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Faire de leur environnement de travail un écosystème numérique à part entière est devenu une problématique incontournable pour les entreprises. Le passage au « digital workplace », parce qu’il améliore la connaissance de l’usage des espaces et permet la mise en place de nouveaux services au profit des collaborateurs et des prestataires, redéfinit en profondeur les usages et les mentalités.

Digitaliser pour mieux gérer les ressources. Tel pourrait être le leitmotiv des entreprises, de plus en plus nombreuses, qui engagent leur transition vers le « digital workplace ». Leur démarche répond pour l’essentiel à une double problématique : inventorier en temps réel l’utilisation de leurs espaces de travail, souvent mal connue, afin d’en optimiser la gestion ; et déployer de nouveaux services destinés à améliorer la qualité de vie au travail des collaborateurs – via le facility management en particulier – et les missions des prestataires. « Les entreprises sont de plus en plus conscientes de la nécessité de digitaliser leurs activités en matière de gestion du workplace, décrypte Pierre Lusteau, directeur d’Aremis, spécialisé dans la gestion de l’immobilier et de l’environnement de travail. Il y a encore quatre ou cinq ans, elles s’en faisaient une idée assez vague. Aujourd’hui, le sujet est au cœur de leur réflexion. » Mais cette prise de conscience se traduit encore timidement sur le terrain, où les barrières technologiques restent importantes. Dans une enquête menée par le club digital de l’Arseg entre août et octobre 2018, 64 % des donneurs d’ordres regrettaient par exemple un manque de connaissances des technologies. Parmi les autres freins identifiés à la digitalisation, le coût de mise en place ou d’évolution des systèmes arrive en tête, suivi de l’accompagnement au changement et la multiplication des applications ou encore le manque d’adéquation entre les solutions et les besoins.

 

Améliorer l’environnement et les services rendus

Economiquement, la digitalisation se justifie plus que jamais : avec le développement et la banalisation du télétravail, un nombre croissant de postes sont vacants dans les bureaux. Le coût est réel pour les entreprises qui voient dans la mise à disposition de ces espaces inoccupés le meilleur moyen d’optimiser leurs surfaces. Pour autant, la gestion du parc de bureaux ne représente qu’une partie du digital workplace dans son acception globale. Un grand nombre de services peuvent en effet être proposés, aussi bien pour les occupants (pilotage automatique des stores et de l’éclairage en fonction de l’ensoleillement ou via un smartphone…) que pour les professionnels (pilotage énergétique à distance…). Selon l’enquête Club Digital Arseg, l’amélioration de l’environnement et des services rendus aux occupants est même l’enjeu n°1 de la digitalisation, devant la fluidité du fonctionnement (2e) et le suivi des consommations, des coûts et de l’occupation des bâtiments (3e).

Pour digitaliser, les entreprises peuvent pousser le curseur plus ou moins loin, en fonction des moyens dont elles disposent. L’idéal est bien sûr de partir d’une feuille blanche en investissant des locaux neufs à l’occasion d’un déménagement ou en faisant construire un nouvel immeuble en BIM avec une maquette numérique paramétrique 3D du bâtiment. Toutefois, « les immeubles de bureaux sont rarement adaptés au digital workplace en termes de connectivité, souligne Cyril Dugué, dirigeant-fondateur de Convergence Ing, société spécialisée en conseil aux entreprises. Les nouveaux bâtiments en BIM exploitation sont adaptés, mais ils commencent à peine à tourner, on est encore au début de l’histoire. »

 

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Avec la multiplication des applications et autres objets connectés, l'interconnexion et le pilotage des nombreux systèmes d'information sont au coeur des enjeux de l'environnement de travail numérique et du smart building.

 

Gérer au mieux les données

Par ailleurs, des solutions alternatives existent dans le parc ancien, sans qu’il soit même toujours nécessaire d’installer des capteurs. « Il est possible d’extraire des informations utiles sur l’utilisation d’un immeuble, confirme Marc Bertier, consultant chez Colliers International France. Il peut s’agir d’informations collectées à des points précis – souvent le contrôle d’accès – de l’immeuble qui indiquent un taux de présence au sein des locaux. » D’autres données sont facilement accessibles à l’employeur : les adresses IP permettent par exemple de se faire une idée assez précise du taux d’occupation d’un immeuble, voire de l’utilisation de telle catégorie de locaux. Ces données, si elles permettent d’améliorer la vision de ses espaces par l’entreprise, ne permettent pas en revanche d’agir, ou à la marge, sur leur optimisation. Pour ce faire, il est possible de mettre en place des fonctionnalités simples via la messagerie d’entreprise ou de piloter la réservation des salles avec des écrans tactiles ou des capteurs d’occupation. Quelques entreprises ont développé des technologies adaptées à toutes les configurations en installant notamment des capteurs à des emplacements stratégiques des bureaux pour analyser le taux d’occupation et les déplacements des salariés. Collectées anonymement, les données permettent de réserver des espaces ou de partager les bureaux lorsque leurs occupants sont en déplacement ; elles peuvent aussi être synchronisées avec les outils de l’entreprise (par exemple pour coupler le chauffage d’une salle avec les réservations).  « La notion de ressource partagée dans l’entreprise est fondamentale pour comprendre le mouvement en direction du digital workplace, décrypte Pierre Lusteau. Par exemple, les salles de réunion figurent parmi les ressources les plus convoitées de l’entreprise. Elles sont à tout le monde et donc à personne. Pour en améliorer l’usage, on peut facilement mesurer leur taux d’occupation sans identifier les personnes. » Et ainsi lever l’un des autres freins rencontrés par les entreprises dans leur démarche vers le digital workplace : la crainte des collaborateurs de perdre le contrôle de leurs données personnelles. La collecte de données dans des espaces anonymes comme les salles de réunion appelle ainsi souvent à des actions à plus grande échelle. La transition vers le digital workplace peut ainsi se heurter à la résistance d’une partie des collaborateurs. « Les salariés sont très demandeurs de services, mais rechignent dans le même temps à l’idée de partager les informations relatives à leur activité professionnelle, indique Pierre Lusteau. C’est paradoxal quand on compare avec l’utilisation qui est faite de leurs données personnelles sur les réseaux sociaux. Il y a une vraie défiance à l’égard des employeurs. » Surtout, la digitalisation doit être pensée en fonction du profil des collaborateurs. Aller trop vite faute d’avoir anticipé les réactions est une erreur souvent commise : « ce sont surtout les anciennes générations qui sont présentes dans l’entreprise, rappelle Cyril Dugué. Si les jeunes sont mobiles et consomment facilement les nouveaux services, les seniors peuvent vite se retrouver déphasés. »

 

 

Un levier de profits au-delà des coûts

Autant de facteurs à prendre en compte au moment d’amorcer la transition vers le digital, car équiper et entretenir un bâtiment en domotique reste cher. « Pour justifier l’investissement, la réalisation d’économies d’échelle ne suffit pas. Il faut aussi s’intéresser au bien-être des collaborateurs », prévient Cyril Dugué, chez Convergence Ing. Pierre Lusteau renchérit : « un workplace de qualité a un impact fort sur l’engagement des salariés. Il devient donc un levier de profits et pas seulement de coûts s’il propose des services pour emporter l’adhésion ». « Le ROI n’est pas prouvé aujourd’hui, estime pour sa part Dominique Delattre-Demetz, DET chez Saint-Gobain. Si on veut rentrer dans cette démarche, on doit accepter de partir en pilote. » C’est dans cette optique que Saint-Gobain s’apprête à prendre possession en octobre prochain à La Défense de son nouveau siège social, dont il sera locataire unique auprès de Vinci. Conçu en full-BIM, le bâtiment disposera d’un « hub data » regroupant les données de 28 outils différents. « L’objectif est de faire remonter toutes les données et de déterminer plusieurs indicateurs qui seront automatiquement mis à disposition des collaborateurs de la direction de l’environnement de travail et des prestataires, précise Dominique Delattre-Demetz. Il peut s’agir de la fréquentation des locaux, du taux d’occupation des salles de réunion ou du stock disponible de consommables. » Saint-Gobain place la flexibilité au cœur de sa démarche. « Les indicateurs doivent évoluer dans le temps en fonction des besoins de l’entreprise, ajoute Dominique Delattre-Demetz. Cela implique la mise en place d’un comité d’innovation mensuel avec l’ensemble des prestataires pour bien recalibrer la pertinence des indicateurs et s’assurer qu’ils ont permis d’avancer. » L’entreprise prévoit aussi d’intégrer cette compétence IT au sein de sa direction pour être en mesure de réviser à tout moment les indicateurs. Pour Dominique Delattre-Demetz, la satisfaction des occupants justifie ces investissements. « On demande de plus en plus à des collaborateurs sous tension permanente. L’entreprise doit donc pouvoir leur proposer un espace très agile pour qu’ils ne s’encombrent pas l’esprit des petits détails du quotidien. » Un digital workplace réussi est avant tout celui qui arrive à se faire oublier.