pas la productivité mais bien la qualité ainsi que l'appropriation par les équipes d'une démarche d'amélioration continue », a notamment expliqué le responsable de GSF. Mise en place d’une architecture de réunions avec le client, point quotidien avec l’équipe, création de fiches de bonnes pratiques alimentées par l’expertise des agents… : l’expérience fait appel à des outils classiques, mais rarement mis en œuvre avec le personnel œuvrant. « Le résultat a été une hausse de l’indice de qualité, mais nous avons aussi et surtout amélioré le sentiment de reconnaissance et d’appartenance de l’équipe. À l’arrivée, l’attitude de service a été profondément modifiée », indique Éric Noleau.
Une dernière table ronde a réuni Joël Larousse, secrétaire général adjoint de l’Arseg, Gilles Allard, président de l’ADI, Christophe Ploux, président du Sypemi, Nicolas Cugier, DET de Thales, Fernanda Arreola, professeure et membre du pôle Leonard de Vinci et Christophe Sadok, directeur de l'ingénierie et de l'innovation pédagogique à l’Afpa. Ensemble, ils ont tenté de répondre à une question : comment les acteurs du FM se mobilisent ? Plusieurs pistes ont été abordées comme l’innovation contractuelle pour tendre vers les conditions de la mobilisation du travail ou encore la création d’une communauté de travail entre les collaborateurs, mais aussi entre l’entreprise, le bâtiment et le prestataire. Enfin, en clôture du colloque, Laurent Duclos, économiste et sociologue du travail, docteur en sociologie de Sciences Po Paris est intervenu pour une brève synthèse de la journée.